Film unique qui vient clore dans un rire narquois une décennie qui s'est distinguée par ses thrillers paranoïaques, désabusés, pimentés de satire parfois. Un critique américain que j'aime bien, Charles Taylor, a consacré un livre à ce cinéma légèrement bis et then some (qui commence par une évocation de Prime Cut de Michael Ritchie dont le générique, lors duquel un homme se fait transformer en saucisse dans une usine à viande de Chicago est connu) et un texte à Winter Kills. Il en parle mieux que je ne saurais faire.
Déjà la distribution pour un premier film : on y voit Jeff Bridges, mais aussi John Huston, Anthony Perkins, Sterling Hayden, Dorothy Malone, Toshiro Mifune, Elli Wallach, et même lors d'une brève apparition muette Elizabeth Taylor dans un rôle de rabatteuse de filles inspirée de Judith Exner mais qui n'est pas sans rappeler plus près de nous Ghislaine Maxwell.
Dans son évocation du meurtre de Kennedy (adaptation d'un roman de l'auteur du Manchurian Candidate), qui amène le héros à démêler un à un les écheveaux de complots, imbriqués les uns les autres façon poupées russes, le film n'est pas prescient, il fait déjà ce pas de côté par rapport à une Amérique pourrissante, contrôlée en sous-main par ses ultrariches, pour qui tout prend la forme d'un vaste jeu (la présidentielle ou juste simplement jouer à la guerre avec des tanks dans sa propriété). Ainsi la photo de Vilmos Zigsmond nous balade-t-elle - à quelques exceptions près avec ce lumpen du crime que sont les mafiosi à la petite semaine ou ses policiers corrompus - à travers des décors luxueux, aussi bien un restaurant new-yorkais que des paysages de carte postale du Montana ou d'un endroit s'en rapprochant (belle scène un peu gratuite où l'on voit Bridges monter à cheval et galoper avec fougue uniquement pour l'entendre dire, une fois qu'il s'est suffisamment éloigné de la demeure familiale "Je te hais, Papa" dont on se rend compte qu'elle renvoie à la peur d'être écouté, avec cette figure mi-nixonienne-kennedyenne(père)-hefnerienne incarnée par John Huston qui contrôle tous les aspects de sa vie).
Quand il rentre dans la somptueuse demeure familiale à New-York, il est victime d'une nouvelle tentative d'assassinat par la bonne noire, qui dans la lutte, finit complètement dépoitraillée, les seins à l'air, offrant une image des plus ambigües lors de sa fuite. Le film reste un peu superficiel mais n'a pas pris une ride dans sa manière sarcastique d'épouser ses pentes complotistes, avec un sens du récit assez moderne lui aussi, entre je-m'en-foutisme et logique du rêve. Un précurseur à David O. Russell ou Tarantino. Comme le dit Taylor, loin est alors le choc initial du meurtre de Kennedy, son image de gendre idéal a bien été érodée par la politique de guerre froide, les liens familiaux avec la mafia et les cancans en tout genre, et le film part à l'exploration de cet embrouillamini, en choisissant de verser dans la comédie sinistre et grotesque. Les producteurs du film, qui étaient des trafiquants de drogue, avaient précédemment produit Black Emmanuelle. L'un d'eux sera retrouvé abattu par balle, attaché à un radiateur, l'autre prendra 40 ans de prison en 1982.
Texte dans lequel il cite un article de Norman Mailer sur le Watergate, où celui-ci suggère que l'affaire serait relié au meurtre de Kennedy et aux informations secrètes qui ne devaient pas en transpirer. "What a crazy country we inhabit. What a harlot. What a brute. She squashes sausage out of the minds of novelists on their hotfooted way to a real good plot" écrivait-il renvoyant à cette saucisse du générique de Prime Cut.
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