Léger spoilers.
Je pourrais presque recopier à l'identique les avis d'Art Core et de Baptiste.
Il y a visiblement une volonté de ne pas se plier à la sacro-sainte dramaturgie des séries contemporaines, et de faire de l'intrigue autre chose que le pompon qui, toutes les 20 minutes, va relancer notre attention. Mais du coup, oui, j'aurais plus vu un film pour développer tout cela, car entre des petits moments effectivement splendides (comme tous, l'avant-dernier épisode m'a cloué de beauté), les épisodes s'assimilent davantage à un ressassement de situations (les scènes de couples Robin/Johno, l'autorité brutale de Matt, le comportement gênant/doucereux du commissaire, les femmes au camp toutes paumées : une fois vues ces scènes dans le premier épisode, on les a vu pour 6 épisodes qui suivent).
La série semble aussi se complaire dans le trouble lié à l'ambivalence de ce qu'on nous expose, sans forcément explorer cette ambivalence, la mettre en scène, la faire avancer. On est dans le pur effet "physique" sur le spectateur, sur son parcours d'identification/d'adhésion pour les personnages. L'exemple parfait étant le personnage de GJ : on nous la présente d'abord comme un perso mystérieux (donc possiblement fascinant), puis comme un clown (donc distance), mais comme quelqu'un que tout le monde va vouloir venir voir (donc possiblement détentrice d'une vérité), etc. Idem pour Matt, qui est d'abord une figure du mal, puis juste un pauvre type crétin, et vice-versa... Je trouve pas ça très engageant, et ça ne prend vraiment de valeur que dans le dernier épisode, où l'on sent vraiment intensément sourder quelque chose sous l'apaisement. Si les passages dans la nature (et tout ce qui concerne Tui en général) sont beaucoup plus forts, c'est aussi parce qu'ils suivent une ligne claire, saillante : Tui est une gamine/fragile ET sauvage/indépendante, dès le début, d'un même geste, et non un yoyo qui vacille de l'un à l'autre.
On pourrait aussi parler de ce que Campion nous raconte : les hommes sont tous des salauds et tous des violeurs en puissance (dès le début de la série, on pose l'idée de faire un test ADN de tous les hommes de la ville), et cette histoire sera la ré-appropriation de ce territoire masculin par les femmes. Le domaine de Matt est le summum de la masculinité phobique, une maison animale de brutalité et de connerie. Certes, le domaine féminin est tout autant à la ramasse, mais c'est aussi le cocon où chaque personnage perdu (où TOUS les personnages, en fait) viennent à un moment où à un autre se reposer, se réfugier, faire le point, demander réponse : c'est le lieu de la trêve et d'apaisement. Et d'ailleurs, on l'apprendra plus tard;
Il reste trois hommes (hormis les enfants) dénués de cette ambiguïté. Le vieux clodo, complètement fou / à l'ouest : ce n'est pas un homme, c'est un enfant attardé. Le nouveau mari calme de la mère, excusé car Maori. Et Johno donc. Qu'on peut trouver falot dans son impuissance, certes (bon, l'acteur est une telle tuerie que j'avoue, ça a pas du trop me gêner). Mais il est aussi intéressant, car il est l'amant idéal de la série, et de son personnage féminin. Soit un type qui a gardé les traits de la virilité (= qui est de la lignée de Matt, qui a ce côté brut, qui est sauvage, qui peut être violent s'il le veut), mais qui semble constamment devoir s'excuser ce que son aimée à subi jeune, et qui n'est plus qu'à son service : masculin et penaud, violence potentielle et désactivée, trop tôt ou trop tard. Un bug. L'acteur se sort plutôt bien de ce paradoxe je trouve, il trouve la solution par une forme d'absence lunaire (à quoi Johno est entrain de penser, se demande-t-on souvent), par une capacité pratique un peu désincarnée de volonté et de motivations psychologiques (un mec qui fait ce qu'il faut faire quand il faut le faire - ce qui en fait l'ange gardien de la série, en quelque sorte). Ça passe, mais je trouve assez marrant la façon de cette homme fantasmé ne "fonctionne" pas vraiment, dont il s'efface au fur et à mesure qu'il devient le futur homme du foyer : dans la vision très binaire de Campion sur sa découpe homme/femme, il est forcément un hiatus.
Je ne reproche pas cette vision manichéenne à Campion, ça a le mérite d'être une vision justement. Mais vu ce qu'elle dessine parfois entre ses personnages et son décor, il y avait matière à mythologiser cet affrontement hommes/femmes bien davantage, à en faire le vrai sujet, magnifié, de cette série - quand ici ça reste toujours assez ingrat. Je sais pas si je suis très clair sur ce qu'il me manque ici, bon...
Cela dit, même si la série m'a un peu déçu, Campion m'épate quand même assez par la façon dont elle change radicalement de ton, de type d'approche à chaque film. Les thèmes et les personnages féminins ont beau être proches (dans leur entêtement par exemple), l'approche a beau rester "romantique", je ne sais pas si je reconnaîtrais une même réalisatrice derrière
Un ange à ma table,
La leçon de Piano,
Bright Star, et celui-ci. J'aime bien ce renouvellement permanent qui se joue sur le tableau le moins évident - pas celui de l'aauuuteur et de ses sujets adorés, mais vraiment dans la manière d'aborder (d'attaquer) ce que l'on filme. Et puis quand même, encore une fois, un personnage féminin en or (sur un canevas pourtant lambda) et une actrice dirigée super intelligemment.