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MessagePosté: 09 Juin 2009, 23:03 
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Successful superfucker
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Charles Tatum, journaliste sans scrupules, va exploiter un scoop. Au Nouveau-Mexique, Leo Minosa, un Indien, est coince au fond d'une galerie effondree. S'arrangeant pour etre le seul journaliste sur le coup, Tatum va persuader le sherif de choisir la formule de sauvetage la plus lente. Tatum va devenir l'amant de la femme de la victime et poussera l'hypocrisie jusqu'a devenir l'ami de Leo.

Dans la pure veine misanthropique de Wilder qui se plaisait à fustiger toute sorte de foire aux vanités, ce film noir sur l'opportunisme journalistique trouve des résonnances toutes contemporaines dans les manières perpétuelles de la presse d'exploiter les faits divers. Si le pamphlet est acide, Wilder est moins convaincant dans la manière où Kirk Douglas, hargneux, presque hystérique, se fait rattraper par sa morale.
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MessagePosté: 25 Mar 2022, 13:59 
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Talent pour les dialogues et une forme d'authenticité de Wilder, dont le film fait ressortir le naturel d'éponge - la référence à Yogi Berra par exemple, mais aussi cette manière dont est mise en scène la variété de personnages, qui cet ex-marine terrifié au moment de débarquer à Naples, qui cette tenancière de bar, ex-danseuse, qui cet agent d'assurance en congés avec sa petite famille, qui cet apprenti-journaliste de province ou ce patron intègre mais prêt à bien des concessions. L'élément qui trébuche déjà un peu au début, c'est la vedette comme souvent : Kirk Douglas qui joue la condescendance, le mépris, la confiance en soi du confidence man avec un jeu ultra-physique et théâtral devenu passablement ringard.
L'autre défaut du film à mon sens, c'est qu'une fois son principe et sa mécanique mis en place - satire du mass media américain et de cette prédilection du public pour les histoires hénaurmes et les trajectoires individuelles momentanément confrontées à l'incroyable - le film se contente d'en être l'illustration très prévisible. Alors que paradoxalement, il fait dans le même temps un pas de côté avec le film noir avec son couple tout droit sorti de Le Facteur passe toujours deux fois mais pragmatiquement tout à son business. C'est pas intéressant parce que Wilder de la sorte posait le couvercle sur la tendance lyrique, psychotique du film noir qui lui précédait mais, empêché par la lourdeur de l'interprétation de son acteur principal et la cascade cynique de son programme, il n'est pas si prenant.
ça doit faire penser à un Don't Look Up, via son personnage de milliardaire : on se souvient du fait divers des enfants coincés dans la grotte en Thaïlande et de la façon dont Elon Musk s'était précipité à leur secours.


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MessagePosté: 31 Juil 2024, 15:40 
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En effet très démonstratif et un peu bancal. La fin est aussi trop proche de celle d'Assurance sur la Mort (mais aussi d'Asphalt Jungle), avec ce personnage d'agonisant lucide, qui a le temps de se savoir puni, et transforme la punition infligée par l'autre en suicide, parvenant in extremis à boucler la boucle: l'orgueil est un attachement au sens.

Le film me parait être le prototype d'un certain cinéma : des fables morales comme le Grand Embouteillage de Comencini, peut-être aussi Fincher dans la veine de Gone Girl. On n'est pas non plus si loin que cela d'Altman (la chanson country joue d'ailleurs un rôle important dans le film, qui anticipe alors Nashville): des films à thèses, choraux, avec une dimension baroque et masochiste, moins centrée sur l'édification du public que sur la faiblesses du comploteur, son impuissance à atteindre à la fois la fin qu'il recherche, et à exploiter comme un moyen le mal radical. Le collectif, exposé à la domination d'un seul et convoqué par lui, devient finalement le spectateur qui jouit de son échec.

C'est inégal , hybride. L'intrigue, improbable il faut le reconnaître, part peut-être d'un jeu scénaristique voulant illustrer littéralement l'expression qui donne au film son titre anglais Ace in the Hole. Mais souvent très bon : dialogues brillants (la fameuse phrase sur les hommes qui portent des ceintures et des bretelles en même temps, presque à la Audiard) et les passages dans le trou sont très bons, Richard Benedict est émouvant. Le scénario brasse habilement plusieurs thèmes : le mélange de cynisme consumiériste et de posture christique de la société américaine, le travail populiste de l'opinion par l'apparition des mass média et d'un populisme calculé, hypocritement sceptique, mais aussi plus finement et souterrainement un sous-texte féministe (passant moins par les paroles que les gestes et les regards de Jan Sterling) et un vrai point de vue sur la présence indienne : l'hypothèse de la malédiction punissant la profanation des vestiges archéologiques n'est pas absurde, et d'autant plus efficace qu'elle reste une donnée "statique" que le personnage exploite, mais que le drame ne parvient pas à rattraper ou à récupérer : quelque-chose travaille réellement ce lieu, surnaturel et pourtant entièrement quantifiable, réintégré dans un calcul capitaliste, à la fois total et modeste.

Le film est formellement hybride, avec un début qui tient de la comédie sociale à la Mankiewicz, un milieu de film noir, et une fin qui rejoint l'expressionnisme allemand, à la fois démonique, voire même dm,antrice , et moderne : cette foire et ce cirque à la fois hyperréalistes et incongrus sont les scènes d'une perdition transparente et collective, faussement naïve, en fait assumée . Chacun espère qu'elle peut produire un salut paradoxal, d'abord économique avec l'argent qu'elle fait gagner, mais peut-être aussi politique et moral. Le speaker qui dit "A community is maybe born there" n'est pas ironique. Les personnage perçoivet eux-même la vulgarité et les paradoxes de leur situation. Ce n'est pas ce que le spectateur perçoit seul et contre eux. Ils ne les critiquent pas, car ils ne sont pas tout à fait sûrs d'y croire eux-mêmes.

Le personnage de Tatum subit une sorte de fatalité romantique , où une "loi" menaçante aboutit par la mort de son objet à une expiation morale totale. La justice vient après que le mal ait déployé ses derniers effets, et transforme le monde en spectres. Rien n'est empêché mais tout perd de sa valeur : le passage final où Kirk Douglas essaye de se vendre comme le journaliste-assassi de Léo (voire aussi de la réalité), pensant qu'un autre peut récupérer son histoire, jouir du réel et le monnayer de la même manière que lui, mais qui devient un pléonasme absurde et mortel tant il méconnait la banalité de son cynisme.

Mais il subit aussi son propre masochisme qui fonctionne comme une pulsion motrice, une énergie brute, en perpétuel mouvement, qui voudrait rattraper le destin, le dépasser même négativement, mais n'y arrive pas, qui s'épuise malgré sa force.
Tout ce que le film représente de civil et social tient dans l'échec de ce masochisme : Kirk Douglas est horrible, moralement parlant, mais efficace pour la communauté du bled. En croyant simuler, il exerce en fait un pouvoir réel que la conscience de son mensonge limite et tempère. Ce qu'il dit sur la pudeur qu'il convient d'exercer vis-à-vis de Léo est juste, et son rapport aux autres reste toujours de l'ordre d'un contrat dont on est libre de s'excepter, même vis-à-vis de Léo.

Le film est aussi, mine de rien, une inversion totale du mythe de la Caverne de Platon, qui rejoint de manière étonnante certains passages de Bruno Latour dans Politiques de la Nature , qui relève une forme d'impérialisme liée à l'idée d'un clerc émancipant de manière permanente ses sujets, rétablissant de l'extérieur une vérité censée être toujours déniée (mais par qui ? par l'effet d'une intention, dont l'orgine reste inconnue, ou plutôt d'une limite ?).
Ce mythe transfère sans le savoir la compassion des personnes vers les valeurs : l'homme, dans le film, enfermé dans la grotte est naïf et sage, jalousé pour sa simplicité, il meurt inconscient de sa force . L'injustice qu'il subit le sauve, car elle remplace l'erreur. Et le réel à l'extérieur qui croit le regarder devient au contraire le lieu où la projection et l'illusion s'exercent de la façon la plus forte.

Tatum est contraint à la fois au mal moral et à la visibilité sociale. Comme fautif, il ignore qu'il est déjà justifié et reconnu, il cherche à récupérer et à jouir de ce qui, en lui, n'avait de valeur que pour les autres . Mais le crime qui en découle devient alors une médiation politique, un lien matériel, une proto-société, lucide et éphémère- Kirk Douglas, à force de tomber dans des tautologies morales qu'il est le seul à ne pas percevoir, devient un prophète laïc.

Sinon DPSR cerne bien le film (bmntmp aussi) mais bémol à son résumé : rien ne se passe finalement entre Tatum et la femme de Léo , malgré les avances de celle-ci.
(à part une gifle, dont la mise en scène Wilder d'ailleurs se distancie, en n'en faisant pas un passage obligé, mais le geste de folie gratuite par lesquel la chute du personnage débute)

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Jean-Paul Sartre


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 01 Aoû 2024, 19:43, édité 6 fois.

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MessagePosté: 01 Aoû 2024, 10:27 
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Le film est inspiré d'un fait divers réel (en fait deux après vérification), avec un prix Pulitzer dans l'un des cas. Sinon très proche d'Un Homme dans la foule de Kazan (fable morale sur le cirque médiatique). Wilder a eu droit à un procès à l'époque, qu'il a gagné.


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MessagePosté: 01 Aoû 2024, 16:03 
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Oui je l'avais lu il y a longtemps et y ai aussi pensé, même si je n'ai plus un souvenir clair du film de Kazan, plus dans le rise and fall classique que celui-ci il me semble. Le charme de Kazan est de prendre souvent des acteurs moins connus, créant plus d'identification que des stars.

Le personnage de Kirk Douglas dans le Wilder n'est pas non plus éloigné de celui qu'il tenait dans Chaînes Conjugales de Mankiewicz trois ans plus tôt, avec sa tirade contre la radio et la pub, le même moralisme ou humanisme cynique et cabotin, la même lucidité aussi malgré, tout dans les deux films.
On sent que l'acteur comme les deux réalisateurs, connaissaient sans doute Adorno. Et que pour ce film Wilder a eu un peu de mal à diriger Kirk qui veut montrer qu'il est comme acteur plus malin que son personnage (et en même temps exhiber son énergie physique), d'où peut-être l'aspect brusque et rapporté de la fin tragique, qui est avant tout une stratégie pour ne pas se laisser dominer par sa star je crois.
Le propos du film de Wilder et son choix de casting sont aussi signifiants dans le contexte du tout début du MacCarthysme.

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