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MessagePosté: 06 Fév 2016, 00:31 
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Sir Flashball
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C'est extraordinaire de bout en bout. Un des plus beaux films du monde.

Je ne sais pas trop par où commencer. Peut-être par cette critique féroce et sanglante de la bien-pensance bourgeoise, qui se trouve des excuses fielleuses pour pouvoir continuer son train de vie sans en questionner les fondements. Ou par ce portrait déchirant de femme trahie, séduite par les boniments d'un bellâtre imbécile incapable de joindre les actes à la parole. Ou je pourrais parler de cette réalisation raffinée, élégante, qui construit son ambiance de peur par des effets déconcertants de simplicité, ombre et lumière, clair-obscur, hors-champ... Et toute cette sexualité sous-jacente, rugissante, animale.

Tragique, puissant, révoltant, déchirant : Tourneur construit en 73 minutes l'un des plus beaux drames de l'histoire du cinéma.
Entrée direct dans mon top 10 de tous les temps.

6/6

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MessagePosté: 06 Fév 2016, 12:10 
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Regarde Vaudou si ce n'est toujours pas fait, je le trouve encore supérieur sur le même schéma fantastique/Romance tragique.


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MessagePosté: 07 Fév 2016, 21:48 
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Sir Flashball
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Pa encore vu Vaudou, mais je sens que je vais kiffer.

Anyway, Tourneur c'est grand.

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MessagePosté: 08 Fév 2016, 00:47 
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La meilleure exportation Française qu'on ai eu à Hollywood ^^


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MessagePosté: 03 Jan 2023, 15:06 
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Pour faire plaisir à Castorp et ne pas rester sur mon souvenir flou d'il y a 20 ans.

Castorp a écrit:
Ou je pourrais parler de cette réalisation raffinée, élégante, qui construit son ambiance de peur par des effets déconcertants de simplicité, ombre et lumière, clair-obscur, hors-champ...

C'est avant tout cela, et c'est presque étonnant de voir que ses films suivants ont moins d'ampleur que celui-ci (typiquement L'Homme-léopard qui fait beaucoup plus série B et semble avoir un budget ridicule. Les meilleurs moments de ce dernier ne sont d'ailleurs que du recyclage des effets les plus saisissants de La Féline).

Castorp a écrit:
Peut-être par cette critique féroce et sanglante de la bien-pensance bourgeoise, qui se trouve des excuses fielleuses pour pouvoir continuer son train de vie sans en questionner les fondements.

Par contre là je ne saisis pas trop ce que tu veux dire. Si tu ne l'as pas vu depuis 6 ans je ne sais pas si tu pourras éclaircir ton propos, mais peu importe le milieu social il me semble, ça n'est pas une critique de la bourgeoisie que Tourneur opère. Et pour rebondir sur le commentaire de Mickey au sujet de Mme Muir, la morale chrétienne (et donc misogyne) sous-jacente n'a pas super bien vieilli. Irena Dubrovna c'est la nouvelle Eve, la tentatrice qui vient pervertir le mâle. Que ce soit son futur mari qui dit explicitement n'avoir jamais été malheureux avant de la rencontrer (mais ne peut s'empêcher d'être attiré par elle pour la chaleur qui se dégage d'elle - comprendre c'est une chiennasse), ou le psychiatre qui a une envie irrépressible de la tripoter, ils sont tous deux victimes de cette femme pécheresse qui ne contient qu'avec efforts ses pulsions sexuelles débordantes. A cela s'ajoute un fond raciste (tant qu'à faire), puisqu'elle nous décrit la Serbie comme un pays chrétien heureux et calme, que les mamelouks ont dénaturé et vicié. C'est donc non seulement parce qu'elle est femme mais aussi parce que les musulmans sont venus leur chatouiller la plante des pieds qu'elle a maintenant une panthère dans la culotte.

Révision malgré tout bénéfique, surtout pour sa mise en scène qui a une efficacité que je n'avais pas vraiment vu ailleurs chez Tourneur. Prochaine étape revoir Vaudou pour probablement mieux l'apprécier également.


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MessagePosté: 03 Jan 2023, 20:51 
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Sir Flashball
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Pas revu depuis, mais :

Lohmann a écrit:
Par contre là je ne saisis pas trop ce que tu veux dire. Si tu ne l'as pas vu depuis 6 ans je ne sais pas si tu pourras éclaircir ton propos, mais peu importe le milieu social il me semble, ça n'est pas une critique de la bourgeoisie que Tourneur opère. Et pour rebondir sur le commentaire de Mickey au sujet de Mme Muir, la morale chrétienne (et donc misogyne) sous-jacente n'a pas super bien vieilli.


Franchement, tu as loupé tout le sous-texte du film, qui est d'ailleurs assez proche de celui de la Flibustière des Antilles : chez Tourneur, certes la femme fatale est tentatrice, mais elle aussi et surtout victime de la lâcheté de l'homme face aux conventions. Le personnage veule dans La Féline, ce n'est pas elle, mais Oliver Reed, qui, terrifié par sa sexualité, n'hésite pas à la trahir et à l'abandonner pour se conformer à ce qu'on attend de lui en tant qu'homme, à savoir un couple avec la très fade Alice.

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MessagePosté: 03 Jan 2023, 23:25 
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Léger le sous-texte alors. Je n’ai pas ressenti qu’il agisse sous une quelconque pression sociale, il tombe d’abord amoureux de la sombre et sauvage slave, dont la froideur finit par le lasser, puis se rend à la raison, celle qu’il côtoie depuis tant de temps est en fait celle qui lui était prédestiné. Vieux marronnier du mélo en sorte. Je ne dis pas que tu as tort hein, juste que ça me semble mineur par rapport aux autres thématiques fortes du film.


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MessagePosté: 03 Jan 2023, 23:34 
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Ca m'a pourtant paru flagrant que Reed est décrit comme le mec qui trahit, gros queutard qui ne pense qu'à se taper l'héroïne, et qui se casse dès qu'il a eu ce qu'il voulait, pour rentrer dans le moule. Personnage tout aussi dégueulasse et mielleux que celui de Jourdan dans la Flibustière des Antilles.
Ca me paraît donc au contraire central dans le film, et ça fait de l'héroïne un magnifique personnage tragique (parce que son amour à elle est pur, elle ne triche jamais), qui va bien au-delà du cliché ambulant que tu décris.

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MessagePosté: 03 Jan 2023, 23:38 
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Castorp a écrit:
Ca m'a pourtant paru flagrant que Reed est décrit comme le mec qui trahit, gros queutard qui ne pense qu'à se taper l'héroïne, et qui se casse dès qu'il a eu ce qu'il voulait, pour rentrer dans le moule.

On a pas eu la même perception du personnage alors, plutôt que queutard je le vois plus comme limite puceau, il ne s'est même jamais rendu compte que sa collègue était follement amoureuse de lui.


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MessagePosté: 03 Jan 2023, 23:42 
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Sir Flashball
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Queutard n'est pas le bon terme, mais tout ce qui l'intéresse, c'est aller dans la culotte de l'héroïne.

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MessagePosté: 04 Jan 2023, 06:14 
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Le titre américain ("Cat People") est plus significatif que le titre français plus connoté sexuellement ("La Féline"), car ils se réfère à un peuple et à la notion d'asservissement et de domestication. Ce n'est pas qu'une histoire d'instinct contre des croyances socio-culturelles rattachées à la sexualité féminine. La virginité pour se prémunir de l'éveil de la panthère qui sommeille est à prendre au sens symbolique, celle des territoires et des peuples d'antan avant les invasions en temps de guerre et de conquête coloniale.
Irena ronge son frein (par le dessin, le respect des traditions, etc). Elle n'a pas su digérer la spoliation qu'elle a subie, elle contient son agressivité vengeresse un moment et choisit de la libérer aribitrairement par légitimité, car elle estime avoir subi un préjudice.
Quelle est la position de Tourneur vis à vis de la vengeance d'Irena? Elle semble mesurée. Il la comprend intellectuellement et en saisit les causes (elle se justifie si on se donne la peine de creuser), mais il ne milite pas forcément pour, car c'est une arme à double tranchant, elle est difficile à canaliser, il y a des dommages collatéraux (des moutons innocents sont tués) ou alors elle risque de se retourner contre ceux qui en font l'usage (Irena finira par en mourir). Mais il y a un plaisir évident et manisfeste à ce que le psychiatre, sorte de grand intellectuel et penseur des phénomènes de colonisation, en fasse les frais, lui qui n'est "d'aucun recours" selon et pour elle.
Hitchcock s’est il inspiré de "Cat People" et de "IWalked with a Zombi" pour "Vertigo"? Le même degré de cryptage, l’interprétation sexuelle psychanalytique freudienne comme trompe-l’oeil (l’éjaculation précoce ou l’impuissance de Scottie vs. la virginité et le refoulement des pulsions féminines/la frustration sexuelle de Irena), les allusions aux conquêtes coloniales (Gavin Elster et Oliver Reed sont constructeurs navals), Madeleine Elster errant comme un zombi apathique, possédée par l’esprit d’une morte, comme Jessica Hollen dans "I Walked with a Zombi".


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MessagePosté: 04 Jan 2023, 06:37 
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Les films de Tourneur produits par Val Lewton sont fantastiques, au sens propre et figuré du terme.
Ils sont de courte durée, mais il n’y a pas un bout de gras, ça fourmille de petits détails qui ont tous leur importance dans la compréhension globale de l’histoire, ce sont vraiment des modèles d’écriture, il faut les voir plusieurs fois. Séries B par rapport à l’économie de production peut-être, pas du tout dans la conceptualisation par contre.
Je crois que mon préféré est "I Walked with a Zombie" ("Vaudou"), où le développement de l’occulte de la part des dominés n’est qu’une forme de contre-pouvoir, un moyen de le reprendre et un levier pour faire pression, faire peur en période de domination, une arme contre laquelle les dominateurs ne peuvent opposer de défense car ils n’ont pas de prise et parce que leur raison vacille facilement. Les coutumes et rites « de façade » continuent d’être perpétués sur les îles parce que la tradition le veut mais ils n’ont plus de nécessité et ne reflètent plus l’état d’esprit de leurs ancêtres (ils pleurent la naissance car ce sont des descendants d’esclaves) : la tradition perdure aussi pour effrayer les propriétaires ou les touristes et leur donner mauvaise conscience par rapport à leur position sociale et l’histoire qui leur a permis de l’acquérir et de la maintenir.


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MessagePosté: 04 Jan 2023, 12:15 
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J'aime beaucoup Vaudou mais je ne suis pas sûr que la contestation de l'imaginaire colonial y soit radicale, la colonisation n'y est pas intentionnellement montrée comme un rapport de domination culturelle et politique. C'est plutôt l'inverse, avec la médecin positiviste qui perpétue et dirige le rituel, et l'investit en se cachant pour manipuler d'autres colons, pour ne pas mourir et être elle-aussi réduite à n'avoir que la mer comme refuge. Jessica prend aussi le statut d'icône zombie et est potentiellement la reine du rituel ( alors même qu'elle est dévalorisée du côté des colons, qui révèlent qu'elle était en fait une femme insupportable, plutôt regrettée qu'aimée. Même dans le rituel vaudou la valeur hiérarchique la plus haute reste fournie par les familles coloniales. Lorsque les colons meurent leur autorité devient symbolique et religieuse, leur prestige réel. La mort est plutôt l'espoir, que Tourneur montre certes comme vain, d'un syncrétisme culturel entre colons et antillais, que le risque d'une lutte. Dans le film elle n'appartient qu'aux blancs et obéit toujours à un calcul politique : la question qui se pose est bien celle de guérir Jessica, la garder malade ou la tuer en pesant explicitement le pour et le contre de toutes les solutions.
Il y a plutôt qu'une critique du colonialisme, l'idée que les blancs ont besoin d'une certaine passivité pour conserver leur prestige et la justification de leur présence, qui contredit certes d'autres justifications positivistes plus traditionnelles et idéologiques , a savoir amener le savoir médical et les soins. La medecin est ambiguë car elle croit au vaudou par rapport au sort de Jessica tout en le dénonçant comme superstition par rapport au peuple, elle arrive justement à travestir la religion locale - qui n'est dès lors plus une force pour le peuple lui-même. Le tragique devient le privilège des colons (l'intrigue rappelle beaucoup l'Orestie, un drame de la haine familiale et de l'exclusion interne au pouvoir. Une femme qui arrive comme Electre après une situation qui lui est cachée, avant un intervenant encore plus exterieur qui lui est animé par la vengeance)


Bien sûr Tourneur arrive à donner à certaines scènes une autonomie qui excède ce récit, et donne indirectement un espace où le colon est absent et le rituel seul en scène, mais le fil conducteur reste. Au sein d'un tel univers la culture colonisée ne peut exister que la nuit, et je crois que c'est d'ailleurs à l'aube que le guitariste et l'homme en noir vont chercher l'amant et la femme blanche malade, que leurs destins se rejoignent en quelque sorte.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


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MessagePosté: 04 Jan 2023, 13:51 
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Vieux-Gontrand a écrit:
J'aime beaucoup Vaudou mais je ne suis pas sûr que la contestation de l'imaginaire colonial y soit radicale et que la colonisation soit intentionnellement critiquée comme un rapport de domination vulturelle et politique.


C'est d'ailleurs aussi en partie ça qui fait la qualité du film. La Féline est très impressionnant pour plein de raisons évoquées ci-dessus, mais Vaudou le dépasse.

Vaudou participe d'une vérité d'abord littéraire sur la notion d'emprisonnement psychique et culturel : il est une magnifique adaptation de Jane Eyre... mais aussi, et là c'est plus troublant, une préfiguration de la préquelle de Jane Eyre publiée en 1966 et elle aussi située dans les caraïbes, Wide Sargasso Sea. L'ajout dans Vaudou des croyances locales qui échappent aux colons et en même temps les débordent et les phagocytent finit d'ancrer le film dans une vérité anthopologique qui est la même que celle de Heart of Darkness : il y a quelque chose qui cloche dans les tropiques, ça ressemble à de la corruption mais ça n'en est pas, en tout cas c'est dangereux, ça rend fou, et ce n'est pas juste une histoire de prédation blanche.

Vaudou n'est effectivement pas un film anti-colonial, il s'autorise une très forte ambivalence sur le sujet.

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MessagePosté: 04 Jan 2023, 13:59 
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Sir Flashball
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Müller a écrit:
Wide Sargasso Sea.


Oh, un lecteur de Jean Rhys. Dans mes bras.

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