Une image ! Une image !Et le synopsis, si ça intéresse quelqu'un : Un riche jeune homme s'ennuie, seul et entouré de ses domestiques, dans sa demeure gigantesque. Un jour passe un cirque. Il reconnaît dans l'écuyère la jeune fille qu'il aime en secret et qui a disparu depuis plusieurs années. Il apprend de la jeune femme qu'il est le père de ce jeune garçon qui joue déjà au clown. Quand la crise de 1929 éclate, le jeune homme rejoint sa petite famille et tous les trois partent sur les routes comme cirque ambulant.Bon moi en fait j'avais la trouille que ce soit virtuose mais sinistre. Tout en reconnaissant l'immense talent, j'ai toujours eu du mal avec Tati, avec Cocteau, avec la poésie qui s'impose autoritairement dans une insistance hystérique,
regarde-c'est-poétique-RESSENS-MA-POESIE-OU-CREVE, ce qu'on retrouve dans le comique pointu et raffiné qui montre les muscles de façon très "grossière" justement (chaque idée bien mise en avant, comme sur un présentoir). Par ce biais, généralement, je vois ressurgir toute l'imagerie "vieille France" honnie, évincée formellement des films pour mieux y revenir via la pose satisfaite...
Et y a quand-même un peu de ça : les accélérés, le montage son cartoon, il y a une panoplie de petits trucs qui tiennent à distance, qui font la démonstration de la virutosité du gag plutôt que de le laisser prendre effet en douceur. Je pense au déshabillage de la chaussure, par exemple, poussé à un souci du détail rare (tous les contre-champs sur les filles, hyper soignés), mais qui doit se coltiner la musique cliché qui va avec. Ou le père qui voyant qu'il n'y a plus rien pour poser son verre, le balance en arrière - geste désinvolte qui se voit appuyé d'un gros bruitage de verre cassé qui surligne bien... On peut y rajouter les lourdeurs "d'auteur" (les références ciné appuyés, le discours éléphant sur la télévision...), et plus généralement une très nette conscience qu'a Etaix de son inventivité.
Mais globalement quand même ça passe, ça fonctionne. Je ris pas concrètement (après je ris rarement devant une comédie), mais il y a une telle densité de gags (minimum un par plan), ceux-ci sont tellement liés au découpage, dans une précision tellement inédite dans l'Histoire du cinéma français, que cette générosité façon flot constant pallie ce qui pourrait ressembler à une certaine distance froide. Plus généralement, il y a un réel génie de mise en scène, au-delà du comique, qui me laisse à penser que le talent d'Etaix n'y est pas forcément exclusivement rattaché : dans les meilleurs moments, le film sait instaurer une vraie douceur, respirer un brin, se faire moins démonstratif. La petite ballade chantonnée par personne qui accompagne la famille sur les routes, l'onirisme d'un château bouffé par la végétation, le silencieux cortège de l'armée piégée qui s'en va au loin, le gamin qui se réveille dans une voiture éventrée par les branches et qui en cueille tranquille les cerises... Surtout, l'humour et les gags d'Etaix, aussi Tatiesques soient-ils, reposent j'ai l'impression sur un principe qui leur est réellement propre : le fait que tout dans ce monde communique, dans un échange constant. Le plan par exemple où, en soufflant la poussière de la cheminée on en défonce le marbre, qui provoque l'envolée d'une nuée d'oiseaux, qui se confondent avec le bruit du train dans lequel on vient d'atterrir : lorsque le film, même en dehors de tout volonté humoristique, se laisse porter par cette énergie là (quand on soulève en passant une chaise pour faire descendre le petit Yoyo de sa caravane, comme une petite attention discrète en passant), il trouve une fluidité et un apaisement qui atténue la possible froideur de l'ensemble.
Je fais la fine bouche, ca reste impressionnant, et je préfère direct ça à Tati. C'est le premier Etaix que je vois.