Un type, ingénieur en BTP, adduction d'eau et /ou agronomie et maintien de la biodiversité fait 4500 km pour arriver en Guinée-Bissau, pête une Mercedes et manque de mourir de soif au fin fond de la Mauritanie ou Sahara Occidental pour se faire proposer un plan à trois par une jolie meuf, figure de la vie noturne locale, qui ne l'aime pas et chez qui il essaye de s'incruster, ce qui le traumatise tellement, que de coopérant, il devient après 4 heures touriste/backpacker.Entre Tony Erdmann, Pacifiction et Raoul Peck.
Pour connaître un petit peu le milieu décrit, c'est bien observé (les ONG qui viennent avec des impératifs forts de protections environnementales qui peuvent appauvrir les populations africaines, capables sans elles de s'adapter aux crises environnentales et de comprendre le risque d'enclavement à l'échelle régionale -l'aide extérieur fige en fait les réalités sociales locales qui par leur dynamique, résistent,, la fascination érotique du coopérant pour les trois ou 4 premières personnes qu'il rencontre, dans le monde urbain de l'hôtel et des boîtes, qui se transforme, à mesure qu'il quitte l'univers des expatrié, en curiosité plus diffuse envers la société africaine, libre et ordonnée, la bourgeoisie locale, numériquement faible, donc constitutant un petit univers exposé aux histoires de coucheries et où les réputations se font vite et deviennent une forme de capital,, consciente du passé des guerres d'indépendance et du marxisme, mais localement dominante et sans doute peu appréciée - et principale bénéficiaire de l'aide et en même temps étouffée par celle-ci, car elle devrait investir elle-même le capital et réinvesitir la plus value, ce que l'aide fait à sa place, contradiction que les coopérants perçoivent souvent mal et renforcent.
Les liens entre coopération au développement et licence sexuelle ne sont pas non plus inventés par le film, plutôt en dessous de la réalité, même s'il est sur ce plan ambigu, à la fois frontal et conventionnellement érotique. L'histoire aussi de la route et de la réserve, et du fait que les parcs naturels penvent appauvrir économiquement des régions, est manifestement inspiré d'un problème classique qui se pose au Serengeti en Tanzanie, qui coupe la région du lac Victoria des ports et voies commerciales).
Mais je me suis quand-même un peu fait chier.
La mollesse (agaçante et peu crédible dans ce milieu) du personnage devient un peu McGuffin permettant de ne privilégier aucun point de vue, donnant un caractère mécanique au récit. Plus ramassé et modeste, le film aurait peut-être élu un vrai point de vue sur ce qu'il montre. Cela se sent dans le passage avec les contremaîtres portugais, dont le paternalisme et la violence rentrée sont à la fois le vecteur et la critique du racisme, et se neutralisent, ce qui laisserait une place aux Africains, idée un peu facile.
Le personnage du capitaliste local
est bien sûr le plus intéressant, ambigu : dans son cynisme le capitalisme mécomprend qu'il constitue un environnement "organique", que même ses bénéficiaires subissent comme une nature. En fait surtout eux, la pauvreté donne une lucidité qui au contraire en met à nu l'aspect arbitraire et conventionnel. En gros Marx va pas bien mais le capitaliste reste dialectique, il doute là où il domine, il a besoin de postuler la conscience d'une situation comme non-spontanée, mais plutôt causée et dérivée par ce qu'elle créé - le scrupule est le fantasme d'être le seul à être passif et justifié, ce qu'il paye et achète .
Dès lors, même pour le dominant, le rapport à l'autre reste une promesse complexe, une ouverture, une possibilité morale de salut. Et, symétriquement le réchauffement climatique ou la crise écologique sont infigurables : le risque d'extinction collective apparait comme une fatigue qui empeche de jouir d'une promesse d'émancipation déjà tenue. Pas mal vu, mais aussi très unilatéral.
Ceci dit j'ai bien aimé la partie la plus prosaïque et "exploration du monde" dans les rizières et la description des villages lacustres et techniques d'irrigations balantes pour désaler les mangroves, qui ont donné lieu à une culture complexe, forte, mais dont le prix de la résistance est une forme subie d'autarcie . Partie un peu gâchée par la volonté du réalisateur de faire du coopérant un martyr façon curé de Bernanos avec ses maux de ventre perpétuels et son rêve de pureté où la tentation suicidaire est une manière d'égaler la dignité prêtée de façon démesurée à l'autre, de vivre l'égalité avec les autres comme une domination subie, de ne sauver que les dettes.
Un peu déçu mais j'en attendais peut-être trop en étant trop proche du sujet. Les personnages sont en fait très stéréotypés et anecdotiques (la pute intello dans le camp retranché, les coopérantes nordiques aux airs de dames patronnesses, Diára généreuses avec les siens, mais dures avec les autres qui entre dans le film en faisant du coopérant le complice d'un vol assez odieux contre un éleveur sur un étal de marché, et qui exproprie assez grossièrement une famille pour installer son bar, le coopérant chinois qui n'a besoin que d'une scène pour s'imposer aux autres) , le film, malgré l'impression de flottement et de temps réel est paradoxalement trop écrit. On dirait parfois un vieux roman de Graham Greene type
Le fond du problème ou
Un Portugais bien tranquille remis au goût du jour.
Et sinon