Dans une petite ville, Léon Labbé, chapelier de métier, a tué sa femme et entretient l'illusion que cette dernière est toujours vivante. Son voisin d'en face, un petit tailleur juif devient le confident privilégié de Léon, qui lui, tue avec méthode les amies de son épouse et nargue la police avec des lettres anonymes.J'ai trouvé ça tout simplement extraordinaire. Je connais assez peu le Chabrol, d'avant les années 90, je sais que c'est une filmographie inégale, parsemée de pépites ou de films très moyens. Et bien là, je suis scotché, je ne m'attendais pas à une pareille claque. Tout d'abord, il y a le duo que constitue Serrault- Aznavour. Deux monstres à l'écran comme nous en offre aujourd'hui peu le cinéma français. Aznavour a une carrière d'acteur beaucoup plus discrète que son comparse, mais la manière dont Chabrol l'exploite à l'écran est admirable.
Le film est une variation sur la folie. Serrault incarne la folie meurtrière, celle d'un psychopathe étrangleur, alors qu'Aznavour une folie plus douce et touchante. Celle d'un immigré, fragilisé par les épreuves de la vie, qui a découvert en son voisin un assassin, le suit pour empecher les meurtres, mais est terrorisé par l'idée de le dénoncer. Effrayé, par pure absurdité, de se faire expulser de ce pays qui l'a accueilli, lui et sa famille, et lui a apporté le bonheur. Aznavour est impressionnant, on sent que son personnage cache un passé douloureux rempli de traumatismes (le génocide arménien?), sa silhouette frele, sa fragilité et sa quete absurde autour du meurtrier, le suivant comme un chien, c'est un personnage superbe qu'il incarne à l'écran. Moins spectaculaire que le jeu de Serrault, mais tout en maitrise, le grand Charles est bouleversant.
Et de l'autre coté, il y a Serrault. Quelle composition formidable, il nous livre ici. Pour situer le niveau, je place
Le chapelier comme un de ses tous meilleurs roles. En cela, il est bien aidé par Chabrol. Comme le dit le commissaire, au détour d'une scène, "je plains l'étrangleur", et c'est le tour de force psychologique que réussit Chabrol tout le long du film. Racontée du point de vue du tueur, on plonge dans les méandres de son ame, et ce qui l'a amené à sa série de meurtres. Le film est une admirable étude de moeurs. Un grand film de serial killer mais surtout un pur film chabrolien.
Alors oui, c'est adapté de Simenon, la mise en scène est d'une intelligence inouie. Il faut voir les déambulations du chapelier et du tailleur Aznavour dans les rues de Concarneau. Chabrol instaure une atmosphère étrange et envoutante. Mais surtout, on retrouve la critique de la bourgeoisie, chère au cinéaste. Il faut voir les scènes dans le café, la manière dont les notables se comportent et commentent l'affaire. C'est un vision chabrolienne classique mais o combien acérée et forte. Le seul personnage qui est un peu à part est celui du journaliste joué par un jeune François Cluzet. Le seul qui véhicule de la sympathie.
Je n'ai pas vu toutes les adaptations de Simenon, je fais confiance au consensus qui considère le Chabrol comme une des meilleures. Mais pas besoin d'aller dans ces considérations,
Les fantomes du chapelier est un grand film sur la folie, qui décrit admirablement ce qui pousse un homme à dérailler et tuer. Vraiment un gros morceau de cinéma. Et pour ceux qui connaissent mal Chabrol, c'est une parfaite porte d'entrée dans sa filmo.