une sélection rapide de mon dossier, qui traite largement de ces questions :
Notion floue, en quête constante de définition, le documentaire ne connaît pas d'acception, même large, que l'on soit à même de fixer. Par habitude, ou peut-être par constat d'échec à le définir, le documentaire est d'abord délimité négativement: est documentaire ce qui ne relève pas de la fiction. Et s'il fallait l'identifier plus avant, c'est de démarche documentaire dont on parlerait: résultat d'une recherche ayant pour projet de donner à voir une partie du monde "vivant", "réel". Ce disant, c'est sur la valeur de dispositif du cinéma documentaire que l'on insiste. "Donner à voir" une articulation d'images et de sons révélateurs d'un fait, d'un être, d'une position, d'une "réalité" observable, n'est-ce pas là tout simplement le projet du cinéma?
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Notion floue, en quête constante de définition, le documentaire ne connaît pas d'acception, même large, que l'on soit à même de fixer. Par habitude, ou peut-être par constat d'échec à le définir, le documentaire est d'abord délimité négativement: est documentaire ce qui ne relève pas de la fiction. Et s'il fallait l'identifier plus avant, c'est de démarche documentaire dont on parlerait: résultat d'une recherche ayant pour projet de donner à voir une partie du monde "vivant", "réel". Ce disant, c'est sur la valeur de dispositif du cinéma documentaire que l'on insiste. "Donner à voir" une articulation d'images et de sons révélateurs d'un fait, d'un être, d'une position, d'une "réalité" observable, n'est-ce pas là tout simplement le projet du cinéma?
En ce cas, c'est le "vrai" qu'il faut questionner: la projection en deux dimensions sur un écran rectangulaire, faisant appel, pour schématiser, à deux sens (la vue et l'ouïe), exploitant un nombre limité de points de vue, d'une captation mécanique d'une réalité en au moins trois dimensions, aux points de vues indénombrables et "synesthésiques", peut-elle véritablement prétendre restituer le "vrai"? "Les références de la sensibilité esthétique, chez l'homme, prennent leurs sources dans la sensibilité viscérale et musculaire profonde, dans la sensibilité dermique, dans les sens olfacto-gustatifs, auditif et visuel, enfin dans l'image intellectuelle, reflet symbolique de l'ensemble des tissus de sensibilité", nous dit André Leroi-Gourhan dans Le Geste et la parole (Albin Michel, 1965). Si toutefois l'on considère le documentaire comme le lieu d'une (ré)interprétation de la réalité, pourquoi la fiction, qu'elle soit ou non en quête d'effets de réel, ne pourrait-elle pas y prétendre à son tour? Le premier film très officiellement documentaire, l'ethnographique Nanook of the North (1922) de Robert Flaherty, est déjà usurpation du réel. Soigneusement dramatisé par ses cartons très écrits, le film est d'emblée une mise en scène narrative. Mais la trahison du réel va plus loin encore. Nanook n'apparaît pas à Flaherty ex nihilo. L'Histoire nous montre que des films à caractère ethnographique préexistent à Nanook: dès 1896, dans Le Dominion du Canada, deux représentants de la compagnie Lumière avaient filmé des danses exécutées par des Mohawks dans la réserve de Kahnawake, près de Montréal. Les danseurs avaient accepté de porter leurs habits d'hiver en plein été, afin de paraître plus exotiques aux yeux du public étranger. Dès ses origines, le documentaire prend donc des libertés avec le réel.
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"Si la fiction tente de substituer un monde imaginaire au monde réel (ce monde étant forcément une partie du monde imaginaire), dans le documentaire il y a plutôt l'idée de faire apparaître le monde réel comme un monde imaginaire", peut-on dire avec Jean-Louis Comolli (dans la revue L'Image le monde).
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On peut de toute façon faire plus simple: dès l'origine, le cinéma est documentaire. Les films des frères Lumière ne sont rien d'autre. Leurs opérateurs, envoyés aux quatre coins du monde dès 1896, posaient la caméra dans une ville et filmaient ce qui entrait dans leur cadre. Il s'agissait de choisir le lieu adéquat aux exigences techniques et économiques: filmer un maximum de personnes en caméra fixe, afin d'avoir le maximum de spectateurs/acteurs payant pour revoir leur image sur l'écran le soir même. Il faut donc choisir l'angle, le cadre, etc. Inventer la grammaire cinématographique, donc, et, en un mot, le point de vue. Contrairement à la notion classique voulant que le documentaire soit la reproduction exacte du "réel", la grammaire cinématographique est là pour faire (re)vivre ce réel. "Pas d'art sans transformation", écrira Bresson dans ses Notes sur le cinématographe (Gallimard, Collection blanche, 1975); ou encore: "Traduire le vent / Invisible / Par l'eau / Qu'il sculpte / En passant". L'angle et le cadre, donc, mais aussi par la suite le montage, base de la sémantique du cinéma, amènent l'exagération, la répétition et le rythme, artifices de la fiction, dans le documentaire.
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"Le vrai n'est pas incrusté dans les personnes vivantes et les objets réels que tu emploies. C'est un air de vérité que leurs images prennent quand tu les mets ensemble dans un certain ordre. À l'inverse, l'air de vérité que leurs images prennent quand tu les mets ensemble dans un certain ordre confère à ces personnes et à ces objets une réalité" (Robert Bresson, op. cit.) Les documentaristes soviétiques, comme Vertov, montrent ainsi que les documentaires sont aussi des créations. Le réel n'est que la matière brute sur laquelle le documentaire se fonde et à partir de laquelle il construit.
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La frontière entre documentaire et fiction ne deviendra logiquement que plus ténue avec l'arrivée des années 50 et du son synchrone. La voix off, jusqu'alors artifice rare de la fiction, peut désormais se désolidariser du cinéma factuel et commenté, brouillant davantage la distinction. Pour autant, un documentaire commenté n'a pas davantage d'authenticité parce qu'il est commenté. Au contraire, le discours accolé à l'image, arme privilégiée de la propagande (Pourquoi nous combattons de Capra, 1943) mais aussi des "docu-menteurs" (le fascinant Punishment Park de Watkins, 1971), peut aisément la faire mentir, ou en intensifier le mensonge - mais l'inverse est également possible (voir le travail de Marker sur Sans soleil en 1982, par exemple, où la voix off nourrit la succession complexe des images)...
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La seule pensée historique ne suffit pas à faire clairement le distinguo documentaire/fiction. Car, dès l'origine, le cinéma documentaire "ment", par omission, par volonté franche, par jeu narratif et dramatique. La plupart des génériques suffisent d'ailleurs à s'en rendre compte, par la simple mention "écrit par...", d'ordinaire rattachée à la fiction. L'idée selon laquelle un documentaire se tourne sur le vif s'en trouve mise à mal. Ne serait-ce que pour des questions de financement, mais aussi dans une optique de préparation de ce projet artistique complexe qu'est la réalisation d'un documentaire, la rédaction d'un scénario préalable - sans toutefois constituer une obligation - est chose courante.
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Allant des simples notes griffonnées au séquencier détaillé, le scénario documentaire n'a pas de format fixe. Certains documentaires sont clairement structurés comme des longs métrages de fiction - trois actes, protagoniste(s) en quête d'un ou plusieurs objectifs précis, obstacles, suspense, climax et résolution - et en font même leur projet esthétique (voir Un coupable idéal, 2001, ou la mini-série Soupçons, 2004, tous deux de Jean-Xavier de Lestrade). Il s'agit de définir l'histoire qu'on veut filmer, avec plus ou moins de précision, de liberté accordée à l'accident du réel, à l'improvisation. En cela, l'écriture documentaire ne se distingue pas directement de l'écriture de fiction (s'étendant du découpage pointilliste et storyboardé d'un Fincher à la liberté narrative d'un Cassavetes). La diversité des approches ne permet pas de dresser une différenciation satisfaisante dans la pratique même du développement d'un film documentaire ou d'un film de fiction.
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On peut aller plus loin encore, et affirmer que, dès l'origine, parce qu'il est cinéma, le cinéma n'est pas réalité, ou pour le moins ne relève pas de la réalité perçue quotidiennement. Jean Epstein, dans son texte majeur "Le monde fluide de l'écran", paru en juin 1950 dans Les Temps Modernes n°56, parle du "flou d'incommensurabilité" propre au cinématographe, de son "paradoxal réalisme". Selon lui, le cinéma est le lieu d'une "réalité seconde mais surqualifiée". A partir d'exemples simples ("Voici une table que l'objectif - en sautant, en glissant, en volant - approche, éloigne, grandit, rapetisse, étale, incline, abaisse, élève, élargit, étire, illumine, obscurcit, reforme et retransforme chaque fois que cet objet se présente dans le champ et jusque dans le cours des plans. [...] On en vient déjà souvent à douter qu'il s'agisse d'une seule et même table, à douter de la reconnaître, à ne pas savoir la définir, à se demander si on n'a pas vu deux ou trois tables différentes."), Epstein décrit la réalité dépeinte à l'écran comme une réalité plus vive, plus complexe, que la réalité vécue.
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"Si mobile et mobiliste que soit devenu le monde vécu et vivant, l'expression cinématographique surenchérit par son univers dont il faut freiner les fugacités, limiter les métamorphoses, filtrer la virulence, pour ne pas heurter les habitudes, selon lesquelles une grande partie du public veut continuer à voir, entendre, imaginer, comprendre". Ainsi, les objets du monde réel, transposés dans le monde projeté, deviennent "objets seconds d'une réalité seconde; mais celle-ci est bien toute la réalité sensible en fonction du spectateur". Les différentes possibilités techniques offertes par le cinéma (accélération, déconstruction temporelle, modification des sons, etc.) d'une part, mais surtout le simple fait du filmage, sont propres à modifier la perception de la réalité filmée. "Logiquement, l'espace-temps cinématographique apparaît d'abord comme un champ à identité très virtuelle, très conjecturale, où l'identification se fait carrément sur des analogies, par une suite d'hypothèses d'attente, qui sont toujours à refaire, comme la création d'une vérité toujours relative et menacée d'inachèvement, comportant un degré d'incertitude supérieur à celui des constatations dans le monde réel. [...] Dans son espace désuni et inégalitaire, dans son temps désynchronisé, dans l'à-peu-près de sa logique, il semblerait que le film dût produire des imitations de la réalité, elles aussi disparates et vagues, donc faiblement convaincantes". Pourtant, conclut Epstein: "C'est parce que cette surcharge fonde à l'écran un monde luxuriant de différences que le film donne une plus forte impression de réalité, à proportion de son refus d'admettre les typifications rationnelles en schémas de parfaite ressemblance. [...] Le réel ne peut se former en rationnel qu'ayant pris, par rapport à lui-même, une certaine distance dans l'esprit". Il serait donc entendu que le cinéma ne reproduit pas le réel, mais l'impression du réel, par convention, par acceptation du dispositif. "Le cinéma, c'est le constat d'une illusion", résumera Orson Welles (cité dans L'Epreuve du réel à l'écran, François Niney, De Boeck, 2000). D'où la caducité de la chimérique caméra-œil: "Il n'y a pas de vision sans pensée. Mais il ne suffit pas de penser pour voir: la vision est une pensée conditionnée, elle naît 'à l'occasion' de ce qui arrive dans le corps, elle est 'excitée' à penser par lui" nous dit Maurice Merleau-Ponty dans L'œil et l'esprit (Gallimard, 1964). L'idée vertovienne du ciné-œil, de filmer les gens "comme ils sont", d'impartialité filmique, de reproduction de la vision naturelle, ne peut que rester théorie.
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Ainsi, faire disparaître tout indice de la présence de celui qui regarde, relève du choix esthétique, de l'effort - et la neutralité recherchée de s'annuler par elle-même. Aussi la posture "mac-mahonienne" de Michel Mourlet, développée en 1965 dans Sur un art ignoré, aux éditions La Table Ronde, en ces termes: "Toute déformation de la réalité à des fins d'expression, condition des arts traditionnels, par le fait qu'elle arrive au spectateur de cinéma à travers l'objectivité de la caméra, se révèle comme mensonge", vise-t-elle juste, mais échoue à proposer quelque alternative. La recherche de l'effet de réel, base du documentaire, a tout autant de valeur fictionnelle. Il est en effet courant que des films de pure fiction aient recours à des procédés identifiés comme relevant du domaine documentaire.
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Effacer l'existence même de la caméra, ce fantasme du "cinéma absolu", c'est oublier que le cinéma, art impur, est avant tout art de la monstration. Or, à moins de s'aventurer sur les terres expérimentales de l'écran noir, du Blanche-Neige de Monteiro (2000) ou de L'Anticoncept (
http://www.notbored.org/anticoncept.html) de Wolman (1951), cet oubli n'est pas envisageable - encore qu'il ne suffise pas d'éliminer l'image pour éliminer le "cérémonial" du dispositif cinéma. Même le film scientifique, fait pour éprouver les qualités d'un objet, réalisé généralement hors du système industriel et des circuits commerciaux, qui ne vise ni à la distraction, ni nécessairement à la rentabilité, majoritairement non-narratif et travaillant à questionner, à déconstruire, voire à éviter la figuration, ne propose qu'une objectivité d'observation présumée. Il présente une "réalité" d'abord transfigurée par le filmage (grossissement de sujets microscopiques, études ralenties de mouvements comme chez Marey), qui peut tout autant se draper des atours de la fiction, ainsi que nous le démontrent les "danses" des acéras du Bal des sorcières de Jean Painlevé (1972).
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L'image, par nature, n'est jamais neutre. Le fameux principe de l'effet Koulechov, voulant qu'un même plan, suivi tantôt d'un plan, tantôt d'un autre (le principe du montage, donc, grammaire basique du cinéma), ne revête jamais le même sens, en est l'implacable preuve.
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Le champ nouveau ouvert par l'arrivée récente des petites caméras numériques ("hyper-réalistiques", comme les appellera Agnès Varda dans Les Glaneurs et la glaneuse en 1999), fait resurgir cette inaccessible ambition vertovienne du cinéma-œil. Favorisant notamment l'incursion du "je" du documentariste dans le film, la caméra DV se pose en témoin privilégié ("ça s'est produit à portée de caméra"), garant d'une objectivité renforcée - alors qu'en réalité, l'identification ainsi accentuée est avant tout la marque d'une plus grande subjectivité. Le "je" documentaire ne redevient pas la voix off omnisciente du documentaire didactique et/ou propagandiste, mais voix "à côté", personnage dans la diégèse. La chose tombe plutôt bien: le documentaire, à l'instar de la fiction, a besoin de personnages, de sujets, propres à nous émouvoir, élargissant toujours davantage le spectre des identifications possibles.
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Mais la DV laisse pourtant la porte béante à ce mirage de la neutralité. Plusieurs éléments y concourent. La visée de côté, sur un petit écran à part, permet notamment au caméraman de garder une disponibilité vis-à-vis de l'espace et du sujet (animé ou inanimé) filmé, tout en gardant un œil "à l'avance" sur son résultat final (sorte de montage en direct). De plus, la légèreté matérielle et financière du filmage numérique autorise une réduction de l'équipe technique (le cinéma impose moins sa présence, donc aurait moins d'incidence sur ce qui est filmé) et une liberté d'expérimentation plus large (plus de pellicule onéreuse à économiser). La DV serait donc vecteur d'intimité, de confiance et de proximité accrues. Pour autant, le fantasme du cinéma intégral ne trouve pas achèvement dans cet allègement extrême de la technique. A l'instar du cinéma vérité ou du cinéma direct en leur temps, avec lesquels la DV partage l'objectif de délivrer le cinéma des contraintes habituelles de la narration despotique en voix off, de l'immobilisme de la caméra et de la progression linéaire de la thèse prétendument rationnelle, cette libération peine à dépasser le seul renouvellement formel. La fiction ne tarde d'ailleurs pas à exploiter le dispositif (du A tout de suite de Benoît Jacquot - dont la maladroite collusion interne entre images présentes et archives documentaires au passé souligne la grande difficulté de la concordance esthétique des temps - en passant par Alain Cavalier, Claude Miller, Eric Rohmer, Wim Wenders, etc.), prouvant s'il en était besoin que laisser la caméra tourner en permanence n'est pas gage de réalité et encore moins de cinéma (Warhol, Morissey et leurs Sleep, Eat, Beauty nø 2 et autres Empire étaient déjà passés par là entre 1963 et 1965). Le cas échéant, les caméras de surveillance et, par extension, la prétendue "télé-réalité", relèveraient de la discipline artistique.
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Ainsi, si la DV permet de contourner, au tout au moins de réduire au minimum, les impératifs de préparation (lumière naturelle, son direct, stabilisateur d'image permettant d'évoluer caméra au poing), le point de vue s'impose, et même affirme sa nécessité. "L'opérateur est dans un fonctionnement de disponibilité, pour capter, dans un certain sens, l'émotion donnée par l'acteur. Un mouvement de caméra s'exécute donc de façon improvisée, pulsionnelle, il est le résultat visible et enregistré de la sensibilité d'un opérateur qui a interprété une situation, une émotion vécue par l'acteur, pour la transmettre au spectateur à travers le cadrage. Filmer avec la caméra-poing signifie, en fin de compte, faire interpréter un opérateur, de telle sorte que le spectateur soit sollicité dans le sens du film", écrit Céline Pagny dans son Mémoire de recherche sur les "petites caméras, dirigé par Pierre Maillot, et Jimmy Glasberg dans le cadre de l'École Nationale Supérieure Louis Lumière, avant de rappeler les mots de Roger Andrieu: "Un mouvement, c'est le point de vue subjectif du spectateur". A ce sujet, Nicolas Renaud met en garde: "Le regard tous azimuts auquel incite l'appareil peut donner l'illusion de s'immiscer réellement dans une situation, les yeux ouverts et l'objectif mobile dans la main, se croire un capteur d'images qui "voyage léger" dans la réalité. Mais le cadrage souffre alors d'un déficit d'attention. En en négligeant le rôle, on risque de faire primer le fait "d'être là" sur la responsabilité de créer une image qui rend compte d'une réalité vécue. Car de choisir une portion de la réalité dans un cadrage, d'arrêter le regard sur des éléments particuliers et d'y imposer le langage des images sont des mises en condition qui impliquent peut-être davantage le cinéaste dans la situation, c'est une main portée à la matière du réel et qui cherche à la faire parler". Certes, le numérique permet et promet des avancées ambitieuses (depuis Time Code de Mike Figgis en 2000, et ses quatre histoires parallèles se déroulant en "temps-réel" dans quatre fenêtres à l'écran, jusqu'à la technologie Be Here, qui permet de réaliser des films en 360° dans lesquels le spectateur est donc libre de choisir ses prises de vue - l'exposition Future Cinema au ZKM de Karlsruhe du 15 novembre 2002 au 30 mars 2003 en donnait un aperçu vertigineux), mais le précepte de base reste inchangé: il s'agit toujours de la restitution d'un point de vue. Ou, pour reprendre les mots célèbres de Jean-Luc Godard, non "pas la vérité 24 fois par seconde, mais 24 vérités par seconde".
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Et si la capacité première du documentaire était justement d'altérer le réel, de le provoquer, par la présence de la caméra, par sa grammaire, par son point de vue? Et si la disparition de cette provocation n'était plus identifiable en tant que cinéma?
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Henri Maldiney, dans son livre Art et existence (Klincksieck, 1985), écrit: "Regarder, c'est se constituer en foyer du monde. Mais on peut le faire à différentes profondeurs. Un peintre ne regarde pas comme un touriste. Il ne voit pas d'abord ce qui est devant lui, mais la manière dont les choses lui sont présentes et dont il est présent aux choses. Il ne communique avec le quoi des choses qu'à travers le comment". Ici se fait le nœud entre documentaire et fiction: tous deux regardent - et se font de l'œil. Le reste est question de point de vue.