Jean, honnête docker, aime Marie. Mais les parents adoptifs de cette dernière lui préfèrent un autre parti, Petit-Paul, un mauvais garçon aux manières violentes...J'ai beau avoir une vraie sympathie pour Epstein, il faut reconnaître que généralement c'est un cinéma qui ne "prend" pas. Qui aligne les idées, les propositions, les touches ponctuelles, parfois dans l'élan d'un débordement généreux (
Usher), parfois dans l'écrin d'une élégante limpidité (
Finis Terrae, qui s'en sort déjà beaucoup mieux), mais souvent sans autre effet qu'un rapport d'admiration : oh c'est joli, oh la belle idée.
Cœur fidèle est découpé en deux parties, et la première est l'exemple-même de cette carence du film à exister comme tel, et non comme réservoir à expérimentations. En s'imposant l'histoire la plus simple possible, récit épuré et absence d'imagerie, dans un désir visible de ligne claire (narrative comme visuelle), Epstein fait malheureusement d'autant plus ressentir l'essence illustrative de ses petites touches impressionnistes, lorsqu'elles viennent agresser la continuité. Plus grave, il fait ressentir combien le scénario d'origine ne l'intéresse pas, ne lui servant que de base pour explorer visuellement (la misère de certains trucs gratuits quand même, comme le cache en forme de cœur...), un peu comme on appâterait le spectateur par le récit pendant que, dans son dos, on irait jouer à l'artiste. Ça peut sembler salaud d'attaquer le film là-dessus tant il cherche à tenir une ligne rigoureuse et sobre, à ne pas faire le malin, mais malgré tout ça reste le fond de l'affaire : il faut vraiment la séquence de fête foraine, cette façon d'assumer le côté monstrueusement mécanique du projet, de faire du manège le centre des péripéties automatiques et le broyeur des personnages, pour que le film se mette à raconter quelque chose.
La deuxième partie, beaucoup plus modeste visuellement, est aussi plus mystérieuse et plus captivante. Dans un univers soudain converti au naturalisme sordide façon Zola, les amants honteux deviennent le centre d'une petit galaxie mentale : la chambre nue silencieuse, autour d'elle l'escalier dangereux et son infirme qui fait le lien avec le monde, et autour encore, un enchaînement de bars et de quais. Dans la lenteur presque irréelle de ces 45 minutes vénéneuses, où le couple ne fait presque que s'observer sans mot dire, où les gros plans hyperréalistes viennent déchiffrer les visages écarquillés de douleur, le film fait son nid, au diapason de l'enlisement honteux de ses deux personnages paralysés (scène assez absurde de montage alterné où le mari rentre, et où l'amant, qui a 3 minutes pour faire deux pas et se cacher, est tellement lent à sortir qu'il risque de se faire prendre). On ne sait pas bien où tout cela va, mais le film est alors un tout cohérent, préférant le mystère de sa mise en scène (l'ivresse du mari devant l'orchestre, tiens : un autre moment étrange et inexpliqué) au claironnement des effets déclaratifs/illustratifs.
Malgré l'univers et l'histoire qui ne paient pas de mine, c'est peut-être du coup le plus étonnant des films d'Epstein, celui qui ouvre le plus de perspectives - à défaut d'être le plus réussi ou le plus séduisant.
Concernant le blu-ray (MOC) : restauration impec, rien à redire. Ça fait du bien de voir des films de l'époque net, à la bonne vitesse, dans la bonne version, et sans problèmes en pagaille...