1989, Rose, jeune mère de famille arrive d'Afrique en France avec ses deux fils, Jean (10 ans) et Ernest (5 ou 6 ans). Deux autres frères sont restés là-bas et elle ne tient pas vraiment à les faire venir, on devine qu'elle est dans une logique qui relève surtout de la fuite familiale individuelle. Elle devient femme de ménage dans des hôtels.
Portrait de mère courage, assez classique, mais le film est bien écrit et emprunt d'un certain hiératisme formel, notamment dans le choix des musiques, qui peut faire penser à Alain Cavalier voire plus lointainement à Bresson (il s'agit de se tenir dans ce qui sépare la grâce du martyre, dans la solitude -
) qui lui donne sa cohérence et sa force. On peut aussi penser à Claire Denis période J'ai pas Sommeil (pour les scènes de boîte mais
). Il assume un certain niveau culturel, et le sait.
On remarque aussi une certaine unité avec Jeune Femme, pas forcément là où on l'attendait (dans Jeune Femme il y avait déjà une mère difficile avec Nathalie Richard, et l'univers de la nuit et de la fête est filmé de la même manière dans les deux films, entre fascination amusée et portrait d'une certaine décadence, une forme d'impuissance qui ne produit que l'oubli, où seul le regard des autres est maintenu).
Politiquement le film est avec les personnages, malgré quelques ambivalences. La première tient au fait que la chronique n'atteint pas notre présent, mais s'arrête en 2004, alors que le film est organisé sur les notions d'avenir et montre l'attachement à la société française voire à la France comme valeur et quasi-personne (il parvient à éviter l'écueil du mot intégration et des projections et reconstructions de l'autre qui y sont attachées) comme un pari pascalien. Ensuite il y a un certain sociologisme, comme disent les Cahiers, mais il correspond toujours à une forme de recul affectif sur ses propres personnages : il n'explique que les crises et les échecs. Ainsi il faut que l'un des frères se détache, tard, de la mère pour voir le racisme courant, qui survient après sa promotion sociale. Le film n'interroge pas vraiment le fait que la mère parvient à masquer le racisme à ses enfants, qui se produit là où elle est aussi elle-même plutôt défaillante sur le plan familial - même si elle est toujours consciente d'incarner une fonction, et ne désire pas être autre chose. Il y a peut-être l'idée que le racisme est subi de façon différentes chez les hommes et les femmes, pour les uns il est institutionnels et public, pour les unes placé dans des rapports de couple partiels et transactionnels, où l' on échange sexualité et sécurité. Or les deux peuvent se croiser. Mais l'idée de montrer ce caractère partiel est juste : il s'agit toujours d'une finalité déniée - d'une impossibilité de s'accomplir. Le film semble lier une forme de norme sociale, pacificatrice, au refus de croire soi-même en cet accomplissement : le scepticisme ouvre à l'autre. Mais il fait peut-être assez tristement (sans doute aussi lucidement) de notre présent (des années 2020 d'où il parle) une illusion. C'est par le hors-champ nous mêmes qui sommes maintenant cette fin refusée, critiquée avant même de pouvoir exister.
Film pas sans lien avec Armageddon Time, mais à la francaise et plus sombre, plus individualiste (
et froid. Comme dans Saint Omer la mère du film est finalement fantasmée comme une Médée, assez troublant.