Forum de FilmDeCulte

D’un souvenir fantasmé de la Seconde Guerre Mondiale au Berlin contemporain, Evolution suit trois générations d’une famille marquée par l'Histoire. La douleur d’Eva, l’enfant miraculée des camps, se transmet à sa fille Lena, puis à son petit-fils, Jonas.


Etrange et joli petit film, divisé en 3 parties, et qui est l'adaptation d'une pièce de théâtre. Tout d'abord, je n'ai pas vu Pieces of a woman, son film Netflix qui apparemment représente un tournant stylistique chez Mundruczo et sa première co-réalisation avec Kata weber. Evolution est apparemment dans cette lignée. Plus terre à terre et réaliste que ses autres films, Evolution n'empêche pas pour autant Mundruczo de se livrer à ses envolées oniriques habituelles coupées du réel. Il y en a moins qu'avant mais, paradoxalement, ce sont les scènes les plus réussies.

Il faut voir cette impressionnante ouverture où apparait 3 nettoyeurs dans une étrange salle délabrée qui font leur boulot et découvrent petit à petit des éléments un peu glauques. La scène est quasi-muette, l'atmosphère mystérieure, et la montée en puissance de l'étrangeté jusqu'à son dénouement est magistral. En 10 minutes, tout l'art de Mundruczo est réuni. Cette étrangeté, on va la retrouver plus tard dans une inondation qui est une idée pouvant confiner au ridicule sur le papier mais à l'écran ça paye.

Mais de quoi parle Evolution? On va s'attarder sur son titre qui le résume bien. Le film tourne autour de la Shoah, ça commence par une survivante d'Auschwitz et on va voir au fil des générations comment les membres de cette famille vivent leur judaïté et le poids de cette lourde page historique. "Evolution" car là où le film est intéressant, c'est comment il observe le changement de perception de cet évènement par les membres de la famille, leur rapport à l'origine et la religion, et l'antisémitisme commun. J'aime beaucoup l'expression du Monde qui dit que les 2 cinéastes filment, à travers Evolution le poids de l'empreinte génocidaire. C'est tout à fait ça.

Ce qui est très habile, c'est comment en 3 blocs, les 2 cinéastes arrivent à agencer ces multiples thèmes. C'est jamais lourdaud ou pesant, comme pourraient le faire craindre ces multiples toiles de fond, et ça se regarde de manière très fluide. Le film est quasiment composé que de 3 scènes, la deuxième est très théâtrale mais sublimée par ses 2 actrices et il y a de belles fulgurances. C'est finalement la troisième qui, même si de très bonne facture, est un peu moins forte. Même si elle clot le film sur une scène adorable tellement elle est mignonne.

Au final, c'est plutôt sympa ce Cannes premiere. Même si ça multiplie les sélections parallèles, et les critiques à ce sujet, comme quoi ça réduit l'attractivité des autres grands festivals (Venise et Berlin bien sûr) car on leur pique des films qui auraient été présents là-bas en temps normal, ne sont pas fausses. Evolution avait peut-être les épaules pas assez larges pour figurer en sélection officielle pour la palme, il n'avait rien à faire chez Un certain regard et c'est sympa de le voir mis en avant de cette manière.

Ah et sinon, pour l'anecdote, c'est produit par Scorsese.

4/6

Ah, et contrairement à ce que pourrait laisser penser sa date de sortie, le film est de Cannes 2021, pas 2022.

J'aime beaucoup le cinéma de Mundruczo Kornel dont j'ai vu tous les films sauf le tout tout premier (que je vais chercher). Déjà car il tente des choses, ose le lyrisme cinématographique, quitte parfois à aller trop loin (pas méga fan du plan-séquence de Pieces of a Woman) mais tant pis, ça peut aussi être ça le cinéma, un expérience cathartique. Bref, ici, pour Evolution, film sorti dans un anonymat relatif, Mundruczo et Weber racontent en trois plan-séquences impressionnants (même s'il y a des évidents points de coupe il me semble dans le dernier segment) comment une famille doit vivre et ressasser un épisode particulièrement traumatique.

L'introduction est magistrale, j'ai eu les larmes aux yeux devant ce bébé littéralement extrait des enfers - c'est l'affiche, je ne spoile pas plus). Le second longue discussion entre une mère et sa fille impressionne par le jeu des actrices. Le troisième est peut-être plus "symboliquement appuyé" et explicatif mais la scène finale justifie tout. D'ailleurs c'est un hasard mais l'enterrement m'a rappelé celui de Reflection, film ukrainien passé à Venise et aux Arcs et toujours pas sorti... Bref... beaucoup aimé malgré (ou peut-être grâce à) ses imperfections, son désir de faire cinéma l'indicible.

4/6