Article un peu fielleux de Camille Nevers aka Sandrine Rinaldi dans libération, mais qui met en relief une espèce de dualité :
Citation:
Agnès Varda avait les deux facettes complémentaires pour s’imposer dans l’ère masculine qu’était la Nouvelle Vague : elle était «talent-tueuse», empêchant tout autant qu’elle aura libéré un cinéma dit «de femmes».
Agnès Varda sur le tournage de «L’une chante, l’autre pas», en 1976. Photo Roger-Viollet
Agnès V. et Varda A. Drôle et moins drôle de dame. Qui occupe une drôle de place dans le cinéma, une place un peu dure, et seule, seulement d’une solitude voulue, entrenue comme un admirable piédestal, du haut de son excellence reconnue dès les premiers films (la Pointe courte, Cléo de 5 à 7 et le Bonheur), plus irrégulière ensuite. Elle abandonna la fiction assez tôt finalement, après l’officialité morbide de Jacquot de Nantes, en 1991, et la nullité sur commande des Cent et Une Nuits de Simon Cinéma, en 1995. Chemin faisant, elle a trouvé sa place entre deux chaises. L’officielle et l’indépendante. Celle d’une autofiction entremêlée au documentaire. La place frondeuse, espiègle, rebelle. La moue invariablement pétillante (ou rouée), sans pour autant refuser l’autre place, la position d’autorité que sa qualité de «seule femme du cinéma français de la Nouvelle Vague» (elle ne citait jamais la concurrence, notez) lui conférait, et qui laissait entrevoir, derrière sa mine malicieuse, une onctuosité, un air patelin, rusé, méchant, comme ces belles-mères ou grands-mères des contes qui font peur aux enfants.
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Varda, ce n’est pas lui faire injure de l’écrire, faisait peur. Sa vie et son œuvre, à cette aune, sont celles d’une magicienne. Belle vie et potion mi-figue mi-raisin. La pionnière et l’opportuniste. La curieuse et la dédaigneuse. La feinte nonchalance, la vraie vue perçante, pénétrante d’un oiseau de proie, le même esprit, acéré. La citoyenne qui défend les droits des femmes (elle fut des «343 Salopes» du manifeste pour le droit à l’avortement en 1971), qui réalise L’une chante, l’autre pas en 1977 ou Sans toit ni loi en 1985 (son flair indéniable de toute façon pour «l’air du temps»), mais aussi la cinéaste qui, à la question de savoir ce qu’elle pensait d’être la seule femme de la Nouvelle Vague, répondait : «Je m’en fichais complètement ! Ce qui comptait pour moi, c’était de pouvoir faire des films.»
De tels mots pourraient être repris par beaucoup des cinéastes françaises (dont on ne manque pas) aujourd’hui, à commencer par celles qui se réclament de Varda. La petite et cruelle différence, c’est qu’aucune d’entre elles n’aurait le toupet de dire ce qu’Agnès V. osait alors balancer. C’est même tout le contraire. Si : Breillat.
Cela pour dire combien ce féminisme de Varda - somme toute convenable, arrangeant, de principe plus que d’action, jusqu’à preuve du contraire - est celui qui a cours dans le cinéma hexagonal dit «de femmes», celui qu’elle a initié, en fait. Varda rien qu’en cela aussi aura beaucoup compté, empêchant tout autant qu’elle aura libéré un possible du cinéma féminin. Il ne faut pas la critiquer, ou alors critiquer l’ensemble. C’est aussi son héritage.
Varda A., un delta, donc : roulaient par elle à la fois les eaux fluviales ou océaniques de la Nouvelle Vague, du «cinéma de femmes», et de l’héritage Demy. Ça vous pose une femme : cinéaste d’avant-garde, «papesse» honorée all over the world, veuve joyeuse en charge de la mémoire du génial mari. Elle barbotait à l’aise partout, semble-t-il. Cela pose alors la question de ce qu’il faut avoir pour être une femme qui fait des films dans ce monde. Sinon être dure et drôle, sans pitié et borderline, pas seulement talentueuse - tueuse. Et les meilleures, les plus grandes, les Breillat, Akerman, Mazuy, Dubroux, Treilhou ou Calle (réalisatrice d’un beau film), sont celles que nous nommons depuis toujours les «redoutables».