Et donc le petit topo de la première moitié des courts !
Les meilleurs sont en gras.
The Adventures of Dollie (1908)
Une petite fille se fait enlever par un bohémien qui veut se venger de ses parents. C'est le tout premier film de Griffith : on martyrise déjà une gamine, et c'est déjà raciste ! Si le court a d'évidence une valeur sur le plan du patrimoine, ce n'est pas bien transcendant... Le rythme est un peu aux choux, ca va pas chercher son bonheur très loin. Après, il est curieux de voir combien c'est déjà relativement assuré dans le choix des angles, combien tout le récit obéit déjà à une logique zarbi de gamin (voyage en tonneau, yeah !). Et c'est bizarrement bien moins "tableaux" que tous les courts qui vont suivre juste après... Dur de juger de toute façon à partir d'une copie en impression papier, qui a la finesse visuelle d'un screener.
Corner in Wheat (1909)
Les conséquences de la montée du cours du blé, côté actionnaires et côté paysans. J'en ai déjà parlé un peu au-dessus : c'est un court où on sent vraiment le style en tableaux prendre de l'ampleur. Le film débute par le plan énigmatique du grain qu'un fermier tâte, puis par l'aller-retour au labour sur un champ - aller-retour qui semble d'abord aléatoire, et que le film légitime par la façon dont il ferme le récit, dans son dernier plan. Ce rythme calme assez inhabituel chez Griffith, qui alterne avec l'hystérie des marchés, explose de manière totalement inattendue dans le plan de la chute au grain, chaos soudain complètement excité qui vire limite à l'abstrait : le passage est superbe. Dommage que le reste ne soit pas toujours très inspiré (les passages à la boulangerie), se vautrant dans le pamphlet social pour les nuls.
These Awful Hats (1909)
Une sorte de pub pré-séance pour demander aux dames d'enlever leur chapeau. N'importequoit'esque, bâclé, et sans intérêt, sinon technique (un système de cache/projection assez zarbi).
The Sealed Room (1909)
Le roi construit une salle intime aux fenêtres scellées pour sa favorite. Un exemple-type de la veine sadique et claustro de Griffith, qui ne fait cependant pas le poids avec ce qu'il pourra produire plus tard. La façon de remplir/vider l'espace, en flux et reflux successifs, est pas inintéressante, mais ca reste tout léger. Seul truc assez remarquable : la prise de conscience de la mise à mort, qui commence par un jeu très théâtreux-outré face caméra... et qui tient, sans lâcher. La fille continue en effet de regarder le public pendant que son compagnon s'active à chercher une sortie, sans nous quitter des yeux, comme si elle comprenait : "vous, vous étiez au courant". C'est très fort, pas très long malheureusement, et ca suffit pas à sauver le film de l'anodin.
The Usurer (1910)
Le déroulé de la nuit d'un propriétaire terrien et des familles qu'il déloge. Un remake à peine voilé de
Corner in Wheat, message social compris, avec les plus gros sabots DU MONDE. Et ben c'est excellent, notamment parce que c'est sans doute le court où l'esthétique en tableaux est poussée à son comble, avec une réelle élégance, une conscience de l'effet, un montage alterné qui sert autant à doper la narration qu'à créer des échanges et des rimes, des mariages étranges (la fille assise qui s'ennuie et la fille assise qui se meurt, le plan du festin en guise de coup de feu, le retour de la vue d'un cadavre pour suggérer au personnage qui se débat que ca ne sert à rien...), le tout dans une épure constante qui donne au film un côté très abstrait, très conceptuel. Le film se fait meilleur au fur et à mesure qu'il avance, jusqu'à l'habituel éclair de sadisme (l'asphyxie), et la maîtrise narrative est enfin complète. Bref, très bon, et pour les curieux y a Marie Pickford gamine dans un petit rôle.
The Unchanging Sea (1910)
Un marin parti en mer fait naufrage et perd la mémoire. Le décor et l'imagerie offrent une certaine ampleur, mais Griffith se prend un peu les pieds dans le tapis en s'essayant à un rôle purement illustratif : le film est en effet calqué sur un poème (joli d'ailleurs), et se contente de chercher à faire les plans les plus iconiques possibles. Tout le côté noble et tenu de ses cadres, habituellement si aisé chez Griffith, se parasite ici de poses tendues un peu gauches. La deuxième partie accolée au poème, qui essaie de réinjecter en loucedé une dimension narrative, est assez bordélique et bâclée (l'acteur insupportable aide pas des masses).
His Trust (1911)
Avant de partir combattre à la guerre de sécession, un riche propriétaire fait promettre à son esclave de protéger de sa femme. Un peu con de la part de Kino de nous proposer ce court, segment d'un programme en deux parties, sans nous en proposer la seconde moitié... Le film a vraiment la gueule d'un brouillon à
Naissance d'une nation (idéologie craignos incluse), et donne surtout la mesure d'un ciné qui est à présent en pleine maîtrise : moins d'obsession pour le beau plan conceptuel, une efficacité plus souterraine qui fait sont effet sur le long, une capacité à faire bouger beaucoup de monde à l'écran sans effet de foutoir... Griffith réussit quelque chose de vraiment bien avec l'actrice, froide et digne. Mais à part la flambée progressive d'une maison (où Griffith se paie le luxe de ne filmer que la porte d'entrée...), ce court plutôt efficace ne marque pas plus que ça.
Enoch Arden (1911)
Une jeune fille hésite entre deux amants qui la courtisent. Celui qu'elle choisit se fait marin... Reprise du décor et d'une partie du canevas d'
Unchanging Sea pour en faire un film bien plus ambitieux. La durée (30 minutes) aide sans doute a mieux broder le récit, mais le film dans son ensemble est de toute façon bien plus achevé et charismatique. C'est le Griffith le plus doux que j'ai vu (longs compris), dans une atmosphère romantique et mélancolique, un poil mortifère aussi : la souffrance ne se hurle pas, elle se ressent en creux. Narrativement, c'est bien plus complexe et développé que les autres courts de ce DVD, plus équilibré par sa structure discrète en trois parties, relevé par une fin inattendue et élégante. Parfaitement rythmé, discrètement onirique... A part les séquences sur l'île déserte gentiment ridicules (mais bon, bout à bout ca doit faire une minute), c'est vraiment un beau film.
The Last Drop of Water (1911)
Une caravane de diligences traverse le désert. Après une attaque indienne, l'eau vient à manquer... C'est un western, en fait, mais un western bien mal foutu, plein d'ellipses un peu aléatoires et sans réel rytme, uniquement tenu par l'imagerie et le decorum (figurants, poursuite finale derrière les indiens, etc.). C'est dommage, j'aurais bien aimé voir certaines étrangetés réellement exploitées : le mariage du genre avec la double romance, le personnage du soupirant déçu qui veille sur le couple de loin, le revirement final plutôt joli. Ca reste bien trop brouillon, même si on attrape de beaux plans ci et là, et que Griffith assure sans soucis la poursuite.
The Miser's Heart (1911)
Devant laisser sa mère malade au repos, une petite fille déambule dans son immeuble, se retrouvant nez à nez avec les voleurs du quartier. Aaaaah, les névroses de Griffith : on commence en se disant que c'est trop meugnon cette comédie, suivre cette gamine qui fait buddy movie avec les gangster égarés... gamine que soudain on ligote, qu'on bâillonne, et qu'on pend dans le vide par la fenêtre. Encore une pure de logique d'enfant à l'œuvre (sadisme compris) dans ce petit film absurde et vif, aux croisements de personnages multiples, qui une fois lancé ne lâche pas le rythme une seconde. Le mêlange comique/glauque, assez rare chez Griffith, fonctionne très bien en plus.
The New York Hat (1912)
Suite à un curieux testament, un pasteur est amené à payer un onéreux chapeau à une jeune fille pauvre. Semi-mélo, ce court respire l'aisance : on voit arriver les plans rapprochés, les angles vraiment variés, la fluidité du jeu d'acteur (toutes les scènes à la boutique par exemple). On sent vraiment que le style Griffith a changé, les tableaux disparaissent. D'ailleurs, c'est assez révélateur, il était presque impossible de trouver un photogramme correct : tout passe par le mouvement, sans eux la construction des plans est invisible. Si on retrouve ici pas mal de choses qui feront l'univers des longs (la jeune fille un peu simple, les adultes secs et la violence du père, un perso généreux confronté aux habitants en meute, l'aspect fable), le film apparaît un poil dépassionné. Ça marche hein, mais y a rien qui vienne lui donner un réelle personnalité, on dirait du Griffith en mode automatique. Reste Pickford déjà moins jeune, qui tient un peu l'ensemble sur ses épaules.
An unseen Enemy (1912)
L'héritage de deux sœurs orphelines attise la convoitise de leur servante. Alors ça, c'est un putain de bijou ! Y a même un fossé assez sensible avec le reste des courts, même les meilleurs, et la raison est pas très difficile à trouver : les deux sœurs Gish. Pas seulement parce qu'elles jouent bien (enfin Lilian Gish est déjà en pleine maîtrise, c'est impressionnant), mais parce que manifestement l'image de ces deux quasi jumelles réveille Griffith. Le film est constamment inspiré, nerveux, passionné, alignant les scènes singulières : le champ solaire où l'on regarde de loin sa petite sœur refuser un baiser, la course poursuite paniquée en voiture, le huis-clos phobique et hystérique... C'est superbe. J'avais lu y a un moment, pour autre chose, un bout de l'autobiographie de Lilan Gish où elle racontait leur première audition avec Griffith, qui les dirigeait en direct :
« Bleue, vous entendez la porte craquer. C’est la panique, il faut vous sauver (…). Courez vers le téléphone. Décrochez. Pas de tonalité. Les fils ont été coupés. Dites à la caméra ce que vous ressentez. Vous avez peur, plus peur que ça ! (…) Quelle angoisse ! Montrez cette angoisse. (…) Non, plus que ça ! Agrippez-vous l’une à l’autre, petites filles. Blottissez-vous dans le coin de la pièce ». Sur ce, il tira un véritable revolver de sa poche, et commença à nous poursuivre tout autour de la pièce, en vidant son chargeur. Nous ne nous rendions pas compte qu’il visait le plafond. Je ne sais pas si c'était une audition pour ce film, en tout cas ça y ressemble et c'est exactement ça, le réal qui jouit à l'idée de prendre les figures les plus innocentes possibles et de les terroriser... Bref, c'est un concentré de ce qu'il y aura de meilleur dans les longs.
Voilà, désolé pour le pavé, au moins ça pourrait aider les curieux à faire un tri. Je vois la deuxième moitié dans la semaine...