Autrefois nommé
La Vallée ou
Sous les basses terres en VF.
Le film est tourné entre 1940 et 1944, et sort en 1954.
Dans les montagnes espagnoles, un marquis endetté détourne une source d'eau pour ses taureaux. Petit à petit, les champs de ses paysans s'assèchent et la famine gagne, alors qu'une roulotte gitane arrive dans le village avec une danseuse à son bord...Ce film a quelque chose qui pique au cœur, car la place qu'il prend dans l'Histoire, comme dans la filmographie brisée de sa réalisatrice impardonnable, le colore bien plus que je ne m'y attendais. Le film confirme pourtant que Riefenstahl est une virtuose, peut-être même la première cinéaste "virtuose" dans le sens d'une certaine incapacité à incarner son récit, en fait : la première réalisatrice d'abord obsédée par une forme. Celle du romantisme allemand, perdue et pourrie par l'Histoire, qu'elle s'efforce de raviver en s'accrochant désespérément au muet (toute l'ouverture l'est d'ailleurs, muette), ou en s'obstinant à ne peindre que des tableaux : des scènes sans réelle avancée dramatique, qui disent la même chose du début à la fin, qui ne sont qu'un état mis en images (c'est criant par exemple dans la scène de Pedro à table avec les filles, au début du film). Certes, à une époque proche on a encore des cinémas qui ressemblent à ça : ça continue à beaucoup me faire penser au ciné de Disney, par exemple (c'est Fantasien en diable). Mais un ver ronge ce fruit-là.
Il y a deux défauts hurlants dans ce film, mais qui sont aussi les éléments salvateurs qui brisent le vernis, l'imagerie, qui donnent une identité à tout ce barnum. Le premier, c'est Riefenstahl actrice, qui n'a d'évidence plus l'âge (ni les talents de danseuse) pour incarner la jeune femme sublime, fraiche, innocente, qu'est censée être son personnage. Le film dégueule sans cesse l'image d'une actrice fatiguée, passée, usée, qui s'accroche à une jeunesse perdue - tout comme Riefenstahl cinéaste s'accroche à un passé idéalisé qui n'a jamais existé. Le second, c'est le vide : manque de figurants, de décors (de moyens, donc), mais aussi de personnages, de musique, de rythme ou de surprises qui viendraient remplir ces béances. Jamais de tentative pour combler le rien, pas de fausse énergie ou d'occupation hystérique du temps ou du cadre : comme un constat d'échec. Et le film semble donc toujours un peu "en deçà", évoquant très précisément une forme, celle de la série B. Forme noble s'il en est, mais qui est ici clairement vécue comme une faiblesse, tant la prétention de l'imagerie hurle chaque seconde à la grande œuvre recherchée. Bref, d'emblée, par ces deux aspects,
Tiefland fait figure de film blessé qui saigne dès qu'il fait la moindre tentative.
C'est fascinant parce qu'ainsi mariée à tant d'éléments du récit (le marquis décadent, la noblesse endettée sur sa fin, la mauvaise terre maudite et stérile, le village mesquin...), la décrépitude du film devient l'expression même de ce que son pitch nous raconte : le pourrissement de l'imagerie romantique, à travers la ligne du dernier personnage intact (qui renvoie d'ailleurs plus au fantasme d'une antique Grèce aux bergers qu'à l'Espagne) dont l'innocence va être brisée - homme enfant qui n'a jamais connu de femme, point limite de l'homme parfait et "pur" qui mène aux passages les plus étranges du film (ce moment où, à l'annonce de son mariage, il se roule en extase dans l'herbe, comme en transe ; ou encore ces gros plans d'amoureux crispés et effrayants).
Le film est constamment en échec dans son souhait de pouvoir encore incarner cette imagerie désormais maudite, et cette impression de malédiction qui plane
sur et
dans le film, et qui explose dans un final où ces deux dimensions semblent soudain se rejoindre, est totalement fascinante. J'hésitais à mettre le film au ciné-club à cause de ces défauts (réels et repoussoirs), mais j'aurais pas du, il est d'un mortifère saisissant - dont je peine à savoir à quel point il est conscient et volontaire.
Un extrait demain si le temps.
Concernant la copie : Le DVD allemand est très bien, mais attention, image entrelacée. Si vous êtes sur ordi, faut en passer par un désentrelaceur un peu perfectionné, sinon ça devient moche. Sous-titres anglais seulement sur le DVD, mais un inconnu a mis en ligne une très bonne traduction française sur le net.