Forum de FilmDeCulte

En janvier 2018, l’abandon de la construction d’un aéroport à Notre-Dame des Landes met un terme au combat mené pendant des années par l’une des plus importantes communautés d’activistes de France. En immersion dans la ZAD entre 2022 et 2023, Guillaume Cailleau et Ben Russell rendent compte d'une société qui, après la lutte qui l'a réunie, esquisse à présent les contours d’un autre monde possible. Au même moment, à Sainte-Soline, les Soulèvements de la Terre s’opposent à un projet de privatisation de l’eau et se heurtent, une fois encore, à la violence de l’État.

Impossible de ne pas voir Direct Action sans y voir certaines références évidentes, qu'elles soient plus ou moins assumées par les deux réalisateurs. Le film s'ouvre, après une courte séquence de contextualisation sur ce que furent les combats de la ZAD de Notre-Dame des Landes, soldées victorieusement à la date du tournage de ce film, par un long plan fixe en contre plongée du phare de la ZAD situé à son entrée, plan fixe où l'on voit tout de même les nuages se déplacer dans le ciel, les bruits environnant, une vie qui déborde le cadre et le rend malgré sa fixité passionnant. Et on est à ce moment là très exactement dans le cinéma de James Benning, dont l'ombre plane nécessairement sur la totalité du film, avec ses longs plans fixes de plusieurs minutes, captant différents moments de vie, qui peuvent aussi bien être des moments de pur joie (un concert, un goûter d'anniversaire pour les enfants, un morceau de piano joué in extenso - qui m'a fait penser à du Keith Jarrett, aucune idée si c'est bien le cas), ailleurs de labeur (tracé un sillon avec une araire, planter de l'ail, pétrir la pâte pour faire du pain) qui cette fois rappel Les Travaux et les Jours. Entre toutes ces scènes une constante, une durée pour chaque plan/scène qui semble équivalente (typique du cinéma de Benning), qui laisse à chaque fois le temps au spectateur de s'imprégner en profondeur de ce qui s'y passe, d'y scruter les moindres détails ou de s'ennuyer jusqu'à la suivante.

Parce que, je le concède volontiers, le dispositif est tellement à rebours du cinéma conventionnel que ça ne plaira forcément pas au plus grand nombre (la seule séance par jour à Paris intra-muros me semble objectivement bien suffisante pour satisfaire les rares curieux). Parce que c'est un dispositif éminemment politique, une manière de ralentir le cours des choses, de prendre le temps d'observer, qui n'est malheureusement plus un habitus dans une société nécessairement frénétique, et qui pourtant, si on accepte de faire l'effort demandé par les deux réalisateurs, peut se révéler extrêmement gratifiant. Parce qu'au-delà de son dispositif en apparence rigide, Cailleau et Russell s'accorde tout de même bon nombre d'ajustement, entre des travellings ou des zooms insensibles, qui viennent toujours transcender l'action initiale, nous révélant un visage, une expression, ou dans la plus drôle d'entre toutes l'interlocutrice avec laquelle l'une des zadistes est en train de converser (et qui s'avère être une truie allongée dans la boue - que la teneur de la discussion tienne à la lecture d'un manuel sur les techniques d'interrogatoire de la police n'en est que plus savoureux). Ou encore cette trouée la plus franche dans le dispositif, le vol d'un drone dans le ciel de NDdL, dont on se dit qu'elle a justement était rendu possible parce qu'aucun aéroport n'a pu être construit à cet endroit (et la fin du vol, où le drone se place en face de son pilote, rappel évidemment une scène identique de The Plains).

Le militantisme fera son retour dans le dernier tiers du film avec les actions contre les méga-bassines de Sainte Soline, sans que cette irruption vienne profondément chambouler l'homogénéité de l'ensemble. La composition des plans est toujours aussi rigoureuse, et les deux réalisateurs de toujours se concentrer sur les corps en mouvements, militants d'un côté et CRS de l'autre. Exemplairement lors de la conférence de presse qui suit cette journée d'action et la dissolution des Soulèvements de la Terre, ce que leur caméra capte est d'abord les mains de ces 3 journalistes qui prennent des notes, longtemps avant que la caméra panote pour nous faire découvrir les visages des représentantes de l'association. A l'instar de ce que le film aura été par ailleurs, c'est la scrupuleuse osculation du geste au travail qui prédomine, son abnégation et la poésie qui sur le temps long finit par émerger, sans que la finalité de chacune des actions entreprises ne nous soient jamais montrées.