"Pauline", mère-célibataire, est infirmière à domicile à "Henart", près de Douai. Son père, très malade, est un ex-syndicaliste CGT aux convictions communistes assumées, dévoué jusqu'au sacrifice mais amer et rigide. Au quotidien, elle aide surtout des personnes âgées et isolées à mourir chez elles dans leurs maisons mitoyennes, et des familles d'une cité, notamment une famille d'origine marocaine qui semble se méfier de l'hôpital. "Plutôt de gauche", elle n'est pas politisée, sans être pour autant une idiote : elle est consciente qu'elle appartient de facto par son métier, qui la met paradoxalement en contact avec la souffrance et l'exclusion, à une classe moyenne relativement privilégiée, et que c'est à la fois une force et un point aveugle. Son médecin de famille, et collègue, le sémillant Docteur Berthier, la convainc de façon plus ou moins insinuante de devenir tête de liste aux municipales pour le Rassemblement national populaire (RNP), un cartel qui permet au Bloc Patriotique qui en est la principale composante d'appâter des politiciens non professionnels. Il la met en contacte avec la cheffe de parti, la populaire mais énigmatique "Agnès Dorgelle", qui a évincé son père du parti et l'a repositionné sur une ligne plus consensuelle. Dans le même temps, Pauline renoue avec un amour de jeunesse, Stanko, entraîneur de foot, mais aussi skinhead en rupture de ban, impliqué dans des mouvements paramilitaires régionalistes.
J'éprouve de la sympathie pour le cinéma de Lucas Belvaux, même si j'en connais les limites : un systématisme ken loachien, mais heureusement compensé par le goût du récit et un rapport à la fois sincère et désabusé aux conventions du polar. Et j'aime son regard (plutôt réaliste magique) sur le Nord et la Belgique.
Mais là le film est raté, et on comprend que le FN ait cessé de l'attaquer. Le problème, c'est qu'il part d'un point de vue sur l'extrême de droite issu des années 1990, et tente de rattraper ce qu'elle est actuellement, sans y parvenir.
Ainsi la film oppose deux régimes d'images, le premier chabrolo-langien, qui traite des "vieux" électeurs, en filmant la télé qui est le média des années 80-90 par excellence. Il est alors très bon, très daneyien, et parvient à créer un forme esthétique qui à la fois complète et excède le propos politique. Vue sans être recherchée, elle crée à la fois de l'inquiétude et du silence; le populisme d'une ritournelle de Patrick Sebastien, les reportages à la Thalassa sur les merveilles modestes du terroir de France, un soporifique documentaire animalier sur la prédation, résonnent de manière diffuse et en partie codée avec la vision du monde de l'extrême droite, son nationalisme fait de complexes à compenser , de faux et trop neufs lieux communs, d'une mentalité à la fois nostalgique et obsidioniale.
Le film assume alors sa fascination pour le complot, ce qui le rend par moment puissant. Il l'est aussi par son très beau générique, et la musique de Frédéric Vercheval proche des parties "néo-classiques" d'Aphex Twin, mais avec l'adjonction d'une sorte d'hébétude sèche et cotonneuse, autant monotone que rassurante.
Le second régime d'images, qui est celui adopté les jeunes électeurs , est Internet. Là le discours du film échoue complètement, tombe une vision moraliste et caricaturale , digne d'un documentaire scolaire, qui ne dissuadera personne de voter FN. La question des réseaux sociaux est évincée et on présente la conception de site d'extrême-droite comme une lubie clandestine d'adolescent psychotique et mégalomane, corrompant peu à peu la famille, détruisant les couples en crise, réveillant les vocations de mégères endormies. Le film date d'avant Facebook et le blog BigBrother du Monde. Par ailleurs presque tous les enfants du film sont flippants, filmés comme une menace dont on deviendrait graduellement les victimes en vieillissant (quand le parti FN parvient discrètement à inverser ce rapport, en ayant foutu le père dehors et qualifié sa violence, il se légitime hors du réel et de la peur ; ses aspects les plus bureaucratiques en deviennent les plus aimables)
Il y a un régime intermédiaire, qui concerne les politiciens eux-même, qui est la radio, positionnée dans le film dans un angle documentaire (on voit Patrick Cohen sur France Inter, on entend France Bleu Nord), qui serait l'intersection neutre des deux formes précédentes de communication qui prises séparément sont populistes. Mais ce réel est foncièrement un discours de retour a posteriori sur les évènements, le tragique de l'engagement politique étant déjà joué dans le silence des familles et des chambres, que le pouvoir commente et interpète. Le vrai sujet du film est un peu le deuil que les médias font de leur rapport au réel. Là le FN est divisé en deux, le personnage de "Marine" est plutôt du côté de ce deuil et de cette mélancolie, tandis que l'aspect paramilitaire et violent du FN lui est indifférent.
Le film est ainsi piégé dans un double discours et une contradiction radicale: d'un côté il présente le FN comme une machinerie, un complot mabusien venu des coulisses (à Paris), qui vise de manière planifiée à créer dans l'ombre une prolongation d'un fascisme éternel (représenté dans le film par les milices et services de renseignement internes qui jouent le rôle de service d'ordre officiels et d'une police politique parallèle, que le FN récupère comme service d'ordre et purge ensuite à la manière des SA). Et à la limite il est là assez réussi.
De l'autre, quand il parle d'Hénart, il dit sans ambages que le FN récupère sur sa droite , remet dans le jeu électoral et éventuellement canalise un racisme et des frustrations qui se sont diffusées dans la société, qui l'ont lui-même dépassé. Le film essaye de concilier cette contradiction par un twist ridicule, involontairement ambigu et navrant de ridicule:
Le personnage de l'amant skin, était potentiellement beau et aurait pu être approfondi, mais le film le condamne et l'enfonce, par deux fois (du fait de son passé et de son intelligence politique dissimulée vis-à-vis du FN et par le silence qu'il n'a pu garder sur le fond pulsionnel de sa violence poltiique vis-à-vis de sa femme, scène ratée de violence cathartique et vengeresse qui annule pratiquement le film de l'intérieur). Finalement la prophylaxie politique du film réside surtout dans le fait de lui bloquer l'accès à classe moyenne. Le film aurait été bien plus efficace en lui offrant un autre destin, qui n'aurait pas signifié une adhésion à son passé, et atténué le typage de son caractère comme "magnétique-fascinant".
De même le personnage de Pauline est trop valorisé: c'est une Alice au Pays des Merveilles en bute à la violence des autres et remise in fine dans le droit chemin (... et en partie par le FN lui-même, qui lui trouve vite une remplaçante, de manière ambigue le perso, en fait protecteur de Marine le Pen, n'intervient d'ailleurs pas dans cette substitution). La violence reste trop commodément celle des autres et le facisme devient avant tout une forme de rapport à une "mauvaise" altérité. Chabrol aurait été à la fois plus efficace et franc en appelant un chat un chat et en posant de manière courte mais sans allusion la question de la part d'opportunisme et de goût du pouvoir refoulé dans le caractère d'une personne qui se lance dans un tel parcours. S'il nous faut impérativement croire à l'innocence de la personne séduite et à la réversibilité des vies pour rester de gauche, nous somme bien démunis.
Bien gênant : les femmes de la famille marocaine qui ont un accent arabe caricatural et exagérement déférent quand elles parlent de l'origine culturelle de leur islamisme plus ou moins modéré (quand Pauline a "raison" de leur opposer une perspective féministe ), et basculent soudainement dans un français régionalement neutre, combatif et soutenu (beaucoup plus crédible, car la langue réelle des actrices) quand elles reprochent à Pauline son adhésion et que celle-ci a "tort".