The Consultant
J’ai lu le roman de Bentley Little en vitesse, toujours forgé dans cette formule bien rodée qui consiste à faire s’immiscer dans un quotidien d’image d’Epinal (ici le mode de l’entreprise) une figure elle aussi familière (un consultant) dont le comportement étrange et menaçant va faire péter les coutures petit à petit. Bonne lecture, bonne monstruosité rampante, du sale, de la paranoïa, de la torture psychologique et un regard acéré, et très américain, sur ce que la culture d’entreprise peut avoir de plus coercitif et déshumanisant. Comme indiqué dans le topic « dernières lectures », c’est ni plus, ni moins que du R.L. Stine « pour adultes » même si cette dénomination mérite amplement débat (et n’a pas vocation à minimiser le travail de Stine qui est excellent pour les enfants), en tout cas plus méchant, plus tordu et scabreux, mais très carré. Paré pour une adaptation, donc.
La série adapte au final plus l’idée que le déroulé du livre, n’en reprenant que quelques éléments cosmétiques. Si le roman, pourtant pas très vieux, dépeint les déboires d’un univers surtout masculin, ici on est sur le modèle de la start-up californienne qui a percé avec plus de diversité dans le personnel, notamment niveau persos principaux. De fait, on passe du flirt entre premier degré et grotesque inquiétant du romancier et son jeu communicatif avec la suspension d’incrédulité, au sarcasme passif-agressif des fictions récentes qui accompagne toujours ce souci de représentation. Autrement dit un mode de communication creux, uniforme, pas sérieux, l’exact inverse de la confrontation et de son intérêt principal à savoir, et c’est là toute l’ironie, la diversité des réactions que ladite confrontation ne manque jamais de susciter. Christoph Waltz, lui, produit et se donne le rôle-titre, continuant d’assumer le typecasting avec force cabotinage et truculence.
Son consultant est plus ambivalent que celui de Little. Cette ambivalence est d’une part délibérée, s’inscrit dans un propos d’ensemble sur les carrières dans les milieux compétitifs qui ne florissent pas seulement par le mérite, mais aussi par les coups-bas… qui sont un moyen d’avancer légitime s'ils sont assénés à des salauds, nous dit-on (rien sur le prix à payer pour son propre rabaissement à s’y adonner pour venir densifier la dramaturgie). Mais ça vient aussi d’un manque de précision et de cohérence dans le point de vue et le cheminement des personnages (tantôt enquêteurs performants, tantôt rageux passifs sans que ça ne soit organique) ainsi que des digressions parfois prometteuses mais qui n’aboutissent pas. Quelques impasses dans certains mystères aussi. La « morale » de cette petite histoire apparaît comme bien convenue, et à revoir.
Le portrait dressé du milieu de l’entreprise est donc timoré : on a tous acté plus ou moins consciemment qu’une bonne partie de notre travail en milieu pro consiste à doper nos qualités de 9h à 17h et minimiser au max nos défauts, d’où le fameux lieu commun qui veut qu’au boulot on joue un rôle. Dans mon expérience, les pires collègues sont d’ailleurs ceux qui arrivent « comme ils sont » au mépris d’une convention qui a aussi pour but de faciliter d’un commun accord la vie de chacun au cœur de la contrainte salariale, mais c’est un autre débat. Bref, le potentiel était là pour donner libre cours au déraillement de cette micro-société basée sur du semblant, aux conséquences individuelles comme collectives de ce déraillement. D’autant plus que le roman fait le taf, et bien. Il délivre de ouf, même. La série, en revanche, tortille du cul.
Il y a quelques qualités quand-même : les épisodes sont courts, la tension est plutôt bien gérée malgré le manque de radicalité, et on retrouve par touches des petits éléments amusants concernant la mixité au travail, qui sont des eaux notoirement délicates à naviguer (rien de vraiment sexy ou stimulant, cependant). Dans l’ensemble c’est du office weird très safe qui se contente la plupart du temps du minimum syndical, qui souffre de la comparaison non seulement avec le matériau d’origine mais aussi, si j’en crois les critiques plus éclairés, avec Devs et Severance (pas vus), et qui mise surtout sur son acteur principal qui fait bien le taf. Ça se regarde. Amazon, il me semble.
Tires
Shane Gillis a un parcours incroyable : gain en popularité sur des petites scènes et sur internet, surtout suite à l’explosion des podcasts qui a permis aux comédiens de stand-up de continuer à déblatérer entre eux, il devait rejoindre la troupe du Saturday Night Live courant 2019 avant d’être cancelled dans les règles de l’art à quelques jours de sa première suite au resurfaçage par un journaliste d’extraits des-dits podcasts contenant des blagues jugées offensantes envers la communauté asiatique.
Etant tout de même talentueux et visiblement bosseur, il a continué sa route malgré cette porte fermée. Il évolue dans une veine humoristique affranchie de toute recherche de lissage sans pour autant être victimaire façon « ouin ouin la cancel culture » (son special est très, très fort). Il a finalement été invité au SNL il y a peu, rendant plus service à l’émission qu’à lui-même. Contrairement à Ricky Gervais, il ne se pose pas en résistant au « wokisme », ce qui est limite un affront encore plus cinglant à la tentative d’imposition d’une doxa dans son domaine : en refusant la surenchère, la polémique et la provocation, et surtout en étant drôle (meilleur imitateur de Trump), il se contente de faire son travail comme si cette lol police bien réelle et zélée n’existait pas.
Bref, Tires, série Netflix en 6 épisodes de 20 minutes qu’il co-écrit et co-produit et où il incarne un des membres d’une équipe de bras cassés dans un garage automobile en déroute. C’est le schéma classique de la comédie avec une catastrophe ordinaire à éviter, où ça enchaîne vannes, mauvaises idées et petites victoires acerbes, écrit et joué par des gens qui ont eux-mêmes eu ce genre de boulots foireux dans des équipes dépassées et qui sont extrêmement doués pour prendre le pouls de la société et des VDM de losers qui en sont le terreau. Vulgaire, régressif, globalement très sympa, pas du niveau des spectacles de Gillis mais quand même marrant. Très cool aussi de voir Stavros Halkias et son look incroyable (obésité, calvitie + cheveux longs) en second rôle, lui-même issu de la culture podcast et qui fracasse tout sur scène. Il s’avère bon acteur (plus que Gillis). Ca rappelle beaucoup Clerks II.
_________________ Looks like meat's back on the menu, boys!
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