Bon, c'est le temps d'écrire ma première longue critique. J'attendais d'avoir l'opportunité d'ouvrir un topic. Et comme personne ne semble avoir vu Turbo Kid, je me lance. Il s'agit d'une adaptation du court T for Turbo réalisé par le collectif RKSS pour le concours ABC's of Death. Un court qui ne s'est finalement pas retrouvé dans le film à sketch, mais qui a permis à Jason Eisener (Hobo with a Shotgun) de les repérer et de leur proposer d'en faire un long. Une sorte de mélange improbable entre Mad Max (sur BMX) et Mega Man qu'aurait pu réaliser le Peter Jackson de Brain Dead.
Le court était un peu quelconque, mais la version long métrage est l'une des expériences ciné les plus jubilatoires depuis des lustres. Depuis les années 80?
Voici un peu pourquoi...
Alors que le cinéaste Joe Dante nous racontait des histoires à la manière des films des années 50, certains créateurs d'aujourd'hui nous raconte logiquement les leurs à la manière des films des années 80. Pour leur premier long métrage, Turbo Kid, les réalisateurs québécois François Simard, Anouk et Yoann-Karl Whissel du collectif RKSS (le court Le Bagman) nous livrent donc un vibrant hommage aux films "gore" et post-apocalyptiques des années 80 (qui se déroulaient souvent dans le futur dévasté de 1997!).
Certains pastichent les œuvres qui les ont marqué, d'autres font des déclarations d'amour. Ici, on baigne dans l'amour fou. Et ça en frôle le fétichisme. Ce n'est pas pour surprendre si lors des premières, les trois cinéastes accueillaient les spectateurs munis d'artefacts appartenant aux héros de Turbo Kid. C'est l'esprit des années 80 qui a fait son chemin. L'esprit selon lequel un film ne se limite pas à son simple visionnement en salle, il doit se propager dans notre quotidien. En sortant de Star Wars, quel môme n'a pas eu envie de se procurer un sabre laser en "plastoc" et de prendre la place de son héros? C'est là tout le coeur de Turbo Kid. L'histoire d'un gamin qui trouve le costume de son héros dans des décombres, et décide de le revêtir pour affronter un tyran (joué par Michael Ironside!). Turbo Kid est en fait le récit d'une filiation. Celle entre un héros disparu (Turbo Rider) et son admirateur (Turbo Kid). Celle entre une génération de cinéastes et une autre. Car c'est en voulant revêtir l'attirail de leurs héros cinéastes (probablement les Sam Raimi, Peter Jackson, et George Miller d'hier) que les membres de RKSS ont mis en mouvement leur créativité. La caméra s'est donc substitué au sabre laser. C'est le récit de ce cheminement qui semble avoir été mis en abyme dans ce Turbo Kid.
On dira ce qu'on voudra des gadgets et du "merchandising", mais Turbo Kid nous prouve que ça n'a pas engendré que des fétichistes capricieux, ça a aussi stimulé l'imagination et la créativité de beaucoup de gamins voués à devenir des raconteurs. Et c'est cette idée que le film semble vouloir propager. L'idée que les rêves d'enfants ne sont pas toujours vains. Ce propos, certes naïf mais touchant, s'articule magnifiquement à travers la relation entre Turbo Kid et Apple (la survivante complètement toquée). Il s'agit de la belle surprise du film. Alors qu'on aurait pu s'attendre à une simple succession de scènes “gore” et de moments délirants, le film possède un cœur. L'interprétation de Munro Chambers et Laurence Leboeuf créé de belles flammèches. C'est par leur jeu plein de bonhomie et de candeur qu'on finit par croire à ce “rêve” filmique (malgré le côté fauché de la production). L'enthousiasme excessif d'Apple nous aspire complètement. Elle vole le spectacle. Turbo Kid ne pourrait exister sans la foi qu'elle met en lui. Par son énergie folle, elle personnifie la volonté du héros, sa double moitié maniaque. (comme ces partenaires de combat dont on se fait affubler dans les jeux vidéo). Elle apparaît d'ailleurs comme par magie, sur la balançoire à côté de lui, alors qu'il est plongé dans la lecture d'une BD sur Turbo Rider. Elle le surprend dans ses rêveries, lui vouant déjà une fidélité absolue, celle des meilleurs amis. Elle est celle qui croit. Celle qui vient catalyser les forces latentes du Kid. Et il n'est pas improbable que cette relation tonique renvoie par un espèce de jeu de miroir à l'amitié étroite qui uni les RKSS: Anouk et Yoann-Karl (frères et sœurs), Anouk et François (couple dans la vie et dans la création). Turbo et Apple seraient les vecteurs de cette idée qui propose de se réunir pour que l'imagination se concrétise.
C'est cette dimension vaguement autobiographique qui distingue Turbo Kid de la vague actuelle de productions nostalgiques. En un seul long métrage, on comprend tout de suite à quels réalisateurs on a affaire émotionnellement. Alors que sur le même terrain, on ne sait toujours pas qui est Robert Rodriguez à part un fanatique du cinéma d'exploitation. Ici, les auteurs racontent qui ils sont, peut-être même sans le savoir d'ailleurs (ce qui est d'autant plus intéressant). On sent une part d'eux en tout cas, un désir de proximité, de contagion. C'est ce qui permet à leur film de décoller du simple exercice de calque. Certes, RKSS fait de la copie. Le scénario reproduit énormément de clichés. Mais les auteurs s'intéressent tellement au cœur que l'imitation n'est jamais trop rigide. En fait foi la direction-photo de Jean-Philippe Bernier qui reproduit les textures des années 80 sans jamais les laisser dégouliner, ainsi que cette musique du band Le Matos (J.-P. Bernier [encore!] et Jean-Nicolas Leupi) qui vogue entre les synthés “eighties” et les sonorités 8-bit des jeux vidéo sans jamais se faire trop criarde. On arrive à évoquer plutôt qu'à assommer, et c'est pourquoi l'expérience sensoriel est réussi. Bien sûr, le film est parfois tonitruant et le sang éclabousse pas mal, mais c'est pour mieux s'opposer à l'extrême naïveté des protagonistes. En somme, Turbo Kid est l'excellent travail d'équilibristes ballottés entre leur déférence à un genre hyper violent et leur envie de raconter une histoire candide et touchante de façon subtile et personnelle. Plutôt unique.
Oh! Il y en aura certainement pour trouver Turbo Kid “bas de gamme” et ringard comparé aux standards d'aujourd'hui. Certains lui reprocheront un manque de profondeur et d'audace scénaristique, ou bien un jeu caricatural de la part des acteurs. Mais ce serait ne rien comprendre à l'expérience, qui s'apparente à un bricolage ludique sur les clichés et manières “eighties” de faire du cinéma. Une oeuvre sur laquelle il serait de bon ton de s'épivarder si on la trouvait sur un mur d'un musée, mais qui risque fort probablement d'être boudé à travers le médium cinéma (qu'aujourd'hui la majorité réclame réaliste et profond avant d'être candide). Mais cette marginalisation en devenir de Turbo Kid est plutôt une bonne nouvelle en cela qu'elle aide le film à atteindre le statut qu'il souhaitait dès le départ, devenir un film culte auprès de petits groupes de marginaux, relancer des passions secrètes. C'est ainsi que de nouvelles familles de créateurs passionnés se formeront à leur tour en mode “guérilla” pour créer avec des ficelles ce que les gros studios ne voudront pas produire avec des cordes. Turbo Kid est donc de la plus haute utilité, surtout à cette époque où de nouveaux films “Star Wars” et “Terminator” tentent de renouer de façon mercantile avec l'esthétisme du passé, budgets faramineux déployés. Il est plus que rassurant de voir des créateurs comme RKSS véritablement aimer les formes révolues sans jamais vouloir les surpasser (le dépassement est une chose que bon nombre de productions actuelles réussissent à faire en chassant la candeur à coup de sophistication visuel et de cynisme.). Il y a quelque chose d'attachant de voir des créateurs qui n'oublient pas d'où ils viennent et qui ils sont. Souhaitons qu'ils nourrissent encore longtemps cette promesse d'un cinéma qui n'appartiendrait pas à des producteurs opportunistes, mais à des gamins amoureux de cinéma et d'artisanat.
Et puis, il y a cette musique
https://www.youtube.com/watch?v=rvenuMvY4gg