Ah bah l'idée à la con d'aller voir ça le dernier jour où ça passe...
Idée à la con, ouais, parce que je pourrai même pas tenter une âme curieuse et bienveillante d'aller faire un tour à l'Entrepôt qui jusqu'à hier, donc, passait ces deux beaux documentaires made in
pointligneplan (à partir de demain, un autre dyptique, apparemment prometteur, René O. et Soudain soulever la poêle au dessus de sa tête, allumer comme possible la cigarette au brûleur de Thomas Bauer... j'adore le titre du deuxième, très sincèrement, même si j'imagine que la plupart d'entre vous doivent le détester d'avance).
Toujours ce tonneau auquel je bois depuis quelque temps déjà, de documentaires expérimentaux confidentiels mais rassérénant, façon Pierre Huyghe, Ariane Michel et tutti quanti. Et plutôt du bon tonneau, yep.
Pas la méga-claque des Hommes, de Rêves de cheval ou d'Après les pluies, ni celle de Streamside Day... Mais l'impression malgré tout de découvrir un auteur, la certitude déjà que je veux suivre cet auteur et voir davantage de ses films. L'impression, aussi, et ça c'est quelque chose dont je me suis rendu compte depuis quelques temps, que ces auteurs-là redonnent sens à la projection en salle, que ces auteurs-là pensent leurs films pour la salle -- et c'est très paradoxalement pervers, puisque ces films-là sont extrêmement peu visibles en salles...
Sub, par exemple, n'aurait je pense rien à faire sur un écran de salon. C'est avant tout un exploit de projection (et Loustau, qui était dans la salle hier pour la dernière, avait d'ailleurs l'air de dire que les conditions de projo d'hier, exceptionnellement dans la salle 2, étaient vraiment en-dessous de celles habituellement expérimentées dans la salle 1) : le principe esthétique à l'oeuvre au son et à l'image veut ça.
Je m'explique : Lousteau, ce me semble, comme un peintre qui maitriserait au mieux son matériel, travaille sur les limites de son matériel de captation. Il filme ce que la caméra peine à filmer, il pousse son matériel dans ses retranchements, jusqu'à susciter l'abstraction à partir du plus concret du monde, et du plus immémorial qui plus est.
Dans Norias, ce sont deux immenses roues à eau syriennes, posées sur le lac Oronte. Imposantes, massives, elles tournent sans discontinuer depuis des siècles, dans un fracas de grondements presque musicaux et d'eaux furieuses (merveilleux travail sonore). Sans qu'on soit pour autant dans son fameux montage à contrepoint, il y a quelque chose de Pelechian dans Norias, dans ce cinéma du mouvement pur, de l'abstraction concrète, de la vibration... Peut-être qu'on pourra reprocher à Loustau une trop grande conscience de cela (peut-être que la vibration du cadre, justement, à la Pelechian, est surjouée... on imagine que Loustau a mis au point un dispositif pour cela, un truc dans la manière de porter ou de poser la caméra, je ne sais pas, quelque chose qui retrouve avec la vidéo cette pulsation singulière propre au cinéma de Pelechian, qui elle semblait couler de source et n'être pas tant préméditée...). Mais on n'a pas le temps d'y penser : le montage est parfait (la suspension avant le générique final, moi j'avais le souffle coupé), le vertige des contre-plongées, du mouvement, du magnifique chahut des matières... Et puis la capture de l'arc-en-ciel, ça c'est quelque chose... Voilà, j'ignore si la sensation est la même sur un écran, d'ordi qui plus est, mais en tout cas, le film est en VOD sur le site de pointligneplan.
http://www.pointligneplan.com/FILM_3/lo ... lms12.html[/hide][/hide][/hide][/hide][/hide]
Sub, quant à lui, est aussi un beau film, mais m'a p-ê moins touché... Sans doute parce que je n'ai pas compris immédiatement le principe à l'oeuvre, à savoir que la voix off et le paysage qu'on devine à l'écran n'ont rien à voir ensemble, que l'une parle d'un endroit et que l'autre en montre un autre. Peut-être que c'est ça, mais peut-être que le problème vient d'autre chose, de la durée je dirais, de la durée générale mais aussi de la durée des plans, un problème de rythme en fait, un problème de montage, donc.
L'idée, qui préside à l'essentiel du film (hormis une très belle conclusion presque science-fictionnelle) c'est qu'on remonte un fleuve mystérieux dans le noir le plus complet et que la seule tache de lumière, la seule chose à discerner à l'écran (l'exploit de projection dont je parlais plus haut), c'est ce que le faisceau des phares du bateau dévoile, de manière fugace, de la rive. J'avoue que les premiers plans m'ont personnellement bluffé -- le procédé n'a p-ê l'air de rien sur le papier, mais à l'écran, c'est fantomatique, presque flippant, on est qq part dans le cinéma de genre, les peurs primales, ce qui peut bien se cacher dans l'ombre, ce qu'on invente autour de la lumière, ce qu'on croit voir, ce qu'on croit avoir vu, et qu'on s'est peut-être seulement imaginé. Ajouté à ceci de rares éclairs au rendu numérique très Mannien (bravo Michael, désormais quand je vois des éclairs en numérique je ne peux que penser à Miami Vice), qui permettent une fraction de seconde durant de donner à discerner l'horizon sans jamais vraiment le donner à voir (c'est si massif? ah bon? qu'est-ce que c'est? un monstre qui sommeille sur le fleuve?) et tu peux méchamment avoir les foies...
Le truc c'est que le procédé s'use un peu sur la longueur, et que tu comprends alors que la primauté narrative a basculé sur la voix off, que tu avais surtout considéré comme une nappe sonore poétique (enfin quand je dis tu, c'est moi bien sûr, c'est sans doute moi qui n'avais qu'à mieux faire attention) et que tu te rends compte que t'aurais p-ê mieux dû l'écouter...
Alors comme ça cet endroit c'est le lac Vostok, ce lieu improbable dont les scientifiques ne savent presque rien, au sujet duquel on ne peut faire que des projections, du fait des conditions extrêmes qui font son originalité (températures extrêmes, auxquelles l'oeil humain sans protection gèlerait, noir complet, eaux "primitives" ultra-oxygénées, vie sous-marine éventuelle, mais dans ce cas basée sur des mécanismes de survie presque inimaginables, etc, etc) ?
Bon ben non, à la fin du film j'ai compris que j'étais tombé dans le panneau : le lac Vostok est immontrable, ducon, du fait de ces conditions extrêmes, t'as pas écouté ou quoi? Oui bon, pas bien, effectivement...
Les images en fait sont celles d'une remontée d'un fleuve chinois jusqu'au chantier du barrage des Trois Gorges. Voui, celles de Jian Zhang-Ke.
Bon alors je sais pas si c'est juste moi qui suis passé à côté ou si c'est le film qui n'est pas clair, toujours est-il que ce procédé un peu artificiel m'a un peu sorti du film et c'est dommage, parce qu'il contient plusieurs fulgurances esthétiques assez fascinantes.
Voilou. Et donc très bientôt je soulèverai soudain la poêle pour allumer ma clope au brûleur, je suis sûr que ça va au moins passionner un pelé et deux tondus.
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