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Il est près de 1 heure du matin, ce 19 janvier 2023, lorsque les habitants d’un immeuble des Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) sont réveillés par des hurlements. Deux adolescentes viennent d’être agressées, au quatrième étage, dans un appartement qu’elles avaient loué sur les réseaux sociaux.

Leïla (le prénom a été changé), 17 ans, a le visage en sang. Cette jeune influenceuse « style de vie », qui aime les selfies avec filtres et les vidéos de son décolleté plongeant, sur fond de rap, est suivie par plus de 100 000 abonnés sur TikTok. Cette Parisienne, scolarisée en CAP sécurité, raconte aux policiers, alertés par les voisins, avoir loué cet appartement avec jacuzzi sur les réseaux sociaux pour passer un peu de bon temps avec ses potes.

Mais la fête, raconte-t-elle encore, a mal tourné lorsque deux inconnus auraient frappé à la porte de l’appartement, avant de la braquer avec une arme de poing. Selon son récit, l’un des deux agresseurs l’a menacée de mort et frappée au visage avec la crosse de son pistolet, avant de prendre la fuite avec 150 euros en liquide et les téléphones.

Cependant les policiers tiquent. Dans l’appartement, ils ont mis la main, près du lit, sur un sac plein de préservatifs usagés. La plus jeune, Asma (le prénom a été changé) — elle fête ses 14 ans le lendemain — reconnaît d’emblée, avec un détachement troublant, se prostituer dans cet appartement depuis cinq jours.

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Elle confie sans fard avoir fugué de son foyer, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), pour vendre son corps. C’est un proxénète, qu’elle venait de recevoir en tant que client, qui est en réalité venu les agresser, pour voler les recettes et l’exhorter à travailler désormais pour lui. « Cette histoire, je m’en fous un peu. Ça ne me choque pas. Ce n’est pas traumatisant pour moi », glisse calmement l’adolescente, devant les policiers médusés. L’enquête est confiée au SDPJ (sous-direction de la police judiciaire) 93.

« Pendant les passes, elle restait dans le salon »
Après avoir un temps tenté de couvrir sa copine Leïla, Asma finit par reconnaître que c’est bien l’influenceuse qui la prostitue. Elle connaissait Leïla sur les réseaux sociaux, et l’avait rencontrée quinze jours plus tôt par l’intermédiaire d’une copine de foyer. « (Leïla) m’a dit que j’allais bosser avec elle et qu’on allait gagner un max d’argent. Elle m’a vendu du rêve quoi. »


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Selon Asma, c’est Leïla qui a loué l’appartement, uniquement dans le but de la prostituer. C’est Leïla, aussi, qui a pris des photos d’elle dans des positions suggestives, pour en faire des annonces prostitutionnelles. C’est elle encore qui répondait aux appels des clients pour leur donner rendez-vous, qui leur ouvrait la porte et les conduisait dans la chambre. « Pendant les passes, elle restait dans le salon. Et ensuite, elle encaissait les passes. »

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Asma raconte aux enquêteurs avoir reçu « 7 ou 8 clients par jour, pendant quatre ou cinq jours ». Leïla, selon la jeune fille, « demandait 50 euros pour quinze minutes et 100 euros pour trente minutes ». L’influenceuse imposait aussi à la fugueuse des rapports sexuels avec « ses potes ». Les adolescentes s’étaient mises d’accord pour faire « 50/50 ». Mais Asma n’a « jamais touché le moindre centime », dénonce-t-elle. « Je ne voulais pas retourner au foyer, donc je ne disais rien. »

Leïla, selon l’avocate de l’administrateur ad hoc d’Asma, avait une forme d’emprise sur la jeune fille. « Elle use de son statut d’influenceuse pour agripper des jeunes », a prévenu l’avocate, lors d’une audience en juin devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). « (Asma) s’est laissée entraîner. (…) Ce passage lui a laissé un certain nombre de marques. Aujourd’hui, elle ne met que des vêtements amples. Elle n’est plus apprêtée », déplore-t-elle.

L’influenceuse nie en bloc
L’exploitation du téléphone de Leïla est fructueuse. La jeune fille semble y tenir des comptes. « 330 euros escorte », « 470 euros moi », est-il écrit sur une note. Les photos dénudées d’Asma pour ses annonces ont bien été prises avec ce téléphone. « Je lui ai prêté mon téléphone, je ne sais pas ce qu’elle a fait », se défend Leïla, en garde à vue, qui conteste toute activité de proxénétisme et de prostitution.

Dans son téléphone, les enquêteurs retrouvent aussi des photos de liasses de billets, souvent exhibées sur les réseaux sociaux. De l’argent gagné avec ses vidéos d’influenceuse, jure-t-elle. « L’argent vient des pubs (…) TikTok envoie une carte bleue, et il y a juste à retirer. »

Le psychiatre, qui a expertisé Leïla, n’a relevé aucun « signe direct de perversité manifeste », chez un sujet « égocentré » et « immature ». Il a préconisé une assistance éducative pour l’aider à faire face à la « carence massive de la fonction paternelle » chez cette jeune fille, élevée par sa mère, femme au foyer algérienne qui ne lit pas bien le français, seule avec trois enfants.

Leïla a été condamnée pour proxénétisme aggravé le 16 juin par le tribunal pour enfants de Paris. La sanction sera prononcée lors d’une audience en janvier 2024. Contactée, son avocate n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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Devant les policiers, Asma a raconté qu’un pote de Leïla, Amar (le prénom a été changé), 20 ans, était chargé de sa sécurité. « Il restait devant la porte » quand elle recevait « les clients », et lui fournissait « des préservatifs ». Il pouvait aussi lui arriver de gérer les annonces. Le jeune majeur a, pour sa part, comparu le 23 juin devant le tribunal correctionnel de Bobigny.

À l’audience, il a reconnu pour la première fois les faits, tout en les nuançant. Il a bien aidé Asma dans son activité de prostituée, en lui « apportant à manger » ou lui fournissant « des préservatifs », mais sans être rémunéré. « J’ai touché zéro euro. C’est pour ça que j’ai refusé le terme de proxénétisme », a expliqué le jeune intérimaire à la barre, tempes rasées, cheveux noirs bouclés sur le haut du crâne.

Un « climat de banalisation de la prostitution »
Amar a affirmé s’être rendu dans cet appartement pour y faire la fête. « J’avais trois jours off. (Leïla) m’a dit qu’il y avait un jacuzzi. J’y suis allé pour décompresser, je travaillais beaucoup. » Il dit avoir eu du mal à comprendre qu’Asma se prostituait. « Je ne savais pas forcément que c’était un délit, parce qu’elle était motivée à le faire », dit-il, soutenant ne pas avoir été « au courant qu’elle était mineure ».

Tout en dénonçant le « climat de banalisation de la prostitution » dans cet appartement, au moment des faits, Me Florian François-Jacquemin, l’avocat d’Amar, a appelé le tribunal à faire preuve de « lucidité ». « Entre un jeune homme qui commet l’infraction car il facilite l’activité de prostitution, et des proxénètes qui contraignent et tabassent, il y a un monde », a-t-il plaidé.

Amar a été condamné à quinze mois d’emprisonnement avec sursis. Une peine plus légère que celle requise par l’accusation, qui avait réclamé deux ans de prison, dont un avec sursis.

Immersion. Notre chroniqueuse Nora Bussigny publie Les Nouveaux Inquisiteurs. Douze mois d'enquête dans une France, qui, au nom du droit à la différence, bascule souvent dans le rejet sectaire.

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Duo de chignons sur la tête, faux piercing dans le nez et maquillage bariolé, Nora Bussigny, 27 ans, s'est muée en militante woke pour cette immersion inédite. Dans Les Nouveaux Inquisiteurs. L'enquête d'une infiltrée en terres wokes (Albin Michel), la chroniqueuse du Point et journaliste à Factuel relate son année passée, sous une fausse identité, dans une drôle de communauté. Ici, tout est codifié, le vocabulaire est réinventé, on se présente par son " pronom " (il, elle, iel ou autre), on s'isole dans des " safe places " (qui garantissent l'entre-soi et la non-agression), les luttes sont dites " intersectionnelles " et prétendent combattre le sexisme, le " validisme " , l'islamophobie, la transphobie...

Loin des essais théoriques sur ce phénomène qui séduit de nombreux natifs de la génération Z, Nora Bussigny, alias Noli, nous emmène au coeur du wokisme. À travers des groupes de parole, des collectifs, des manifestations ou des cours à l'université qu'elle a infiltrés, la journaliste nous fait découvrir l'envers du décor : derrière les discours égalitaristes et " inclusifs ", on n'hésite pas à exclure, parfois violemment, et sans motif légitime, les hommes surtout, " cisgenres " * de préférence, ou les Blancs ; on hiérarchise les êtres humains selon leur couleur de peau et leur statut d'opprimé ; on s'écharpe sur des concepts identitaires avant que ne triomphent les petits égoïsmes et les grandes contradictions...

L'impulsive Nora Bussigny a parfois du mal à réprimer un sourire ou à taire une remarque devant ses nouveaux compagnons de lutte. Elle ne cache rien au lecteur de ses doutes, de ses états d'âme, de sa peur d'être démasquée, puis, publiée. On la suit même dans le cabinet de son psychanalyste, où Nora-Noli réfléchit à la " dissociation " qu'elle est en train de vivre. Au point qu'elle finit par opérer sa propre " déconstruction " et remet en question (temporairement) son " privilège " blanc, " cis ", bourgeois, valide... Elle questionne : " Et si le but central du wokisme, c'était ça : faire que nous nous sentions coupables ? "

Encadré(s) :

EXTRAIT
Avec les " racisés " à la Pride radicale

" On est ici ! " m'apostrophent plusieurs militants déjà installés, dont je reconnais pour certains les visages.

Je m'assieds à côté d'Alice, qui en profite pour me présenter Neha, une femme transgenre frêle, pâle et moustachue toute occupée à se restaurer. [...] Noxe, cheffe du service d'ordre, nous demande de regagner nos équipes.

Secondée par une certaine Ava, jeune fille souriante et efficace, Noxe entame le briefing des troupes : " Valeurs actuelles et Le Parisien seront sans doute là, ils ont fait des articles sur la pride. Il ne faudra pas hésiter à virer tous les journalistes avec des caméras et à s'assurer que ceux qui prennent des photos avec des appareils sont des photographes briefés par nos équipes, surtout sur les questions de consentement. On leur distribuera des chasubles dorées à nouer autour de l'épaule pour que vous puissiez repérer ceux qui sont safe. "

Côté " tri sélectif ", les binômes racisés devront prioriser les cortèges non mixtes. À la suite du débat houleux de la semaine passée, il a finalement été décidé que les Blancs ne pourront pas faire partie du service d'ordre encadrant les cortèges non mixtes. Je dénombre à peine dix personnes racisées prêtes à encadrer les cortèges, ce qui n'est pas pour me rassurer. Le passage de cinq camions de CRS interrompt mes élucubrations : pour la première fois, j'ai peur des forces de l'ordre. Je repense aux propos de militants antiracistes : " Les Blancs ne savent pas ce que c'est que d'avoir peur devant des policiers ou des CRS. "

Je ne sais pas si cette peur est conditionnée par les heures passées à la formation autour de la question des violences policières mais, comme je suis pour une fois aux premières loges, je me promets d'être aujourd'hui la plus objective possible.

" Les binômes ne doivent surtout jamais se séparer, même pour aller aux toilettes ! " nous rappelle Noxe d'un ton ferme.

Alors qu'un de mes collègues finit par renoncer à ses talons aiguilles, je me tourne vers Alice dont je remarque pour la première fois la pomme d'Adam. Alice est donc une femme transgenre ? Qu'est-ce que cela change pour moi finalement de le découvrir ? Je tente d'y réfléchir en récitant mon numéro de téléphone à Ava qui ajoute les derniers arrivants à la conversation Signal cryptée.

[...] Avec Alice, nous rejoignons le cortège des racisés, alors que le coup d'envoi du départ doit être bientôt lancé. J'entends des bribes de conversation parmi les personnes présentes : " enfin des gens comme nous " , " l'année dernière la mixité n'était pas aussi établie " .

Alors que l'équipe de la Pride radicale s'affaire autour des micros, des enceintes et des chars afin d'entamer les discours, je propose à Alice de commencer à " maintenir la non-mixité du cortège des non-racisés " , autrement dit " éloigner les Blancs " . Je tente une approche vers un groupe de personnes noires et métisses parmi lesquelles figurent deux jeunes roux à la peau ivoire et m'éclaircis la voix avant d'interrompre leurs conversations témoignant de leur hâte et de leur joie de participer à l'événement.

" Désolée, mais cette partie du cortège est réservée aux personnes racisées uniquement...

- Donc là vous pouvez rester, mais quand ça va démarrer, il faudra aller derrière dans le cortège mixte " , m'interrompt Alice, complétant mes propos.

Le groupe se regarde mais personne ne bronche, excepté le jeune garçon roux affublé d'un drapeau LGBT et cramponné à sa bière.

" Mais je sais pas si je suis racisé, moi, ça veut dire quoi ? " nous demande-t-il, perplexe.

Je repense à la manière dont les militants commentent et répondent dans les groupes Facebook que j'ai réussi à rejoindre et trouve la réponse parfaite : " As-tu déjà vécu du racisme ? Sinon, cela veut dire que tu n'es pas une personne racisée, et cet espace est un lieu safe en non-mixité. "

Alice me regarde avec approbation et opine du chef.

" Pardon, vous avez raison, désolée pour lui, on s'en va ! " s'empresse de s'excuser son amie, l'entraînant avec elle en baissant les yeux.

Nous continuons à aborder les groupes dont la docilité me déconcerte. Je guette chaque grimace indignée ou moue boudeuse mais la soumission des personnes blanches est immédiate, inquiétante. Au fil de nos pérégrinations, nous croisons Neha à son poste de street medic. Alors que nous la saluons, je remarque que son discours écolo-végan est à géométrie variable : elle vient de jeter son mégot de cigarette par terre...

" On a un retard monstre parce que chaque asso fait des discours et qu'on a du mal à imposer la non-mixité des cortèges " , nous confie Nuage, occupé à regarder Iris discuter avec deux patrouilles de police arrêtées le long du boulevard. J'ose lui demander si les policiers empêchent le lancement de la manifestation, sans m'attendre le moins du monde à la teneur de sa réponse : " Non, mais le problème c'est qu'on ne peut pas leur dire qu'on doit demander aux Blancs d'aller ailleurs. On est obligés de leur mentir parce que c'est illégal de refuser des Blancs, à cause de la loi sur le séparatisme. "

Je scrute les visages d'Alice et des autres présents, attendant de voir si l'un d'entre eux semble choqué. Mais tous opinent du chef, à ma grande surprise, sans broncher.

" Putain, j'en ai marre ! Le FLIRT * avait exigé une non-mixité trans, j'avais cousu des drapeaux, briefé tout le monde et maintenant ils ont changé d'avis, tout le monde a le droit de participer au cortège et en plus eux aussi veulent faire leur discours maintenant, ça risque pas de démarrer ! " tempête Iris en nous rejoignant tous.

Impossible à calmer malgré nos tentatives, Iris semble écoeurée que le cortège des transgenres soit finalement autorisé aux personnes cis. Comme quoi, la mixité et le vivre-ensemble ne semblent pas être l'apanage de la Pride radicale 2022...

[...] Si, dans les premiers temps, les manifestants blancs obéissent et s'écartent en s'excusant, je remarque que plus ils sont alcoolisés, moins la tâche s'avère facile. Avec Alice, qui rechigne à me voir m'éloigner ne serait-ce que de quelques mètres, nous éprouvons beaucoup de difficultés à repousser les Blancs, attirés comme des mouches par l'ambiance.

" Eh toi ! Oui, c'est à toi que je parle ! "

Je me retourne et vois foncer vers moi un homme, âgé d'une petite quarantaine d'années, furieux. " Il paraît que c'est toi qui as demandé à mon compagnon et à mes amis de partir parce qu'ils sont blancs, c'est vrai ? ! "

Je déglutis et tente de faire taire ma fâcheuse tendance à l'impulsivité pour lui répondre d'une voix assurée que je ne fais qu'obéir aux consignes de la Pride radicale et des associations.

" Mais j'en ai rien à foutre ! Tu te rends compte ? C'est horrible ce que tu fais ? ! On est un couple gay, on est avec nos amis, on est heureux et fiers de défiler main dans la main avec eux et toi tu nous sépares parce qu'ils sont blancs ? ! "

En repensant aujourd'hui à cette scène, je ne peux m'empêcher de déplorer cette facilité avec laquelle j'ai pu devenir cette autre personne. Comment la journaliste en immersion prête à montrer toutes les contradictions et violences de cette frange du progressisme a pu devenir aussi vite ce bon petit soldat frustré d'être contredit pendant qu'il fait régner l'ordre pour " le plus grand bien " . Ne suis-je pas là au coeur du questionnement que tente de poser ce livre ? Par quel lavage de cerveau, mécanique d'acquiescement, effet d'emprise, ai-je soudain pu devenir cet automate prêt à faire partie d'un système qui divise au lieu de rassembler ?

" Ton compagnon et tes amis ont tout à fait le droit de défiler dans d'autres cortèges mixtes, ici ce sont UNIQUEMENT les personnes racisées, ce qui n'est pas leur cas, donc ils doivent partir, mais toi tu...

- Je te défends de dire que je suis racisé parce que je suis arabe ! C'est contre-productif ce que vous faites, et si c'est ça le vivre-ensemble, je trouve ça odieux ! Tu ne nous empêcheras pas de marcher où on veut ; on est dans la rue ! "

[...] Peu à l'aise, j'en profite pour interroger avec précaution une des membres du staff, visiblement arabe, qui me rassure, non sans humour d'ailleurs : " T'inquiète, les Algériens et les Arabes peuvent intégrer sans problème le cortège des personnes noires et afro-caribéennes, c'est toujours mieux que des Blancs " , s'esclaffe-t-elle en me faisant un clin d'oeil, tandis que Pierrette s'entête à avancer sans tenir compte des plaintes des uns et des autres. Scrutant la foule peuplée de pancartes " Free kiss si tu as voté Nupes ", " Papiers pour toustes ou on vous vole les vôtres ", " La police est sale, l'IGPN blanchit ", je rejoins Alice.

[...] Dix-huit heures. Le retard pris par les cortèges ne me permet pas de rejoindre la place de la République où un " after " attend les militants. Alors qu'aucune altercation avec les policiers qui nous ont au contraire aidés à sécuriser le périmètre n'a été recensée, j'entends scander en choeur par la foule " tout le monde déteste la police " accompagné d'éclats de rire juste sous le nez des forces de l'ordre impassibles.

Épuisée, je prends congé d'Alice qui semble elle aussi morte de fatigue après s'être plainte une fois de plus de la mauvaise organisation des cortèges et rejoins Wael et Leïla pour filer sans demander notre reste. Survoltés, mes deux comparses ont beaucoup de choses à me raconter : " On s'est fait dégager du cortège des afro-descendants parce qu'on n'était pas noirs !

- Quand Leïla leur a dit que le Maghreb était en Afrique, on s'est entendu rétorquer que l'enjeu était plus important, avant de nous forcer à aller dans le cortège des racisés ! "

Pourtant " racisés " , mes deux amis m'avouent être atterrés par le comportement des militants. Pour meilleure preuve, le flot d'anecdotes emmagasiné depuis le début de la manif, à commencer par celle-ci : " Entre tous les chants anti-flics et les " Macron extorsion, démission ", on avait une nana de l'organisation qui hurlait : "Ici c'est pour les racisés, les Blancs ça dégage." " Mais pour Leïla, la scène la plus choquante restera celle de cette vieille dame qui " nous regardait passer en souriant, non pour se moquer mais parce qu'elle trouvait beau tout ce joyeux bordel, et à laquelle un type noir a jeté à la figure : "Ah on te fait rire ? Sale vieille Blanche de merde !" "

Lutter contre le racisme en séparant les gens en fonction de leur colorimétrie, prôner un régime végan et balancer ses mégots et ses déchets par terre, dénoncer une police violente et insulter les forces de l'ordre sans véritable motif, faire un cortège pour les manifestants souffrant de handicap mais contraindre les personnes à mobilité réduite à rentrer à pied, se battre contre les privilèges capitalistes et pour les migrants mais empêcher les livreurs de travailler correctement... Chapeau bas aux 40 000 participants " fier.es de lutter toustes ensemble " pour une France " meilleur.e " . Le wokisme : une nouvelle incohérence ? Une nouvelle intransigeance maladive ?

* Cisgenre (ou " cis ") : quand l'identité de genre correspond au sexe de naissance

Avec Jean-François Mizo ?