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MessagePosté: 27 Nov 2025, 17:32 
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aka صوت هند رجب

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29 janvier 2024. Les bénévoles du Croissant-Rouge reçoivent un appel d'urgence. Une fillette de six ans est piégée dans une voiture sous les tirs à Gaza et implore qu'on vienne la secourir. Tout en essayant de la garder en ligne, ils font tout leur possible pour lui envoyer une ambulance.

Je ne sais pas vraiment quoi penser du film.
Ça dépend un peu par quel bout je le prends.

Dès le départ, il y a un problème éthique qui m'interpelle. Quand bien même la réalisatrice s'est assurée d'avoir l'autorisation de la mère de la petite fille pour utiliser dans le film les enregistrements des services d'urgence et donc de faire entendre, dans une reconstitution de fiction (qui va jusqu'à imaginer des décors plus cinégéniques que dans la réalité, à base de baies vitrées, on est quelque part entre les deux versions de The Guilty en fait), la vraie voix de la gamine, ça me questionne. Il est évident que c'est le projet de Ben Hania, comme en témoigne le titre et, sans l'avoir vu, j'étais déjà averti du mélange entre fiction et documentaire de son précédent film (où les filles parties en Syrie sont jouées par des actrices mais leurs sœurs et la mère sont les personnes réelles), mais je n'arrive pas à savoir si c'est malhonnête ou indécent ou acceptable pour arriver à ses fins.

Après tout, je n'ai jamais estimé qu'il y avait des règles en cinéma, je trouve le travelling de Kapo aussi justifié que la scène des douches de La Liste de Schindler et même Gibson peut filmer le martyr de Christ de la façon la plus vulgaire possible si ça l'enchante. Je n'aurais pas été gêné s'il s'agissait d'un documentaire pur, avec donc les véritables enregistrements, alors pourquoi l'être par un film qui reconstruit tout ce qu'il y a autour en gardant cette éclat d'authenticité perçant au milieu, la voix de la tragédie, inaltérable, inévitable, nous forçant à l'entendre comme l'ont entendu les bénévoles du Croissant-Rouge?

Je ne crois pas à la "manipulation" au cinéma, du moins j'entends par là qu'elle ne me dérange pas et que le terme est mal choisi car toute mise en scène est manipulation. Libre à chacun de trouver les ficelles trop grosses, mais la porosité, même assumée - à la fin, les images d'un téléphone filmant les bénévoles montrent les vraies personnes en même temps que les acteurs dans une sorte de mise en abyme qui n'est pas au service du film à mon humble avis - ici m'interroge tout de même. Le flou affecte mon propre positionnement.

Parce que d'un pur point de vue cinématographique, le film est très efficace. L'écriture condense en moins de 90 minutes les presque trois heures durant lesquelles les répondants ont dû accompagner à distance cette pauvre enfant en l'écoutant et en lui parlant, aussi immobiles et impuissants qu'elle face à un protocole de sécurité à la fois aberrant et totalement logique et loin de tout héroïsme de cinéma (même si je suis étonné que personne n'avance comme argument que "les pompiers n'attendent pas que le feu veuille bien s'écarter pour foncer au secours des gens prisonniers des flammes!" mais parce qu'on est pas dans un film hollywoodien sans doute). Et c'est proprement insoutenable. Alors mon minable calvaire de spectateur n'est évidemment pas comparable à celui des personnages et encore moins à celui de Hind Rajab mais, alors que je connaissais l'issue, j'ai vécu le suspense jusqu'au bout. On est dans du bon Greengrass quoi.

Après, bon bah, on est dans du Greengrass quoi. Je m'interroge donc également sur ce que le film raconte au-delà des faits, ce qu'il raconte de plus qu'une simple photo de corps d'enfant mort comme on en voit malheureusement défiler tous les jours depuis deux ans. Pourquoi ce fait plutôt qu'un autre? Qu'est-ce que cette histoire ou ce traitement de cette histoire nous apporte, outre une indignation et une tristesse que je ressentais déjà au sujet du conflit avant d'entrer dans la salle et de voir ce film?

J'ai chialé hein, j'ai inévitablement imaginé ma fille coincé au milieu de six cadavres dans une bagnole qui m'appelle au secours pendant trois heures, c'est horrible et ça continue mais...quoi?

Je sais pas.

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MessagePosté: 01 Déc 2025, 11:40 
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Ca faisait longtemps qu'un film ne m'avait pas autant scandalisé. Je n'avais pas vu le précédent film de la réalisatrice qui mêlait déjà fiction et documentaire et je partais sans véritable à priori en pensant qu'il y aurait une vraie proposition de cinéma hybride. Mais en fait pas du tout. Dès les premiers instants j'ai su que le projet du film allait me hérisser le poil et ça n'a pas manqué. Donc pour résumer, le film raconte le calvaire de Hind Rajab petite fille bloquée dans une voiture mitraillée par l'armée israélienne et entourée des cadavres de sa famille. Elle téléphone aux urgences et tout le film est donc l'enregistrement réel de son appel vers le Croissant-Rouge palestinien et de la manière dont les agents sur place font tout pour la sauver. Et toute cette partie dans les locaux du Croissant-Rouge palestinien est donc fictionnelle avec des acteurs.

Je ne comprends même pas comment on peut penser à un tel projet. Comment des acteurs ont pu "jouer" face à l'appel de détresse d'une véritable petite fille. Pour moi il y a là déjà un problème majeur. Faire de la fiction c'est faire semblant, c'est prétendre des émotions, or là tout la colonne vertébrale du film c'est l'appel de Hind Rajab, c'est sa voix, réelle, qui souffre vraiment, qui est positivement terrorisée donc comment en face on peut "jouer", "faire semblant" ou justement et c'est presque pire ne pas feindre une émotion mais tout ça recouvert d'un costume de comédien ? Pourquoi ? Mais le pire n'est même pas là, c'est bien plutôt dans la manière de le mettre e nscène et d'appuyer le plus fortement possible sur tous les potards de l'émotion à coup de crises de larmes et de coups de gueules compassés. Dès les premières minutes, il y a un zoom sur le visage de l'acteur principal au bord des larmes (c'est bien normal on vient d'entendre en direct une autre jeune femme se faire tuer - et c'est également un enregistrement réel) et j'ai su immédiatement que j'allais profondément détester ce film.

Le plus tragique, c'est que le film porte en lui les preuves de sa dégueulasserie. Parce qu'à plusieurs reprises on entend les véritables voix des interlocuteurs de Hind Rajab, tout a été enregistré donc le film aurait tout à fait pu être un documentaire (il aurait fallu inventer une forme ce que se garde bien de faire Kaouther Ben Hania) et rend donc immédiatement caduque sa sinistre fiction mais pas seulement ça, à chaque fois que l'on entend des bribes de ces interlocuteurs ils sont professionnels et ne sont pas en larmes comme le sont les personnages du film. On a pas besoin de ces larmes factices de subsitution pour être horrifiée par la situation de Hind Rajab. On a certainement pas besoin de ces personnages relais qui incarne à eux tous les sentiments que nous évoquent cette affreuse course contre la montre, la tristesse, la colère...

Mais ce n'est même pas le pire du film. Car disons-le d'emblée Hind Rajab ne s'en sort pas, Hind Rajab se fait mitrailler de manière totalement incompréhensible et l'ambulance qui vient la sauver se fait également bombarder alors qu'elle était supposée être dans un couloir sécurisé. Il est pour moi impensable que cette information ne soit donnée dès le début, que le film ait la suprême audace de jouer le suspens. Qu'on vienne nous parler des douches de Schindler (100% fiction) après ça. Quelle dégueulasserie franchement. Encore une fois Kaouther Ben Hania nous arguerait surement qu'elle a fait ça pour l'effet choc, pour nous confronter à l'horreur sur place. Mais on n'a pas besoin d'elle, pas besoin de ça et surtout, surtout Hind Rajab, une enfant innocente, ne saurait en aucun cas être l'objet d'une manipulation narrative.

On peut par ailleurs parler de ce plan totalement scandaleux vers la fin du film où alors que les acteurs répondent à une Hind Rajab déjà morte (vraiment je ne comprends que l'on puisse jouer dans ce film) un personnage sort un portable et film la scène. Et là sur l'écran du portable on ne voit pas les acteurs mais les personnages réelles lors de la véritable scène qui s'est déroulé des mois auparavant. Là encore comment assumer un artifice de cinéma entièrement vain (regardez comme ma reconstitution est réussie et que mes acteurs jouent bien) face aux paroles réelles d'une petite fille qui va mourir pour rien ? Comment ne pas à ce moment là voir l'affreux basculement du film qui dissimule mal son humanité derrière la vanité du cinéaste qui veut qu'on voie ses images.

Un film honteux, dégueulasse, affreusement pathos qui ne rend pas hommage à Hind Rajab ou du moins certainement pas de la meilleure des manières mais qui n'est que manipulation et mensonges. Alors c'est efficace d'une certaine manière, quand les lumières se sont rallumées, une femme derrière moi avait le visage dans ses mains et pleurait à gros sanglots (jamais vu ça de ma vie en 30 ans de cinéphilie) mais cette efficacité participe pour moi autant que le reste à une forme de répugnante manipulation. Put your hand on your soul and walk est tout ce que n'est pas ce film.0/6

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MessagePosté: 01 Déc 2025, 11:48 
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Sinon je me suis prêté à un exercice nouveau (enfin pour moi), l'interview où j'attaque bille en tête la réalisatrice (qui s'est bien défendue). On a pris un thé à la menthe après hahaha



Paris Match. Le film provoque de nombreux questionnements sur les moyens de provoquer une empathie chez le spectateur. Pouvez-vous nous expliquer votre cheminement ?

Kaouther Ben Hania. Si le film vous a plongé dans plein de questionnements, vous imaginez mon état au début de sa fabrication ! Bien sûr, j’ai passé en revue toutes les questions possibles et imaginables, mais en fait, quand j’ai entendu sa voix pour la première fois sur Internet, cela a provoqué en moi une émotion si forte… Un sentiment d’impuissance, de colère et de profonde tristesse. Depuis le début de ma carrière, j’ai décidé de faire confiance à ma première émotion. Ma rencontre avec une histoire passe souvent par elle, c’est la même émotion que je veux partager avec les spectateurs. Elle est vraiment la clé de tous les choix. Après l’émotion, il y a la fabrication.

La fabrication, c’est quelque chose de beaucoup plus, disons, rationnel. D’abord, il était hors de question de ne rien faire. Ça revenait, pour moi, à être complice. Et face à une histoire aussi tragique, on se pose la question « qu’est-ce qu’on peut faire ? » Moi, je sais réaliser des films, enfin je sais à peu près comment faire un film (elle rit). Le plus important à mes yeux c’était d’avoir l’accord de la famille, de sa mère surtout. Elle a été avec nous dès le début. C’est une femme d’un courage incroyable. Je me suis posé beaucoup de questions sur comment raconter cette histoire et surtout de quel point de vue. Est-ce que je dois filmer une fiction dans la voiture ? Ça aurait pu être un choix. Est-ce que je dois refaire jouer tout, y compris la bande-son ? Est-ce que je dois… ? Toutes ces questions, je les ai mises sur la table, croyez-moi.

Et puis j’ai décidé de faire confiance à la première émotion, parce que, dans cette émotion, il y a les clés de la fabrication d’un film qui pourrait communiquer cette émotion au spectateur. Quand j’ai entendu sa voix pour la première fois, j’avais l’impression qu’elle me demandait, à moi, de la sauver. Il y avait quelque chose d’immédiat. J’étais dans ma tête revenue à ce moment-là, quand tout était possible et quand on pouvait la sauver. Pour moi, réaliser un documentaire a posteriori qui parle d’un événement dans le passé, ce n’était pas aussi marquant. Cela ne provoque pas la même émotion de l’immédiateté quand elle demandait d’être sauvée. Et puis cela a déjà été fait, par le « Washington Post » qui a mené une investigation très détaillée. Que peut faire le cinéma de plus ? Le cinéma peut provoquer l’empathie, nous mettre à la place de l’autre. Et je trouvais que le point de vue des employés du Croissant Rouge, qui était à Ramallah et donc pas à Gaza, cela condensait quelque part notre position à nous tous, qui écoutons des demandes à l’aide et qui partageons cette impuissance, cette incapacité de pouvoir sauver qui que ce soit. En définitive, j’ai choisi de raconter l’histoire de leur point de vue, non seulement parce qu’eux, ils condensaient cette émotion que j’avais mais il y avait aussi cette sensation d’immédiateté. Je voulais faire un film au présent, parce que pour moi, cette histoire devait marquer quelque chose.

La guerre devait s’arrêter après l’horreur de cette histoire. Non seulement les six membres de la famille ont été massacrés, mais aussi cette petite fille et les secouristes qui sont partis la chercher. L’horreur. Tous les jours, des Hind Rajab… Il y avait quelque chose de l’ordre de l’impunité totale qui pouvait s’étaler, s’étaler et s’étaler. C’est pourquoi, pour moi, c’était très important de replonger les spectateurs comme moi, je l’étais dans ce moment-là. Et comment on fait avec les outils de cinéma pour revenir à ce moment-là ? On fait appel à des acteurs qui rejouent. J’ai beaucoup parlé aux vrais personnages, j’avais l’enregistrement qui était très détaillé. J’avais leur voix, leurs émotions. Je voulais savoir. Dans n’importe quel pays, quand un enfant appelle à l’aide et qu’une ambulance est disponible pour venir en huit minutes, l’ambulance arrive. Mais pas à Gaza. Donc moi, j’avais besoin de comprendre et de faire comprendre au spectateur pourquoi.



Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ? Parfois, ils semblent pris par l'émotion, justement.

Quand j’ai fait le casting, je cherchais des acteurs qui ressemblaient aux vrais personnages, non seulement physiquement, mais aussi en termes de caractère, Je connaissais Rana Hassan, Omar. On a tellement parlé, ils m’ont tellement raconté leur vie. J’ai fait le casting dans ce sens, mais aussi avec cette idée que ce ne serait pas un tournage classique. Je me suis dit : « Si je veux revenir à ce moment précis où l’on entend la voix pour la première fois alors il ne faut pas que les acteurs entendent la voix pendant la répétition. Ils n’avaient qu’à apprendre le dialogue des vrais personnages qu’il y avait dans les enregistrements et ils ont reçu la voix de Hind Rajab dans les écouteurs, l’appel téléphonique en tant que tel, au moment du tournage. Leur première réaction était tellement authentique, c’est une personne qui reçoit un appel à l’aide. On a tourné comme ça, sans deuxième prise. On était dans l’émotion. Ce n’est pas un film pour lequel je cherchais un perfectionnisme de jeu ou de cadre.

« Les acteurs n’étaient pas dans la performance, ils étaient dans le vrai. »

C’était vraiment tourné avec cette énergie, presque de la rage. Les acteurs n’étaient pas dans la performance, ils étaient dans le vrai. Eux, ils ont beaucoup parlé en amont avec les vrais personnages, bien sûr, pour préparer leur rôle. Nous avons fait beaucoup de pauses pendant le tournage pour nous prendre dans les bras. Malgré cette émotion, ce tournage de deuil, il y avait une espèce de responsabilité à raconter cette histoire qui nous donnait la force pour avancer.. On a tourné le film presque en mode documentaire. C’est-à-dire, que parfois, on tournait sans couper. Parfois, je voyais la perche dans le cadre. En général, dans un film normal, je coupe et on reprend mais comme je voyais que les acteurs étaient dans l’émotion, je ne coupais pas pour des raisons techniques. Le tournage a duré trois semaines. Et le fait qu’on soit réunis autour de ce projet et de la mémoire de cette petite fille, pour les acteurs, cela avait vraiment du sens.

Avez-vous songé à davantage contextualiser la mort de Hind Rajab dans le conflit global ?

Je pense que j’ai contextualisé. On est à Gaza, il y a l’armée israélienne qui demande l’évacuation. Voilà, Quel contexte vous voulez ajouter ? À mes yeux, je pense que j’ai contextualisé tous les éléments qui ont un rapport avec cette histoire. Ceux qui s’intéressent un peu à comment se passent les choses, c’est ça une occupation. Faire des lois, des obligations à suivre, ce n’est pas que la bureaucratie soviétique, c’est la bureaucratie de l’occupant pour rendre la vie de l’occupé impossible. C’est quelque chose de réfléchi. Donc, il fallait montrer ce mécanisme. Comment on impose sa domination ? Par l’absurdité de rendre la vie de l’autre impossible et rendre littéralement la vie de cette petite fille impossible.



Pourquoi ce choix d'un film aussi conceptuel qu'une installation d'art contemporain ?

Je suis réalisatrice, je fais des films. Qu’est-ce que je vais faire ? Je vais faire un film. Je voulais partager avec le spectateur ce que j’ai ressenti. Après, il y a des gens comme vous qui ne veulent pas être émus, qui refusent l’émotion. Il y a des gens qui accueillent l’émotion. Quand je lis la page Wikipédia de l’assassinat d’Hind Rajab, j’en ai les larmes aux yeux. Ce n’est pas moi qui ai pris en otage le spectateur. L’histoire en soi est insupportable. Elle va au-delà de l’imagination. Si je fais un film sur elle, je ne vais pas être gentil avec le spectateur parce que la situation n’est pas gentille. On n’est pas dans quelque chose de Feel Good, on est dans une tragédie. Et la tragédie, soit on la ressent, soit on refuse de la voir et on est dans le déni total. C’est un compliment que mon cinéma ne laisse pas indifférent parce qu’au-delà de mon cinéma et de la fabrication, je ne voulais pas que cette histoire laisse les gens indifférents.

Donc, je suis dans l’obligation et dans la responsabilité, pour rendre hommage à la mémoire de cette petite fille, de faire un film marquant. Je ne peux pas faire un film mièvre qui n’est pas à la hauteur de la situation. Ce n’est pas un exercice de style. C’est, comme je l’ai dit, la réponse à un questionnement sur comment communiquer l’émotion très forte que j’ai ressentie aux spectateurs, comment les impliquer. Je n’ai pas fait ce film pour qu’on parle de mon geste de cinéaste. Cette fille, elle avait une voix, elle avait un visage et on refusait de la voir. J’avais envie de la montrer aux gens. Sa voix va résonner. C’était ça mon but. S’il y a une chose qui traverse peut-être tous mes films, en tout cas qui m’intéresse, c’est cette question d’injustice. Je sais que le cinéma, c’est un outil très fort pour créer de l’empathie, pour donner la voix à des gens qui n’en ont pas, qui ne sont pas dans les médias mainstream. Les spectateurs peuvent se mettre à leur place et les comprendre.

Le fait de retrouver des stars d'Hollywood comme producteurs exécutifs, cela ne vous dérangent pas ?

Comme je fais des films en langue arabe, mes films sont perçus, surtout en Occident, comme des films de niche. Ce sont des films avec des sous-titres, des films d’auteur, on va dire un peu obscurs, que personne ne va voir. Mon obsession ici, c’était d’amplifier sa voix. Les stars comme vous dites, ce sont juste des producteurs exécutifs, ce ne sont pas des gens qui ont mis de l’argent pour la fabrication du film. Ce sont des gens qu’on a contactés comme on jette des bouteilles à la mer, pour amplifier la sortie du film. Pour être honnête avec vous, je pensais qu’on allait peut-être n'avoir qu'une seule réponse positive. Mais ils (Rooney Mara, Joaquin Phoenix, Brad Pitt ou encore Jonathan Glazer NDLR) sont tous revenus vers nous quand ils ont vu le film, pour le soutenir et être derrière sa promotion aux Etats-Unis. Pour les Palestiniens, c’est très important de raconter cette histoire.

« Je ne les mets pas dans le même paquet, les Israéliens et le gouvernement israélien »

Deux scènes m'ont paru briser le concept, la scène de la médiation et la scène qui montre justement votre dispositif...
Pour la première scène, les images de la plage, c’est vraiment de l’illustration. La psychologue, Nisreen, pour la calmer, a commencé à faire avec elle un exercice de méditation. C’est dans l’enregistrement. Je n’ai rien inventé. Et à un certain moment, pour lui faire du bien, elle dit : "Rappelle-toi des moments sympa que tu as vécu sur la plage". Quand on pense à Gaza, pour un Palestinien, c’est une image de la plage qui vient en premier. Il se trouve que la mère de Hind m’a dit qu'elle adorait aller à la plage. Je n’ai rien inventé, c’est la réalité.

Quand à la scène du téléphone, je cherchais un moyen de ramener le spectateur vers le réel. Parce qu’à ce moment-là, qu’est-ce qui s’est passé ? On a une ambulance qui arrive à quelques mètres de la voiture. L’ambulancier dit : voilà la voiture et boum, l’ambulance est bombardée. C’est quelque chose qui est au-delà de l’imagination. Je me suis dit que pour un spectateur lambda qui ne connaît rien du contexte, il va croire qu’il est dans un thriller américain. Il faut lui dire, lui rappeler par l'image que non, cela a vraiment eu lieu Et voilà la preuve, voilà les vraies personnes qui étaient en train de vivre cette situation.

Allez-vous montrer vos films en Israël ?

Je ne montre pas mes films en Israël. Je suis dans le boycott, comme pas mal d’artistes d’ailleurs, des institutions israéliennes. Et puis imaginez-vous si le tueur est dans la salle ? On serait dans l’impunité la plus totale. Après, des Israéliens auront l’occasion de voir le film, je pense, je ne les mets pas dans le même paquet tous les Israéliens et le gouvernement israélien actuel.

Regrettez-vous le manque de courage politique de certains réalisateurs ?

Chaque réalisateur fait ce qu’il veut. Moi, je fais des films qui me touchent. J’aime le cinéma quand il est sincère et qu’il vient du cœur. L’un de mes réalisateurs préférés est Brian de Palma, dont j’admire le travail. Mon prochain film sera d’ailleurs sur l’art de la narration et sur le cinéma. C’est un film, vraiment, qui sera au cœur de ma pratique de raconter des récits. Ce sera très différent.


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MessagePosté: 01 Déc 2025, 16:10 
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Karloff a écrit:

Quand à la scène du téléphone, je cherchais un moyen de ramener le spectateur vers le réel. Parce qu’à ce moment-là, qu’est-ce qui s’est passé ? On a une ambulance qui arrive à quelques mètres de la voiture. L’ambulancier dit : voilà la voiture et boum, l’ambulance est bombardée. C’est quelque chose qui est au-delà de l’imagination. Je me suis dit que pour un spectateur lambda qui ne connaît rien du contexte, il va croire qu’il est dans un thriller américain. Il faut lui dire, lui rappeler par l'image que non, cela a vraiment eu lieu Et voilà la preuve, voilà les vraies personnes qui étaient en train de vivre cette situation.


Aussi bête que son film...

Sinon Brad PItt, Joaquin Phoenix et chéplus qui au générique, ça rajoute presque au côté indécent "Gaza selon Hollywood" du film.

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MessagePosté: 01 Déc 2025, 16:34 
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Citation:
Sinon Brad PItt, Joaquin Phoenix et chéplus qui au générique, ça rajoute presque au côté indécent "Gaza selon Hollywood" du film.


ce fut le moment le plus tendu de l'interview, car je trouve que c'est du pur hollywood - washing.


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MessagePosté: 01 Déc 2025, 16:37 
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Quelqu'un peut m'expliquer ce que ça signifie dans ce contexte d'être producteur exécutif?


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MessagePosté: 01 Déc 2025, 16:41 
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Alors ce que j'ai compris c'est qu'ils ont vu le film au moment de Venise et ont décidé de mettre des thunes pour qu'il sorte aux US, mais ils sont tous arrivés après coup.

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MessagePosté: 01 Déc 2025, 17:09 
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C'est ça, payer les frais de promo aussi, du pur opportunisme. Angelina Jolie a fait ça pour Muganga. Money is money, bien sûr.


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MessagePosté: 01 Déc 2025, 17:12 
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Karloff a écrit:
Avez-vous songé à davantage contextualiser la mort de Hind Rajab dans le conflit global ?

Je pense que j’ai contextualisé. On est à Gaza, il y a l’armée israélienne qui demande l’évacuation. Voilà, Quel contexte vous voulez ajouter ? À mes yeux, je pense que j’ai contextualisé tous les éléments qui ont un rapport avec cette histoire. Ceux qui s’intéressent un peu à comment se passent les choses, c’est ça une occupation. Faire des lois, des obligations à suivre, ce n’est pas que la bureaucratie soviétique, c’est la bureaucratie de l’occupant pour rendre la vie de l’occupé impossible. C’est quelque chose de réfléchi. Donc, il fallait montrer ce mécanisme. Comment on impose sa domination ? Par l’absurdité de rendre la vie de l’autre impossible et rendre littéralement la vie de cette petite fille impossible.

Très bonne réponse.

Citation:
Pourquoi ce choix d'un film aussi conceptuel qu'une installation d'art contemporain ?

Je suis réalisatrice, je fais des films. Qu’est-ce que je vais faire ? Je vais faire un film. Je voulais partager avec le spectateur ce que j’ai ressenti. Après, il y a des gens comme vous qui ne veulent pas être émus, qui refusent l’émotion.

Très mauvaise réponse.

Art Core a écrit:
Karloff a écrit:

Quand à la scène du téléphone, je cherchais un moyen de ramener le spectateur vers le réel. Parce qu’à ce moment-là, qu’est-ce qui s’est passé ? On a une ambulance qui arrive à quelques mètres de la voiture. L’ambulancier dit : voilà la voiture et boum, l’ambulance est bombardée. C’est quelque chose qui est au-delà de l’imagination. Je me suis dit que pour un spectateur lambda qui ne connaît rien du contexte, il va croire qu’il est dans un thriller américain. Il faut lui dire, lui rappeler par l'image que non, cela a vraiment eu lieu Et voilà la preuve, voilà les vraies personnes qui étaient en train de vivre cette situation.


Aussi bête que son film...

Dans le film, ça m'avait laissé perplexe, ça me sortait du film, mais son argument se tient, ce soudain rappel du réel, et je trouve qu'elle défend bien son projet dans l'interview. On peut évidemment être en désaccord, trouver ça questionnable, mais ça a du sens.

Karloff a écrit:
Citation:
Sinon Brad PItt, Joaquin Phoenix et chéplus qui au générique, ça rajoute presque au côté indécent "Gaza selon Hollywood" du film.


ce fut le moment le plus tendu de l'interview, car je trouve que c'est du pur hollywood - washing.

C'est un peu comme la démarche du film : la fin justifie les moyens. Si ça permet au film d'avoir une plus grande portée, c'est toujours ça de pris.

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MessagePosté: 01 Déc 2025, 17:21 
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je suis toujours gêné par la récupération, après c'est peut-être sincère.... Mais Brad Pitt qui a tapé son ex et Joaquin Phoenix qui a viré la productrice qui n'a pas voulu coucher avec Casey Affleck, j'ai du mal.


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MessagePosté: 01 Déc 2025, 17:23 
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Karloff a écrit:
je suis toujours gêné par la récupération, après c'est peut-être sincère.... Mais Brad Pitt qui a tapé son ex et Joaquin Phoenix qui a viré la productrice qui n'a pas voulu coucher avec Casey Affleck, j'ai du mal.

Alors je ne parlais pas de la démarche des célébrités "prod exé" mais de celle de la réalisatrice.

J'estime normal qu'elle se soit dit "y a bon", Ben Hania.

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MessagePosté: 01 Déc 2025, 17:39 
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lol le jeu de mots racisé.


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je ne pense pas que ce soit elle qui gère cet aspect-là.


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MessagePosté: 01 Déc 2025, 23:08 
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Tiens c'est marrant, j'ai découvert 5 septembre ce soir. Il y a des similitudes - quasi unité de lieu, mélange d'images documentaires et recréation. Kaouther l'a-t-elle vu ?


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MessagePosté: 02 Déc 2025, 10:25 
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Karloff a écrit:
Joaquin Phoenix qui a viré la productrice qui n'a pas voulu coucher avec Casey Affleck, j'ai du mal.

Bruits de couloir ou y'a eu de vrais éléments là-dessus ?


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