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MessagePosté: 17 Nov 2019, 22:51 
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Une ville de France à la fin des années 1970. Martin passe la nuit chez Léa, qui le vire au petit matin, sa colocatrice revenant.
Martin (Xavier Saint Macary, l'un des acteurs-clés du Plein de Super) est manutentionnaire dans un entrepôt, mais consacre ses loisirs à prendre des cours de chant lyrique (il est baryton) chez Wolf, un ancien chanteur d'opéra, qui est à la fois un maître distant ainsi qu' un ami proche et un confident pour lui. Il a du mal à régler financièrement toutes ses leçons.
Le parcours de Léa (Isabelle Hô), est plus accidenté. Elle est d'origine vietnamienne, possède des allures et une diction de grande bourgeoise émancipée, mais voit encore son père, modeste tailleur, qui semble avoir fuit dans des circonstances compliquées la guerre d'Indochine, et est moins intégré qu'elle dans la société française. Mais surtout, elle est restée très proche d'un certain "Michel" (Richard Bohringer), un homme en costume de cadre supérieur ou de haut-fonctionnaire, qui se déplace dans une Renault 30 flambant neuve, luxueusement équipée, et quelque peu fétichisée.
Martin et Léa finissent néanmoins par se revoir, et nouer une relation de plus en plus dense et passionnée. Une tension s'installe cependant quand Martin comprend que Michel est propriétaire de l'appartement, coquet et moderne, où vit Léa, et qu'il l'entretient. Par ailleurs, Léa sélectionne des co-locatrices de plus en plus jeunes, belles et visiblement issues de milieux aisés, mais un peu fragiles. Le rapprochement est vite fait. La relation de couple qui se noue entre Martin et Léa va faire dérailler ce système bien réglé.


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Le film est déroutant et intriguant, à la fois hyper-référencé dans le cinéma de l'époque (Pialat, Eustache, mais aussi Blier voire une amorce du grain lumineux et de l'inspiration chrétienne des Godard des années 1979-1985) et totalement singulier ; populaire (Bohringer et Berléand au début de leur carrière) et glacialement sophistiqué . Il possède ue forme réaliste, placée au plus proche de la densité et du grain pysique de la matière, et traversé par une sorte de glauque littéraire, assez "réalisme poétique", qui devient une forme de stylisation qui détache le film de son contexte sociologique, le rendant ainsi plus intemporel (mais aussi plus sec et indécis) que d'autres films réalisés à cette époque .
Ainsi, l' allure d'artiste cultivé , élégante et dégageant une impression d'aisance et de distinction dans la liberté (mais en même temps laissant supposer une inclination vers la colère et l'aveuglement), de Saint Macary jure avec son travail ouvrier, ce qui devait à l'époque apparaître comme un manque de réalisme ou une anomalie plaçant le film hors du réel. Mais ce décalage devient à présent un atout , au vu des tendances que Cavalier filme déjà et qui se sont depuis approfondie: on peut imaginer que l'usine sans machines dans laquelle il travaille, avec des adjoints du même âge, des rapports dont on ne sait s'ils sont d'amitié ou de contrôle hiérarchique, est une sorte d'entrepôt Amazon, et qu'il a pour client et donneurs d'ordre des gens qui apparemment lui ressemblent.

Il s'agît d'un très beau film, charnière dans l'oeuvre d'Alain Cavalier, car situé tant formellement que chronologiquement exactement au carrefour des trois veines de son cinéma : le lyrisme baroque et missionnaire des ses premiers films, comme le Combat dans l'Ile et l'Insoumis, fascinéq et sublimant les causes perdues telles que le nationalisme colonial. La dimension plus contestatrice mais aussi plus despérée du Plein de Super, et finalement la veine intime de ses films des 20 dernières années, autobiographique et travaillée par le mystère de la matière et de la lumière, plus grand encore,dans l'univers montré par ce cinéma, que celui de la conscience et la morale. Le film de Cavalier est plastiquement superbe, doté d'un grain et d'une lumière qui rappellent les toiles de Georges de La Tour et de Chardin. Il est écrit, composé de manière évidente et noble comme une nouvelle de des Forets , alternant plusieurs type de formes, rappellant Pialat et Eustache (et Bresson) quand il s'agit de décrire le système dans lequel tombent les fille à la fois glauque et initiatique (car il permet malgré tout de parler à la première personne : il délimite à la fois une colère et un environnement ), et bascuie de manière graduelle dans un style esthétique qui n'appartient qu'à Cavalier dans les scènes d'amour, très érotisées mais aussi proches du mystère chrétien de la chair et de la genèse, courte, avec de magnifiques et silencieux inserts reliés par des magnifiques fondus aux noirs, qui décrivent un rythme et une atmosphère assez étranges, mélant recueillement et jugement , difficile à exprimer.

L'inspiration chrétienne, ayant tantôt l'intensité de la gloire (dans la première veine historique et lyrique), tantôt celle du scandale (la seconde veine naturaliste et sociologique), tantôt celle du pardon (quand Cavalier se montre lui-même et de son désir brut), sert de liant entre ces trois directions. De manière ambiguë, mais marquante, le film est (comme l'Insoumis et le Combat dans l'Ile) dans la nostalgie de l'empire colonial français, portant sur celui-ci un regard à la Claudel : le colon est un conquérant à la fois militaire et spirituel, celui à qui est donné un monde de l'extérieur, par Dieu, mais qu'il justifie ensuite par sa foi. Il reproduit sur le plan sentimental ce qui pour Dieu est ontologie (d'où une violence acceptée sans critiue). cette conversion concernant le monde entier, réduit par conséquent l'altérité de l'autre, qui à la fois reconnu, rencontré et marginalisé. Ainsi le père vietnamien du film, qui semble n'avoir pour issue, arès avoir été recueilli comme réfugués, que de repartir au Viet Nam , s'exiker à nouveau sous une forme décidée et proche du suicide, là où l'exil né de la guerre était subi . On lui a transmis une lumière et une langue, mais pas un univers à habiter physiquement. Il n'y a plus rien à découvrir dans ce monde qui l'a à la fois vaincu, protégé et intégralement et reconnu, pour préserver son mystère il faut qu'il retourne. Mais en même temps, dans une scène très forte (qui se place non plus du côté du père mais auprès de la fille) il dénonce de manière brève mais sincère, d'une seule réplique (il m'emmerde celui-là énoncé par la seule fille qui a pu s'arracher au proxénétisme de Michel sans rien laisser transparaître de tragique) , le racisme ordinaire de la société française, pourtant une conséquence de ce colonialisme. C'était déjà le dilemme des personnages du Combat dans l'Ile et de l'Insoumis.
La politique d'Alain Cavalier s'entend ainsi : ce qui pour la droite est formulé comme une valeur (dans ce film le goût du conformisme et du pouvoir que trahit l'élégance apparente et le sadisme de Michel, le nationalisme et l'aspect spontanément justifié d'une culture, qui demandent uen adhésion silencieuse, mais pas inconditionnelle pour autant) est repris par la gauche dans l'histoire et dans la dyanmique de l'oubli et du souvenir. Mais l'inverse prévaut aussi (il ya donc une trahison et une récupération, mais aussi une production de sens et de valeurs égales dans les deux mondes). Toutefois dans cette direction, passant de la gauche vers la droite, ce qui est offert, mais aussi perdu et déprécié n'est plus du discours, mais de la matière et de la forme. Dasn ce film : le paysage apparemment serein, baigné d'une lumière blanche, douce et printannière, hyper réelle et rassurante, de la ville et de l'appartementde Léa, pourtant traversés touts les deux par du pouvoir, de la domination et de la honte. Les vêtement typiques des années 70 des passants, intemporels, décontractés, signes d'une révolution sociale, mais qui ancrent le film dans un passé ambigu, à la fois imit ét épuisé. Il y a un point où ce jeu d'échange entre ces deux "logiques", s'équilibre et se neutralise, qui est le propre del' esthétique, où le regard se détache du discours et de l'idéologie . Celle-ci devient le représenté et le spectacle, annulant l'idée de mise en scène au profit celle de regard, qui induit ldidée de nudité et la possibiltié de la passion, là où la mise en scène est une construction, une intention que le réel devra répéter en suite, au pris d'un écart entre les deux - écart où se glisse pour Cavalier le mal moral, la monstruosité du personnage de Richard Bohringer, pédophile et calculateur, qui appartient simultanément au registre du symbole biblique et de l'annotation sociologique, qui partagent en commun la même notion de signe, là où le regard n'expose que la matière - le mal est pour Cavalier ce qui peut être nommé, au lieu d'être regardé.

Plus simplement, le scénario du film est traversé par le soucis de déterminer une ligne rouge et une limite dans la révolution sexuelle des année 1960-1970. Une limite (représentée dans le film par la prostitution, l'achat du corps de l'autre qui mène inévitablement à la corruption de l'autre) devant conduire à un interdit identifiable et repérable; mais qui malgré tout, dans un sens quasi-mystique, n'interdirait pas l'abandon et le désir d'un absolu. Il a ainsi, à l'heure de #meToo, assez bien vieilli, l'inspiration chrétienne de Cavalier se transforme de manière inattendue en une forme de féminisme, indiquant sur un plan ontologique ce que les réseaux sociaux recherchant sans le trouver dans le social . La part de l'autre qui nous receuille doit encore correspondre à son désir. Et le christianisme de Cavalier n'est "que" la sécurité absolue et idéale du désir, utopiquement intérieure à celui-ci. Si l'autre compense notre soif d'amour, c'est que c'est au sein du désir et non du monde que se trouvent à la fois notre finitude et notre noblesse. Le christianisme de Cavalier oppose directement le social et l'ontologique, le social est le rebord immédiait du corps : ce dont il doute ce n'est pas du salut et de la résurrection des corps mais de l'existence de l'esprit : la possibilité salut est donc compatible avec une forme nihilisme et de déploration d'un sens manquant.

Comem d'habitude je suis trop systématique dans mon regard sur le films (et comme le disait Freud, les systèmes naissent d'une forme de paranoïa, de forçage, mais aussi d'une voix, peut-être moralement nécessairement mais à maintenir sous un certain seuil). Mais il s'agît peut-être du plus beau film de Cavalier parmi ceux que j'ai vus.

Sun autre plan, il est assez douloureux de voir que trois des acteurs principaux (Isabelle Hô, très bonne actrice, peu connue, et si j'ai bien compris l'ex de Cavalier que lui a pris Saint Macary, situation à la base du film), Saint Macary et Valérie Quenessen sont morts au tournant des années 1990 (cela résonne de manière un peu voyeuriste avec ce qu'il décrit dans Irène), quant par ailleurs il donne des rôles développés et riches à des acteurs devenus depuis très populaires (François Berléand en flic lunaire de la brigade des moeurs, Richard Bohringer, excellent dans un rôle proprement diabolique
peut-être même le diable lui-même s'il faut en croire le commentaire de Cavalier sur le film, qui est une sorte de Faust ou d'Orphée et Eurydice, mais où le pacte pervient de justesse à être dénoué par la paternité et la maternité
)

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 18 Nov 2019, 09:23, édité 3 fois.

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MessagePosté: 17 Nov 2019, 23:24 
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Très bon souvenir en effet de ce film de transition, au confluent en effet des différents Cavalier. La fameuse scène de la boîte aux lettres qui avait tant choqué les spectateurs, et surtout ce cut final avec l'apparition du gros ventre, magnifique, un raccord sublime, comme une apparition.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 17 Nov 2019, 23:30 
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Elle est superbe (allant vers l'abstraction et en même temps très drôle) cette scène
dans un film par ailleurs assez dur qui peut choquer pour d'autres raisons. Il existe un rapport fort, direct au plan matériel, mais complexe au plan psychologique entre cette scène et le dénouement tragique du film
. Maintenant il a sans doute incendié une vraie boîte aux lettres , formant le chaînon que manquait aux plans historique, politique et formel pour relier Georges de la Tour et les Gilets Jaunes.

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 18 Nov 2019, 08:39, édité 1 fois.

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MessagePosté: 18 Nov 2019, 07:46 
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Vu récemment aussi. Me souviens plus de la scène de la boîte aux lettres :cry: j'avais des choses à dire sur le film, mais plus tant donc. Faudrait le revoir donc...


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MessagePosté: 19 Nov 2019, 18:02 
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Normal que la scène passe inaperçue et ne s'imprime pas en même temps sur la rétine dans la mémoire. L'un des aspects les plus frappants de l'esthétique du film est de dissoudre progressivement la distinction entre inserts montrés rapidement et scènes complètes, souvent en plans longs (dans les scènes de nudité ou celles montrant l'autel religieux du père notamment).

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MessagePosté: 05 Mar 2020, 08:47 
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Autant Le Plein de super et Thérèse (dont ma note est purement "détachée") me laissent froid, autant j'ai été cueilli par celui-ci. Je tente Un étrange voyage dans les prochains jours.

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Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)


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MessagePosté: 05 Mar 2020, 08:54 
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Oui j'ai écrit des conneries mais c'est un superbe film.
Autant un film comme Loulou de Pialat de la même année a peut-être vieilli et très programmatique (peut-être à force d'être imité) autant ce film a un mystère qui le rend les personnages quasi réels. Alors que paradoxalement on peut considérer que le film représente un diable de conte de fées

Le Combat dans l'Ile est en fait assez proche de ce film (et il y a un fil entre celui de Trintignant et Bohringer). Les personnages féminins sont assez proches, et surtout l'OAS et la prostitution fonctionnent paradoxalement comme des couverture du quotidien (plutôt que l'inverse)

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