ah tiens, déniché Samia sur une de mes VHS, je vais regarder ça, je te dirai...
sinon, la critique :
http://www.filmdeculte.com/film/film.php?id=1406
Pendant la guerre d'Algérie, le sous-lieutenant Roque est stationné dans un village de l'est algérien. Usé par le conflit, il assume tant bien que mal sa fonction, entre une population locale soumise à la répression et à la torture, et des soldats dont il doit entretenir le moral tout en maintenant sa vigilance. L'évolution de ses rapports avec Taïeb, un jeune soldat déchiré de souche nord-africaine, exacerbe les contradictions et l'absurdité de la "guerre sans nom".
RAVOIR VINGT ANS DANS LES AURÈS
Reproche récurrent formulé à l’encontre du cinéma français: son incapacité chronique à traiter de la Guerre d’Algérie. De cette croyance étonnamment ancrée – et pourtant facilement déboulonnable, du
Petit Soldat au récent
Nuit Noire 17 octobre 1961, en passant par
Muriel, Gloria Mundi, La Question ou
Avoir 20 ans dans les Aurès – on retirera au moins ceci que, à l’inverse du Vietnam pour Hollywood, l’Algérie ne dispose pas encore de son film de référence, faisant suffisamment autorité pour qu’enfin l'on considère que le sujet a été effectivement traité. Cette chimère, que l’on nommera outre-Atlantique
Full Metal Jacket, Apocalypse Now ou
Voyage au bout de l’enfer, le cinéma français n’a donc pas à la poursuivre, avec entêtement, aveuglement, ou constat d’incapacité à faire au moins aussi bien. Le nouveau film de Philippe Faucon est ainsi l’occasion de reconsidérer les forces en présence. Et de poser la seule question qui vaille: et si échapper à la tentation du bégaiement du film de guerre américain était, au contraire, une chance pour le cinéma français?
Détaché des obligations d’hommage ou de démarcation par rapport à un précédent illustre, Philippe Faucon invente donc sa propre Algérie, sans se soucier du courant. Produit miraculeusement (et non sans mal, les décideurs ayant, c’est leur métier, décidé despotiquement du sacro-saint "intérêt du public"),
La Trahison échappe avec un naturel confondant aux confortables sirènes de l’héroïsation ou du didactisme collégien, qui firent la fadeur, par exemple, d’un
Va, vis et deviens. Pas non plus de naphtaline sur les costumes de la reconstitution d’époque (un simple carton d’ouverture suffit), ni de grands discours humanistes. À tous ces maux-réflexes d’un certain cinéma français, Faucon substitue leur pendant inverse: l’humilité, la rigueur, la sobriété, la vérité au travail. Prenant pour base le témoignage de Claude Sales (paru en 1999 au Seuil), Faucon actualise l’Algérie des années 60, évitant les chausse-trappes du cours d’histoire, pour véritablement narrer au présent.
LA GUERRE DE L’ESPACE
Voici des uniformes français ensablés en Algérie. Ils errent de village en village, dans l’éternité d’une guerre enlisée (nous sommes en mars 1960), arpentent des villages muets, affrontent des visages fermés et agissent sans ferveur dans la défiance générale. Parmi eux, quatre Algériens mobilisés – pas des harkis, donc. Voici ces derniers, à leur tour, dans le même désert, dans les mêmes rues. Mais d’un pas différent, partagé, gêné. Entre ces trois pôles (les Français, les Franco-Algériens, les Algériens) se tendent puis se rompent des frontières invisibles, que l’on teste, que l’on malmène, que l’on bafoue, que l’on évite ou que l’on fait mine de ne pas voir. La caméra de Faucon, posée sur ces fils de nylon toujours prêts à rompre, en capture, avec une application toute bressonienne, les silences, les gênes et les pulsations ("On sait bien, depuis Bresson, combien la caméra peut révéler ce qui advient sur les visages, à l’insu de tous, acteurs comme réalisateur. Je guette cela. Ensuite, au montage, je peux souvent supprimer les phrases de dialogues: les yeux, la peau ont dit ce qu’il y avait à dire", confie ainsi Faucon aux Cahiers du Cinéma de janvier). La guerre de suspicion qui se joue alors à l’écran devient guerre de position, qu’une mise en scène de proximité rejoue en creux.
De tout l’art sec de Faucon (pondération des effets, importance des silences, neutralisation des performances d’acteur), c’est en effet le découpage qui impressionne le plus. Jamais bavard,
La Trahison procède pourtant sans cesse à des échanges de sens avec le spectateur. Savamment disposés sur l’échiquier de l’écran, les personnages vont par groupe selon les nœuds du récit: telle scission narrative imposera telle séparation spatiale (sous un même uniforme, soldats français et soldats algériens se toisent, en champ / contre-champ), telle confrontation impossible subira tels empêchements visuels (Taïeb, la petite fille, et entre les deux des barbelés)… Les enjeux, dès lors, deviennent aussi enjeux d’espace: murs, grilles, bâche d’un camion – tout ce qui sépare (barrière de la langue comprise) est ici signifiant. Et tout mouvement pour rejoindre, source potentielle de danger. Ce qui fait de
La Trahison le plus enthousiasmant film français du moment se joue là, dans l’attente de la rencontre entre ces espaces. Dans l’atmosphère, la densité, le vécu de cette attente. Et dans le suspense quant à l’ampleur des étincelles qui, à coup sûr, résulteront de cette confrontation.