J'ai pu voir la dernière demi-heure, et en effet c'est un très bon film, pour dire le moins. L'acteur amateur qui joue son propre rôle, Homer Nish est excellent.
Le DVD permet aussi de voir les courts de MacKenzie, très intéressants (thématiquement centrés sur l'idée qu'il y a une vérité de la vie en marge,à la fois psychologique, individuelle et politique, collective: la marge est vue comme le sens et la vérité cachés des institutions publiques, ce qui est capable de les interpréter) , notamment:
-son film de fin d'études à l'UCLA, qui date de 1956, une sorte de chronique documentaire sur Bunker Hill, avec des plans qui seront réutilisés tels quels 5 ans plus tard dans the Exiles, où il laisse témoigner (en off sur des images muettes, partiellement scénarisée, ce qui évite le voyeurisme à la Strip Tease et permet la distanciation) la population du quartier de Bunker Hill, (un pharmacien, un vieux médecin des pauvres et un cordonnier) en générale blanche, pauvre, isolée et âgée (cela permet de comprendre quels Indiens de
the Exiles s'étaient installés là dans un court intervalle de temps entre le moment où la population blanche avait été expropriée, ou bien été décédée, et la construction des tours) mais attachée à un habitat sous forme de maison individuelle qui leur permet d'être autonome. Il s'oppose à la spéculation immobilière qui veut détruire le quartier et démonte très précisément le discours voulant que le développement immobilier tienne lieu d'investissement dans des infrastructures sociales, pointant ainsi le fait que les tours et les maisons de repos apparaissent ensemble et au sain d'un même processus. Cela anticipe pas mal ce que Mike Davis a écrit sur Los Angeles et le devenir à la K. Dick des villes modernes.
Pour info
Bunker Hill dans les années 1950
...et maintenant...(il y a même un bâtiment de Frank Gehry)
-"Ivan et son Père".
Un film qui l'a bouleversé,fait en1970, en couleur.
Il s'agît d'un psychodrame filmé de 14 minutes, dans ce qui semble être un thérapie de groupe d'un hôpital psychiatrique pour adolescents (apparemment c'est un film pour la prévention en "santé mentale").
Il débute avec ce carton:
Près d'un arbre, un groupe est réuni, et un adolescent explique le rapport difficile qu'il a a son père. L'adolescent est noir je précise cela pour exprimer une ressemblance car je me suis tout à fait reconnu dans qu'il disait, et qu'il l'exprime beaucoup mieux que je n'en serais capable . Il explique que son père était très distant quand il était enfant, et s'est mis soudainement en tête de le traiter comme un pote quand il a eu 13 ans, mais que cela lui est alors semblé ridicule, qu'il a vu le signe que son père était psychologiquement "impuissant" et perdu dans le monde (et plus probablement, mais le mot n'est jamais prononcé: dans la sexualité). Pour autant il insiste plusieurs fois sur le fait qu'il aime et respecte son père, mais qu'il n'a rien à lui dire de sa vie. L'adolescent, Ivan, s'exprime avec des mots très précis, on sent qu'il est conscient de son aptitude à bien s'exprimer, du charme qu'elle représente, mais n'est pas manipulateur
Un connard de psychiatre, genre jeune à blouson noir adoptant démagogiquement un langage véhément censé être celui de ses patients, décide de transformer le discours du garçon un jeu de rôle à psychodrame sulpicien, et demande à plusieurs personnes (soignants et malades) d'entrer successivement dans un jeu de rôle où ils tiennent la position du père face au garçon, dans le but de démontrer qu'il serait incapable de dire (à son père et à lui-même) qu'il l'aime, et qu'il avoue son arrogance (celle du discours, opposées à celle de la reconnaissance du rôle paternel). Bien sûr le garçon s'enfonce se répète, a un discours de plus en plus pauvre et craque. Le jeu de rôle identifie le surmoi du garçon à la logique accusatoire des spectateurs: la finesse psychologique du garçon revient à de l'arrogance, qui explique qu'il ait l'audace de juger son père, et donc de sortir du rôle, il serait en fait malade de sa propre lucidité. Mais quelque chose est perdu le garçon parlait de la personne son père réel (qu'il aime) tandis que les soignants et les autres malades parlent de la fonction de père,que le garçon semble récuser, ou plus finement, définir comme un point aveugle, et un échec. Il y a aussi une sacrée hypocrisie: le non-dit de la scène n'est pas l'amour du garçon pour le père absent, mais dont le garçon parle très bien et avec tendresse, mais l'attirance-fascination homosexuelle entre le jeune homme et les psys. L'un d'entre eux, âgé, qui fait penser physiquement à Richard Burton dans
Equus joue très bien le rôle du père, et demande au jeune homme qu'il le prenne dans ses bras de manière absolument dégoulinante.
Ce qui était un portrait produit par l'individu est converti en symptôme lu par institution, et une langue littéraire vivante, littéraire (à la fois sentimentale et sans métaphores) devient pareillement un discours d'aveu (c'est à dire en un processus où le jugement achève et confirme la reconnaissance).
On se rend compte qu'il y a dans cette scène un glissement présent dans
the Exiles:ce qui est de l'ordre de la loi de la règle de fonctionnement pour la communauté en marge devient un évènement pour celui qui incarne un groupe majoritaire (par exemple,les beuveries, qui sont un systèmes de fonctionnement sociale théorisés par les Indiens "cela nous permet de tenir le coup et de passer le cap des 2h du matin, où personne ne nous dévisage et où on peut organiser des fêtes rituelles au cœur de la ville, sur "Hill X.", en la regardant sans qu'elle nous regardée, sont pour le passant juste un état incohérent et un abîme sans sens, sans qu'il ait conscience qu'elles sont la condition qui permet au reste des cérémonies indiennes d'échapper au spectacle.De même quand Yvonne entend son mari rentrer au petit matin, le discours du groupe,complètement torché, devient pour elle juste le signe que son mari, qui dans le groupe se tait reste auprès d'elle, et cette concentration de sens l'éloigne pourtant de son mari en même temps qu'elle la rassure. C'est l'idée aussi que dans la logique qui préside à la création des réserves, les Indiens sont reconnus par rapport à leurs structures, mais qu'ils sont aliénés en tant qu'on leur dénie la confrontation à l'évènement, à ce qui est juste un acte. En voulant vivre quelque chose, en voulant un enfant Yvonne tombe du côté de cette non-reconnaissance, et s'éloigne de la réserve - c'est d'ailleurs le seul personnage du film prêt vivre seul et quitter le groupe, alors qu'elle est paradoxalement la plus effacée -. Cependant il est clair que la réserve indienne ne représente plus rien pour elle, c'est bien pour que c'est la seule à se projeter dans un futur (ce qu'elle exprime comme désir est directement dirigé contre son passé, et contre les structures et la culture que son mari essaye de maintenir, jusqu'à sa propre destruction: Homer Nish est mort à 46 ans).
Reste à savoir si MacKenzie est solidaire ou non du transfert qu'il capte. Mais la question "what would you want to say?", qui vient après qu'il nous demande de nous impliquer et d'être membre du groupe, de nous tenir dans l'image, semble indiquer qu'il ne l'était pas, était conscient que son propre film devait encore faire l'objet d'une reprise, même au sein-même de cette intériorité, qui manque. Il est conscient à la fois de sa radicalité et de son impuissance, conscient d'être capable de critiquer des structures, mais incapable de représenter des actions. Mais c'est déjà pas mal.