Je sens que c'est mon nouveau topic sur lequel je vais m'exciter tout seul
Les
Iwata asks sont des interviews des équipes de développement des consoles ou des jeux, réalisées depuis quelques années par le nouveau patron de Nintendo. Parmi les interviewés, il y a évidemment Miyamoto. Les entretiens sont un modèle de cirage de pompes où on se fait 36 courbettes par phrase, donc j'ai hyper élagé (et un peu structuré + quelques précisions en exemple) pour garder le plus intéressant, c'est à dire les explications de Miyamoto concernant ses tous premiers jeux. C'est assez précieux dans le sens où ça montre que bien avant que les jeux mettent en avant leurs "trouvailles" de gameplay, il y avait une réflexion tout aussi présente sur les question de game-design - seulement, celui-ci était justement conçu pour être invisible.
Pour que le jeu ait l'air facileDonkey Kong (1981). Mario doit monter au sommet, s’aidant des échelles.
Mais il doit aussi sauter par-dessus les tonneaux, lancés par le singe, qui déboulent sur son chemin.Miyamoto : A cette époque, on a vu l’émergence des jeux à défilement horizontal, dans lesquels le personnage courait sans cesse. Etant à l’origine un dessinateur industriel, j’ai analysé ces jeux tout en y jouant. J’ai tenté de comprendre ce qui dans la conception de ces jeux en faisait des produits divertissants et pourquoi les gens voulaient y rejouer.
Iwata : Vous vouliez donc comprendre ce qui poussait les joueurs à insérer une autre pièce dans la machine pour retenter leur chance une fois la partie terminée ?
Miyamoto : Absolument. Et en fait, j’en ai conclu que tout cela venait du fait que les joueurs s’en voulaient. J’ai tenté d’analyser comment le jeu arrivait à faire ressentir cela aux joueurs. (...) En fait, un jeu divertissant devrait toujours être simple à comprendre ; vous devez comprendre ce qu’il faut faire directement au premier coup d’œil. Le jeu devrait être si bien construit qu’en quelques instants vous êtes capable de comprendre votre objectif. Ainsi, si vous n’y arrivez pas, vous vous en voulez à vous-même plutôt qu’au jeu. (...)
Disons par exemple qu’une des actions du jeu est facile à faire pour le joueur. On y ajoute ensuite une autre action facile. Ces actions sont peut-être faciles en soi, mais lorsque le joueur doit effectuer les deux en même temps, cela devient bien plus compliqué.
Iwata : (…) Et c’est précisément parce qu’on pense que ça devrait être facile qu’on finit par s’en vouloir de ne pas y arriver, c’est ça ?
Miyamoto : Précisément. (…) Vous tentez d’arriver sain et sauf jusqu’à l’objectif en utilisant quelques raccourcis, tout en essayant de prévoir la trajectoire des tonneaux qui roulent dans votre direction. C’est facile de grimper toujours plus haut. C’est aussi facile d’éviter des tonneaux qui roulent. Mais lorsque vous tentez de faire les deux en même temps, cela devient plus difficile. De plus, il faut aussi penser à trouver le chemin le plus court, ce qui rend les choses encore plus compliquées. On a pensé que ce concept fonctionnerait.
Le casse-tête du premier écranPremier écran de Super Mario Bros (1985).Iwata : Les champignons ne sont pas juste posés là, ils se déplacent en fait. Qu’est-ce qui vous a donné cette idée ?
Miyamoto : Eh bien, dans les jeux vidéo, vous avez soit des objets qui vous suivent à la même allure que vous, soit des objets qui vous suivent mais à une allure un peu plus lente que vous, ou bien encore des objets qui vous suivent à une allure un peu plus rapide que vous. Cette allure fait toute la différence en termes d’amusement. On a fait plusieurs essais pour voir et cela m’a convaincu que si vous voulez vraiment quelque chose, il faut que cette chose vous échappe à une allure un peu plus lente.
(…) Il y avait un problème malgré tout. Dans le jeu, on rencontre un Goomba dès le début, et il est en forme de champignon. (…) Puis on se retrouve face à une boîte et quand quelque chose qui ressemble à un Goomba en sort…
Iwata : On prend ses jambes à son cou.
Miyamoto : Et oui, on part en courant. Cela a été un vrai casse-tête pour nous. Il fallait qu’on s’assure que le joueur comprenne que les champignons sont vraiment très bénéfiques pour lui. C’est pour cette raison qu’on a fait en sorte que le champignon aille vers le joueur. (…) C’est pour cela que nous devions apprendre au joueur d’une façon simple et naturelle qu’il doit l’éviter en sautant par-dessus.
Iwata : Puis, lorsque le joueur essaie de sauter pour l’éviter, il va certainement lui arriver de se tromper et de marcher sur le Goomba. En faisant cela, il comprendra par lui-même qu’en marchant dessus, il peut vaincre les Goombas. (…)
Mais si vous évitez le premier Goomba et qu’ensuite vous sautez pour toucher le bloc au-dessus de votre tête, vous serez surpris de voir un champignon en sortir. Mais ensuite, vous réalisez qu’il part vers la droite
[dans le sens opposé à Mario] et là vous vous dites : « C’est bon ! Un truc bizarre est apparu, mais tout va bien ! » Et bien sûr, dès qu’il rencontre un tuyau un peu plus loin, le champignon revient
[vers Mario] !
A ce stade, même si vous cédez à la panique et essayez de sauter pour l’éviter, vous allez toucher le bloc situé au-dessus de votre tête. Et au moment-même où vous pensez que vous êtes mort, Mario gigote subitement et devient énorme. Vous ne comprenez pas forcément ce qu’il se passe, mais au moins, vous réalisez que vous n’avez pas perdu votre tour.
Miyamoto : Mais vous vous demandez pourquoi Mario est subitement devenu énorme.
Iwata : Vous essayez de sauter et vous constatez que vous pouvez sauter encore plus haut pour exploser les plafonds. Il est très clair que vous êtes devenu bien plus puissant.
Miyamoto : Et c’est à ce moment précis que vous réalisez pour la première fois que le champignon est une bonne chose pour vous.
Iwata : Et c’est pourquoi nous avons conçu les choses de cette façon : quoi que vous fassiez, vous aurez le champignon.
Pourquoi renvoyer le joueur au début du niveauMiyamoto : J’ai réalisé que, dans le fond, Mario est un jeu où si vous échouez et que vous perdez un tour, vous devez recommencer depuis le début. (...) Et même si vous ratez juste un mouvement avant d’arriver au château, vous retournez direct au point de départ. (...)
Iwata : Vous pensez qu’on s’amuse plus lorsqu’on doit rejouer le niveau depuis le début ?
Miyamoto : Avec les jeux de plates-formes, c’est lorsque vous passez les passages difficiles que vous galérez. Mais les autres parties sont aussi très agréables à jouer. (...)
Iwata : C’est pourquoi au lieu d’avoir des tas de checkpoints d’où vous pouvez sauvegarder, c’est mieux de rejouer la partie facile.
Miyamoto : C’est vrai. C’est plus agréable pour le joueur. Et en rejouant les parties du jeu que vous maîtrisez déjà, vous améliorez encore votre niveau global. Auparavant, lorsque les jeux de tir d’arcade devenaient de plus en plus durs, le mode « Continuer » avait été mis en place…
Iwata : Vous insériez une nouvelle pièce et vous pouviez continuer à jouer.
Miyamoto : C’était, sans l’ombre d’un doute, une fonction qui devait plaire aux propriétaires des bornes d’arcade, car les joueurs inséraient sans cesse de nouvelles pièces. Mais au final, avec ce système, les joueurs jouaient toujours à la limite de leurs capacités. Je ne crois pas que ce soit vraiment agréable de jouer comme ça. (...) C’est peut-être stimulant mais ce n’est pas vraiment agréable.
Iwata : Oui, c’est stimulant pour le joueur, mais au final, il ne peut pas vraiment dire : « Hey, je suis vraiment bon à ce jeu ! »
Les formes découlent des fonctionsNew Super Mario Bros Wii (2008).
Le Boo, fantôme présent dans la série depuis les années 90, tire la langue quand on lui fait dos (moment où il est dangereux pour nous, car il se déplace), mais se cache en rougissant quand on lui fait face (moment où il est plus innofensif, car il reste immobile). Ici, Mario sautant vers la gauche, le Boo qui lui fait dos tire donc la langue, et nous signale ainsi le danger.Miyamoto : Par le passé, j’ai toujours fait attention de ne rien faire qui puisse sembler puéril et de m’adapter à l’esprit du jeu. Je n’en ai jamais parlé jusqu’à aujourd’hui, et en réfléchissant à la meilleure façon de le formuler, je me suis souvenu de quelque chose qui s’était passé lorsque je travaillais sur Mario Bros. Yokoi-san m’avait demandé : « Qu’est-ce qui ne peut plus bouger si on le frappe par en dessous ? » et je lui avais répondu : « Une tortue ! ». Et de là avait jailli un flot d’idées : ne serait-il pas plus naturel de marcher sur la carapace, et si l’on marche dessus, est-ce que son habitant devrait en sortir. (...) Ensuite, nous en sommes arrivés à un point où on pouvait attaquer la tortue par en dessous, mais pas marcher sur la carapace…
Dans Mario Bros., lorsque vous renversez une tortue, elle finit par se remettre d’aplomb. Le problème, au départ, c’est qu’il était difficile de savoir exactement quand. Vous la voyiez tressauter, mais vous ne saviez pas combien de temps allait encore s’écouler avant qu’elle ne recommence à bouger. C’est pourquoi nous avons décidé d’introduire un élément visuel qui mesurerait la durée. Nous avons fait en sorte qu’après l’attaque, la tortue sorte de sa carapace et qu’elle ne recommence à bouger qu’après l’avoir regagnée. Cette petite tortue sans carapace jouait le rôle d’un minuteur, ce qui était compréhensible par tout un chacun. (...)
Plus tard, dans Super Mario, le joueur pouvait marcher sur les tortues. Pour perturber un peu sa confiance, nous avons alors décidé d’introduire des carapaces sur lesquelles il ne pouvait pas marcher. Le plus simple, c’était de les couvrir de piques. (...) Prenez les Boo, par exemple. Ils vous tirent la langue lorsque vous tournez la tête et rougissent quand vous les regardez, parce qu’ils sont très timides.
Je crois qu’il est fondamental de créer des éléments dont la fonction est immédiatement compréhensible. Vous pouvez toujours dire à un designer de « créer quelque chose d’unique », cela ne lui dira pas grand-chose sur la façon dont il doit s’y prendre. Le principe fondamental de Mario, c’est que les formes découlent des fonctions. Nous devons chercher les idées les plus originales possible autour de cette ligne directrice.
La compilation des interviews en français réalisées depuis sont trouvables ici :
http://iwataasks.nintendo.com/fr/