C'est là que j'l'ai vu.
Copie arrangée et
amendée du mail envoyé à Gerry après la projection :
"Alors je suis partagé, je sais pas trop bien quoi penser du film.
Ce qui est beau, c'est qu'il m'a l'air d'une grande sincérité, qu'il m'a l'air de vraiment ressembler à son tournage et que déjà ça, c'est une force.
Tu m'avais tellement sous-vendu le film
(Gerry m'avait assuré que je détesterais) que je me suis surpris à être énormément pris par tout le début, qui m'a vraiment passionné pour l'expérience esthétique poussée au bout, et sa vraie belle articulation avec la narration. Moi l'accident j'y étais, j'y croyais, l'enterrement, l'animal à l'arrière-plan, les zooms numériques, etc. J'aime bien ce numérique repoussé dans ses derniers retranchements, cette mise à l'épreuve-là. Et puis aussi les retours au clame plus classiques, le bel échange avant l'enterrement autour de la pipe, j'aime énormément.
Après, je sais pas, ça m'a soudain moins intéressé, toute la séquence où le type monte sur le toit en peignoir, je trouve que ça ne marche pas, qu'on pense trop à la présence de la caméra, j'ai l'impression que ça se joue sur la distance, non que le gros plan me gêne en soi, mais là souvent le gros plan est ostensiblement trop près de son motif, y'a même limite un peu de déform fish-eyisante, c'est bizarre parce que d'un coup ça fait étrangement amateur, poseur, voire complaisant.
(réponse très honnête de Gerry : "Effectivement le taï-chi est à la mauvaise focale, et surtout après, la coupe de cheveux, c'est le grand festival du n'importe quoi (comme des cons on avait revu Julien Donkey-Boy la veille et on s'est amusé à faire une séquence avec la caméra qui papillotte pour le plaisir de papillotter... nawak). Et pareil quand tu parles de "grotesque tendance ridicule (les plans en contre-plongée sur le visage du mec pendant la scène de baise)", gros pêché mignon, ça nous fait marrer donc on l'a gardé, mais c'est clairement injustifiable et mauvais. Et pas mal d'autre choses comme ça...")Et le film fonctionne un peu sur moi comme ça tout le long, en dents de scie, parfois je suis bluffé par l'expérience esthétique, parfois elle me saoule (tu mets la rétine dans des conditions extrêmes n'empêche, faut pas avoir peur de la migraine oculaire)
(Gerry : "désolé pour la migraine rétinienne... moi ça me fait rien (de violent je veux dire), et je préfère toujours ça au dernier beauvois..." tu m'étonnes!)parfois je ne suis carrément plus intéressé, parfois je trouve que c'est soudain grotesque tendance ridicule (les plans en contre-plongée sur le visage du mec pendant la scène de baise, ou certains ralentis, comme la mort du garagiste par exemple), mais ceci au milieu de trucs superbes.
Mon problème c'est que je me perds sur la longueur, que je ne sais pas bien à quoi mène, à quoi rime le film. En sortant j'avais l'impression que parfois vous ne choisissiez pas, que vous mettiez tous les plans dans le montage, qu'à vous apensantir quinze ans sur le moindre frémissement de peau, ça virait au système, à la complaisance un peu. Et que ça le méritait pas, que ça méritait pas la longueur
(j'ajoutais ensuite que ça méritait p-ê pas le long métrage, à quoi Gerry m'avait répondu, en grande partie à raison : "dis-toi que la première version faisait ses bonnes 3h10... On a vraiment élagué énormément, essayant d'être les moins complaisants possibles, mais apparemment tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. Réduire pour vraiment recentrer sur le groupe et sur le personnage principal, sur son obsession de la mort, du geste de tuer, comme seul antidote foireux à sa propre inexistence, qu'il va transformer en inhumanité... Bon je veux pas rentrer dans l'analyse du film, ça ferait type qui s'auto-suce, mais s'il peut paraître abscons ou disparate, comme dirait arthur, "ça ne veut pas rien dire"."
puis, plus loin dans son mail, en post-scriptum : "je trouve ça complètement débile de dire que ce film ne « mérite pas le long ». Y a pas à faire de distinctions entre long et court, ou fiction et docu ou jsais pas quoi, film est film, on a pas fait ça pour se la péter genre « ouais on est à la fémis et au lieu de faire un court on a fait notre premier long », le fait est qu'on voulait filmer tout ça (même beaucoup plus, vu ce qu'on a coupé au montage), raconter un truc qui prend sur la longueur (la déshumanisation d'un homme)... dire d'un film qu'il mériterait 20 minutes de moins, 40 minutes de plus, n'importe, ok, dire qu'un film ne « mérite pas le long »... c'est entré dans un cloisonnement CNC selon moi. Un long-métrage, ou un court, quoique ce soit, ça se fait, ça se mérite pas. Comme si un long se méritait et pas un court. Bref..."
alors j'avais oublié de répondre, donc je le fais là : j'ai été maladroit, je ne reprochais pas en soi le fait que ce soit du long ou du court, ce n'était pas un reproche "administratif", c'est juste que devant le film, parfois je m'ennuyais et qu'il me semblait qu'il aurait gagné à être ramassé, et de fait, par projection mentale, il me semblait qu'on pouvait p-ê passer en-dessous de l'heure, que le film y gagnerait éventuellement, que certaines choses se complaisaient dans la longueur, et non pas que c'était prétentieux de vouloir faire un long)Mais je peux pas rejeter le film, certaines choses me plaisent énormément, le très bel hommage à L'Étranger par exemple, qui est presque parfait justement dans son expérience de montage et de mise à l'épreuve du numérique (je dis presque parfait parce que je trouve que le moment où il finit par appuyer sur la gâchette, vraiment la toute fin de la montée, est trop appuyé au montage, que vous dépassez de peu le moment où ça fait "trop", on avait déjà compris). Et puis toute la séquence de bouffe à table aussi, qui est vraiment belle, sauf p-ê sa toute fin. J'aime bien la piste lancée là, quand un personnage dit qu'on va "changer de film", je me disais que vous alliez faire un truc couillu de vraiment rompre avec le reste et de continuer cette piste de film bavard, qui pour moi était un peu La Maman et la putain chez Lynch, et je trouvais ça beau que le film soit tranché comme ça en son milieu.
La suite m'intéresse moins, voire me semble redire une certaine modernité d'errance violente, à la Gallo etc.
D'ailleurs la violence finale, je ne la comprends pas, elle me semble une pirouette pour achever une trajectoire qui s'était épuisée. J'aurais aimé que ça aille davantage quelque part.
(à quoi Gerry me répondait, et c'est une explication complètement recevable, que la violence était " justifiable de trois manières : juste un type qui embobine des toubabs et les dépouille (d'où les converses et le sac adidas); ou alors c'est l'Arabe qui prend sa revanche contre les Colons et récupère l'or qu'on lui a volé; ou bien il n'est lui aussi, comme les autres personnages principaux, qu'une émanation du personnage principal, dont il va se débarasser pour atteindre SA liberté... Dans tous les cas une gratuité et une violence qui parachèvent les autres morts du film, tout aussi absurdes et gratuites (celle de l'ouvrier, du garagiste, celle du fils dans l'histoire du vieillard...) Branlette branlette...
Bref, on retombe effectivement un peu sur nos pattes sur la deuxième partie, plus attendue, plus dans ce truc entre gerry brown bunny et les rapaces, en moins bien, on aurait sans doute trouvé mieux en ayant du temps pour l'écrire. Ce sera pour la prochaine fois. Y a quand même des trucs que j'aime bien : l'anti-hippysme du road-trip (merde la voiture est en panne), le personnage du rebeu à la fin, le trip sur les chaussures et la terre qui essaie d'englober les personnages, le retour de l'amitié et de l'humanité quand son pote le tabasse sur le lac salé..."
d'accord avec ces dernières remarques) Enfin voilà, comme d'habitude avec tes films jusqu'à présent, je suis enthousiaste face à leur envie sincère d'inventer un langage de mise en scène moderne et vraiment propre, unique. Mais j'aimerais réussir à être touché, ensuite, à entrer vraiment dans l'univers, et pas dans la seule promesse expérimentale."