Dans un futur proche, le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s'est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte, mais ce n'est pas tout. Les habitant et objets se mettent, eux aussi, à se comporter étrangement, à commencer par les cercueils omniprésents.Vraiment un étonnant film. Coincé entre un pitch de série B et la chronique d'un village oublié du fin fond du Brésil le résultat est plutôt inégal mais pas déplaisant pour autant. Toutefois ce qui surprend dans le film c'est peut-être le sentiment d'une certaine régression pour Mendonça Filho. Je me disais sans cesse que ça aurait dû être son premier film en fait tant il y a quelque chose d'un peu puéril et grossier qui s'y épanouit là où
Recife et
Aquarius me semblaient bien plus mâtures, denses, riches. En fait ça m'a rappelé d'une certaine manière le cinéma d'un autre lusophone, Gabriel Abrantes qui avait réalisé un moyen-métrage génial,
Les humeurs artificielles, où il mélangeait la science-fiction et un certain cinéma ethnographique (l'histoire d'amour entre un robot qui fait du stand-up et une indienne autochtone de l'Amazonie) avec cette même imagerie kitch assumée (le drone en forme de soucoupe volante des années 50) et un ton étrange en permanence entre ironie et vraie sincérité. Mais sur 30 minutes c'était plus maîtrisé que sur 2h10.
A ma grande surprise, la partie qui m'a le moins plu c'est toute cette partie film de genre dans laquelle je n'ai jamais vraiment marché. D'une part, parce que scénaristiquement elle n'a aucun sens
Vraiment je n'ai cru à rien de ce pitch pourtant pas plus mauvais qu'un autre mais juste très mal écrit. Il faut dire que ce n'est pas aidé par les scènes avec les américains qui sont catastrophiques. Les acteurs surjouent tous horriblement des caricatures de Marines affolés de la gâchette, c'est sans exagérer limite nanardesque, comme ce moment où l'un des américains se découvre une conscience parce qu'on a buté un enfant, le niveau des dialogues... Je comprends pas du tout ces séquences qui vulgarise horriblement le film et lui donne des airs de série Z sans charme (le moment où après avoir tué deux petits vieux dans une voiture les américains se mettent à baiser direct par terre...). Vraiment c'est embarrassant et c'est pas Udo Kier, tout aussi nul que les autres (malgré son regard assez magnétique) qui vient changer la donne.
C'est dommage parce que j'adore tout ce qui se passe au village, cette manière d'en saisir immédiatement une ambiance, un sentiment de communauté, de solidarité. En fait j'aurais aimé une chronique plus simple sur ce village perdu et oublié, coupé du monde. Les quelques scènes de vie quotidienne comme ce médecin qui offre un lit au soulard que la femme a mis dehors, ou ce DJ qui commente la vie du village. Il y a des détails géniaux comme le groupe Whatsapp où tout le monde reçoit les messages. Puis il y a ce truc typique du Brésil (et peut-être de la Colombie) où on trouve un mélange ethnique total entre descendants d'esclaves africains, descendants d'autochtones et descendants de colons blancs, avec évidemment un métissage complet entre les trois. Comme une vision sociétale idéalisée qui aurait dépassée le racisme (même si la réalité au Brésil et en Amérique du Sud est évidemment toute autre).
Après difficile de ne pas voir dans le film la métaphore presque trop évidente de l'impérialisme, du colonialisme. Ces américains qui font littéralement disparaître un village de la carte et qui s'amusent de leur pouvoir de vie ou de mort sur des populations considérées inférieures (avec les traitres locaux qui les aident en espérant leur clémence - les deux motards et l'homme politique [dont je n'ai rien compris au "plan", ils vient acheter des votes au village tout en organisant le massacre des villageois...]). Ce n'est pas innocent que le climax du film ait lieu dans le musée du village, dans ce lieu intemporel comme une capsule de l'histoire de ce territoire, soudain envahi par la violence. Pareil pour cette idée d'armes anciennes qui donnent à l'ensemble un parfum de western et de conquête de l'Ouest avec les indiens qui resistent à l'assaut des cow-boys.
J'ai pris du plaisir à voir le film, il y a plein de choses qui m'ont plu (j'aime beaucoup le début très intrigant avec ce camion qui écrase des cercueils), des scènes très fortes (le vieil herboriste à poil qui resiste à l'assaut), la fin très forte (les têtes coupées comme un rituel, l'enterrement vivant de Kier) mais c'est quand même un peu déséquilibré comme film. Je trouve que c'est une certaine régression par rapport à ses précédents à la densité dans l'écriture et la mise en scène qui était quand même toute autre. Là même la mise en scène m'a semblé un peu en retrait, je n'en garde pas grand chose. Bref dans mon cas une certaine déception, assez surpris d'ailleurs qu'il ait reçu le prix du jury à Cannes.
3,5/6