À Belfast, différents hommes commettent des meurtres, sans aucune explication. Ces tueurs arrivent dans un lieu, tuent quelqu'un avec plus ou moins de facilité, avec une arme à feu, puis le film passe au meurtre suivant.
Court métrage de 39 minutes tourné comme d’habitude par Clarke pour la BBC. On pourrait avoir une vision terre à terre du film le voyant comme une illustration des règlements de comptes froids et brutaux commis en Irlande du Nord mais le film se veut une expérience touchant vers l’abstraction et dépasse son cadre historique pour aboutir à une valeur intemporelle qui traverse les âges. Car 31 ans après, le film n’a pas pris une ride et reste une expérience cinématographique puissante et fascinante. Il n’y aura que deux-trois phrases dans le film, prononcées par un ado footballeur, et assez anecdotiques, mais le reste du temps tout est muet. Que ce soit les tueurs ou les victimes lors des dix-huit séquences de meurtres qui vont défiler sous nos yeux. Clarke tire vers l’épure, son film avance comme une machine froide où les décors glaciaux et lugubres de Belfast (entrepôts déserts, parkings et sous-sols lugubres...) accompagnent cette symphonie mortelle.
La répétitivité s’installe vite mais c’est justement voulu et sur cette dernière, ce répétition du motif du meurtre sur lequel va jouer ad nauseam Clarke, il n’y aura pas de hors-champs, aucune vision d’horreur ne sera épargnée au spectateur. On ne saura jamais pourquoi ces gens meurent, on va assister aux multiples routines de mise à morts avec comme résultats ces cadavres jonchant les bitumes et les intérieurs glauques. Le film est dans son projet absurde et totalement nihiliste mais au service d’une réflexion très forte sur la violence et les images qui la représentent.
On pourrait évidemment tisser un parallèle critique avec la violence artificielle de certains blockbusters mais aussi avec ces machines industrielles de la mort opérées par des régimes politiques qui visent l’extermination (je ne pense pas forcément à la Shoah), bref toutes les sortes de fanatismes qui aboutissent à des massacres gratuits et inhumains. C’est un peu cette absurdité à laquelle on pense en visionnant Elephant tout en faisant réfléchir son spectateur à la représentation de la violence au cinéma. Là où le dispositif de Clarke réussit de manière géniale, c’est évidemment dans la rigueur extrême qu’il y apporte, tout cela secondée par une mise en scène au couteau. Ces tournoiements de la caméra autour de ces personnages, ce langage cinématographique qu’il utilise est monstrueux et en total accord avec son propos.
Pour ma part, il s’agit évidemment d’un chef d’oeuvre qui a eu ensuite une énorme influence sur plusieurs cinéastes mais par contre, j’anticipe la question, rien à voir avec le film de Gus Van Sant qui s’en est évidemment influencé mais est parti dans des horizons très différents. Film unique, expérience cinématographique rare.
6/6
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