Iris a récemment débarqué à Séoul. Pour faire face à ses difficultés financières, cette femme, qui semble venir de nulle part, enseigne le français à deux sud-coréennes avec une méthode bien à elle.Au titre français trompeur, qui fait de l'étrangère le personnage central du film, à l'instar d'un Ryo Kase dans
Hill of Freedom, je préfère le titre anglais (qui me semble être une traduction plus respectueuse du titre original) A Traveler's Needs, dont la signification est plus ambiguë, ne sachant si ce sont des besoins de la voyageuse dont il s'agit ou si de la présence de cette voyageuse naisse les besoins d’autrui. Ambiguïté que Hong tardera à lever, tant Iris (Huppert) restera continument énigmatique, figure évanescente, qui n'existe presque que de manière théorique, un catalyseur qui permet les révélations chez ceux qu'elle côtoie. D'elle on ne connaîtra jamais la raison de sa présence en Corée, sa profession (on comprend juste que ce n'est pas l'enseignement), ou ne serait-ce que la moindre de ses motivations. Une figure spectrale, qui d'ailleurs s'éclipse de manière abrupte une fois le travail accompli.
Au final c'est donc bien moins à cette voyageuse que Hong s'intéresse qu'à ses interlocuteurs coréens. Sa méthode d'apprentissage de la langue française, pour le moins inhabituelle, répétée à l'identique avec ses deux élèves (l'un des ponts les plus flagrants entre le personnage d'Huppert et Hong lui-même, dont on voit bien qu'il s'agit ici des quelques rares lignes de dialogue qu'il aura donné à ses acteurs comme point de départ d'une scène) produit peu ou prou le même résultat initial, d'abord des sentiments superficiels et communs, puis une fois sorti de leur zone de confort (soit systématiquement une fois qu'Iris les aura déplacé de leur sphère intime vers l'extérieur) un sentiment profond, que l'on imagine refoulé, parfois douloureux. Et chacune de ses révélations de résonner de manière particulière par rapport à Hong lui-même (rapport père-fille conflictuel, couple dont le mari est contrit, voir plus tard la mère qui sermonne son fils pour sa relation avec une femme beaucoup plus âgée - l'ombre de Kim Min-hee plane nécessairement ici). Pour autant, loin de n'être qu'une rumination de ses vexations passées, et dans le droit fil de son précédent
De nos jours, la démarche de Hong me semble surtout animé par la nécessité de partager les clés de la sérénité qu'il a lui-même trouvé. Sonder toujours un peu plus profondément son cœur jusqu'à y trouver la véritable source de ses problèmes, condition
sine qua non pour enfin espérer atteindre l'apaisement.
Pour autant, si pour Iris il suffit de sentir les effluves d'un plat que l'on prépare au travers d'une porte pour savoir s'il est temps ou non de retourner dans son appartement, pour d'autres il est beaucoup plus complexe d'appréhender aussi rapidement ce qui est véritablement essentiel. La réalisation de Hong vient donc redoubler les préceptes énoncés via la méthode d'apprentissage de la langue française d'Iris, du particulier au général avec ces panos qui viennent systématiquement ponctuer la fin des échanges entre le professeur et son élève, ailleurs une attention accrue à l'environnement qui les entoure (ici un nuage, ailleurs un point fait en arrière plan qui laisse les protagonistes dans un flou léger au premier plan). Humblement, pas d'autres ambitions ici que de partager son parcours de vie qui aura infusé dans sa fonction de réalisateur même, une ligne claire qui l'aura guidé vers un dépouillement et une simplicité extrême, pour atteindre le statut d'une sorte de vieux philosophe kantien (sans pour autant perdre de son auto-dérision, son docteur lui ayant proscrit de boire du soju dans
De nos jours c'est maintenant le makgeolli qui coule à flot).