Il y a 20 ans de ça, Wim Wenders alors qu’il était en compétition au festival de Cannes, réunissait ses confrères pour leur poser la question suivante : « Le cinéma est-il mort ? ». Une question pour le moins troublante ! Il y a 20 ans, le cinéma n’avait pas 100 ans! Il y a 20 ans, la crise du cinéma que l’on connaît actuellement était d’actualité et elle ne fait qu’amplifier. Quelles sont les raisons de cette crise et les perspectives d’avenir du cinéma de nos jours?
Le cinéma fête en 2006 son 111ème anniversaire et, depuis ce 28 décembre 1895, il a connu une évolution considérable, de l’expressionnisme allemand au cinéma d’auteur des années 80 en passant par le néoréalisme italien et la Nouvelle Vague. Mais aujourd’hui, le cinéma n’appartient plus à rien si ce n’est au cours de la bourse. Il n’a plus de port d’attache, plus de famille, plus de foyer. Le cinéma est orphelin. Ses représentants se font de moins en moins nombreux chaque année et ses ennemis croissent chaque jour. La machine hollywoodienne devenue plus commerciale que créative, broie tout sur son passage. Les producteurs et autres grands dirigeants commerciaux n’ont de cesse d’émerveiller le monde en prétextant que la production cinématographique s’accroît chaque année, que le cinéma devient de plus en plus indépendant. Cependant, combien de ces films resteront dans la postérité ? Combien de ces films méritent-ils le titre d’œuvre d’art ? Et puis, méritent-ils seulement d’être vu ? Certes le cinéma est dépendant de son public. Un film demande un financement considérable. Il se doit d’être « rentable » au Box office. Un film, de la conception du scénario jusqu’à sa sortie en salles, passe par d’innombrables étapes et fait appel à un nombre conséquent de gens aux compétences extrêmement diverses et variées. Il demande une conviction, une foi, une volonté de fer imperturbable de tous ceux qui y participent. Le réalisateur ou le producteur, doivent livrer une bataille acharnée pour mener à bien leur projet devant les investisseurs dont l’argent est la principale préoccupation. Car le film dépend d’un marché, d’un spectateur, d’un consommateur et de la fluctuation de telle ou telle monnaie. A partir de là, l’appellation de 7ème art perd de sa valeur. Les films sont réduits à l’état de produit, à des chiffres ! Un produit qui est façonné selon une demande où l’on utilise tel acteur parce qu’il est « bancable » et tel genre car il est florissant (la tendance actuelle n’est telle pas les Biopics et les films sur les homosexuels ?). Un réalisateur (si l’on peut lui attribuer ce titre) comme Michael Bay, qui représente la déchéance du cinéma actuel dans toute sa splendeur, ne possède aucune créativité quelque qu’elle soit. Il représente ce cinéma « popcornien » et remporte le prix de la filmographie la plus riche en navets. Demandons-lui si en réalisant des films tels que « Bad Boys » ou « The Island » Monsieur Michael Bay s’inscrit en tant que commercial ou en tant qu’artiste ?
L’artiste n’est-il pas celui, s’étant octroyé les règles de son art, les dépasse et s’inscrit dans l’originalité ? N’est-il pas celui qui cherche continuellement à repousser les limites de la création où à sublimer un genre particulier ? Stanley Kubrick ne s’est-il pas essayé à plusieurs genres (science-fiction, drame, guerre, horreur …) et n’a-t-il pas inscrit ses films dans l’Histoire du cinéma, porté par une vision nouvelle de son art ? Quentin Tarantino, aussi critiqué soit-il, n’a-t-il pas révolutionné le cinéma des années 90 et n’a-t-il pas, à travers ses œuvres, influencé des générations de cinéastes ? Générations qui ont dut mal par ailleurs à le surpasser ! Tarantino, cinéphile acharné, enfant terrible du cinéma, respirant le cinéma, ne se porte t-il pas garant de sa survie en nous faisant redécouvrir film après film des genres dépassés ? Orson Welles n’a-t-il pas révolutionné par une forte conviction et un véritable génie artistique la face du 7ème art avec Citizen Kane, qui trône depuis dans le hit-parade des meilleurs films de l’histoire du cinéma ? Et cependant, Welles n’avait-il pas 26 ans quand il a réalisé Citizen Kane ? Et n’était-ce pas sa première œuvre ? Et les Scorsese, Kusturica, Jarmusch, Cronenberg, Wenders, Almodovar, grands cinéastes de notre temps, auront-ils des successeurs dans l’avenir ?
C’est dans Orphée que Cocteau fait dire au poète « Que dois-je faire ? » et la réponse est « Etonne-moi ». Une grande partie de l’art moderne ne remplit pas cette condition… C’est de l’art soit, mais cela ne nous remplit pas d’admiration et de surprise, cette magie que doit susciter le cinéma ! Dans certains domaines, la musique en particulier, un retour vers le classicisme est nécessaire afin d’arrêter cette recherche stérile de l’originalité. Les films bien sûr sont loin de ces problèmes parce que l’attitude à l’égard du cinéma est si profondément conservatrice. Les films pourraient aller beaucoup plus loin qu’ils ne vont actuellement mais nous assistons à une stagnation créatrice et visuelle du cinéma !
Le cinéma français, de son côté, tente désespérément de garder son image de père du 7ème art en cherchant à se détacher du cinéma d’action hollywoodien si stérile et répétitif. Mais sa nouvelle génération, portée par des Dahan et autres Siri ou Chapiron, ne fait que des sous-produits pour un public ciblé. Pis encore, ils finissent par traverser l’Atlantique (attirer par le rêve Hollywoodien) afin d’être soudoyer par les maisons de production et participer ainsi, un peu plus, au massacre du cinéma.
C’est pourquoi le cinéma va mal. Il crie sa douleur de toutes ses forces mais ses plaintes, couvertes pas le bruit des machines à sous, ne semblent atteindre personne. Il est certain cependant que le cinéma continuera de vivre, que les artistes ne cesseront de créer et que Cannes, Berlin et Venise garderont, tant que faire ce peut, la flamme du 7ème art aussi intacte que possible.
Mais ces artistes sont en nombre trop inférieurs et, étouffés par les blockbusters, restent méconnu du grand public. Un grand public qui, totalement submergé par le pouvoir de l’image, se laisse manipuler par ces grands produits à l’apparence si alléchante. Le spectateur est désormais conditionner pour recevoir tel ou tel film. Il ne s’agit plus ici d’art mais d’étude de marché où l’on conçoit un film comme l’on conçoit une publicité (vendre un produit coute que coute) et où l’on ne répond plus à l’inspiration divine de l’art mais à une demande et un orgueil démesuré. C’est ainsi que Spielberg s’engage à réaliser Indiana Jones 4; que les français renouent avec le personnage de François Pignon dans La Doublure ; que Fast and Furious 3 s’apprête à voir le jour ; que les remakes d’Evil Dead, La Mouche, Les Oiseaux sont prévus ; que Frank Dubosc met avec Camping l’un de ses sketchs sur grand écran, son collègue Dany Boon suivant le même chemin ; que l’on prévoit à Superman Returns un deuxième opus ; que Zidane apparaîtra très prochainement sur nos écrans ; que Da Vinci Code de Ron Howard fera l’ouverture du prochain festival de Cannes ; que Resident Evil se verra bientôt passer au stade de trilogie ; qu’un Saw 3 est en chantier, tout comme un Hostel 2, un Scary Movie 4, un Rambo 4, un Rocky 6, que Van Damme réalisera son prochain film d’après un scénario de sa propre composition ( !) ; que Luc Besson donnera vie à son roman Arthur et les Minimoys, etc, etc, etc. La liste est très grande mais la douleur l’est beaucoup plus.
Voilà donc un aperçu des « perles » que nous réservera le cinéma dans les prochains mois.
Le cinéma est-il mort ? Non, mais il est gravement malade. Pourra t-il y survivre ? La question demeure sans réponse. C’est une lutte qui doit être engagée pour la survie du 7ème art. Une lutte pour continuer à rêver, assis confortablement, dans les salles obscures. Les frères Lumières auraient-ils dévoilé ce 28 décembre 1895 leur œuvre s’ils avaient sut ce qu’aujourd’hui elle subit ? Pensez y …
Benjamin Merlet et le GRC
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