Le grand soir du palmarès, co-établi avec DPSR mais nous étions d'accord sur les meilleurs films de la sélection. Une sélection de belle qualité, d'ailleurs, avec seulement deux films que je regrette d'avoir "vu" et beaucoup de bons films dont deux chefs d'oeuvre à mes yeux, que l'on retrouve forcément au palmarès. Je regrette de ne pas avoir trouvé de place pour le film d'Amos Gitaï, qui est une vraie proposition de cinéma.
Le palmarès
Lion d’or : A La Folie de Wang Bing
Grand prix du jury : Sous-Sols d'Ulrich Seidl
J'aime bien réserver le prix au film radical de la sélection. Celui-ci méritait bien le déplacement en salle, ou comment faire naitre du beau esthétiquement parlant dans le crade. Il reflète aussi l'absurdité de la condition humaine et a provoqué en moi une empathie au-delà du dégueulicieux.
Lion d'argent du meilleur réalisateur : Tsai Ming Liang (I Don’t Want To Sleep Alone)
Une leçon de cinéma, l'une des plus belles fins de film que j'ai vu cette année. Dans mon top 3 Tsai Ming-Liang et le premier prix pour le film.
Acteur : Fabrice Luchini (L’Hermine) et Lee Kang-sheng (I Don’t Want to Sleep Alone) Le premier a fait l'unanimité, le second me permet de récompenser cet acteur-muse assez incroyable, sorte de Denis Lavant taiwanais qui transfère une humanité incroyable à ses personnages. Son double-rôle est quasi-muet...
Actrice : Angeliki Papoulia (Alps) Du film étrange et un peu boursouflé de Lanthimos, un visage s'est imposé durablement, celui d'Angeliki, déjà vue dans Canine, Lobster et Blast. Quand elle rit, l'univers d'Alps retrouve soudain son humanité.
Scénario : Charlie Kaufman (Anomalisa) Même si le film m'a un peu déçu, surtout pour sa longue première partie, il propose un vrai tour de force scénaristique : évoquer la solitude universelle avec trois fois rien. La scène du petit-dejeuner est un chef d'oeuvre de cruauté.
Contribution artistique : la photographie de Diego Garcia dans [b]Rodéo de Gabriel Mascaro[/b] Toujours pas très bien compris l'intitulé de ce prix : une façon de saluer le beau film de Gabriel Mascaro et sa formidable photographie, surtout lors des scènes nocturnes - c'est le chef op de Cemetery of Splendour.
Espoir : Rashid Debbouze (La Désintégration)
Surpris que le cinéma français ne soit pas tombé sous le charme du frère de Jamel, qui donne une grande profondeur à son personnage. (bon il est débile ce prix)
--------- France La Désintégration de Philippe Faucon 4/6 Mostra 2011 - Le fameux film de Philippe Faucon qui annonçait tristement l'actualité. Le ton documentaire du film fait assez froid dans le dos même si un seul personnage est suffisament brossé pour que son basculement soit crédible - Ali. Je trouve la relation avec sa mère pieuse de cet anti-héros taciturne qui plonge dans la dépression et l'Islam radical bouleversante. Rashid Debbouze (frère de Jamel) est une révélation, je comprends pas que le cinéma français n'ait pas plus fait appel à lui ensuite.
L’Hermine de Christian Vincent 5/6 Mostra 2015 - De la dentelle scénaristique magnifiquement jouée, à la fois fine initiation au droit pénal et belle histoire d'amour entre quadras timides, tout en points de suspension. Non, vraiment c'est du bel ouvrage, je trouve que l'on perd un peu de temps sur le procès - surtout qu'au final, on le laisse tomber - mais qu'il y a une vraie maîtrise du temps amoureux, les deux scènes au café sont magiques.
La Jalousie de Philippe Garrel 4/6 Mostra 2013 - Troublant ce film, comme un décalque en moins réussi de La Frontière de l'aube. Il y a des choses très belles dans les scènes avec Louis Garrel et sa fille, les scènes de séduction aussi, mais le personnage féminin est beaucoup trop chargé pour me convaincre totalement. Mon côté féministe peut-être...
Etats-Unis Anomalisa de Charlie Kaufman 4/6 Mostra 2015 - J'aime beaucoup les scénarios de Charlie Kaufman, bombe à retardement sur la solitude qui me hante la nuit venue. Ici, je trouve que le film met quand même beaucoup de temps à démarrer et que l'on voit venir à des kilomètres le propos du film... Reste une demi-heure vraiment magnifique, avec l'une des plus belles scènes de sexe de l'année et quelque chose de magique qui flotte dans l'air, à la fois grâce à la technique du stop motion et au sens de l'observation de Charlie Kaufman.
4h44 Dernier jour sur Terre d’Abel Ferrara 4/6 Mostra 2011. Curieux film de fin du monde, à la fois intimiste et universel, raté et bouleversant. Cela m'a rappelé l'un des films préférés de mon adolescence cinéphile, Last Night de Don McKellar. Ici, comme souvent chez Ferrara, le grotesque (le viet, les inserts) côtoie le sublime (le passage chez son dealer, la scène d'amour, le rapport à l'art). La fin est si puissante qu'elle m'a plongé dans un Mood mélancholique et a finalement renversé mon avis sur le film, jusqu'à alors plus mitigé.
Black Mass de Scott Cooper 3/6 Mostra 2015. J'avais beaucoup lu de papiers sur Bulger à son arrestation. Curieusement, le film est centré sur la partie la moins "intéressante", sa période de gloire, et zappe sa jeunesse turbulente avec son frère et John Connolly et bien sûr sa fuite pendant presque quinze ans. Le film n'est pas infamant, l'interprétation est toujours classe, mais ça manque de quelque chose, d'une mythologie particulière alors que justement Bulger avait créé un personnage terrifiant.
Europe
Francofonia d’Alexander Sokourov 3/6 Mostra 2015. Film de commande quasi expérimental qui m'a rappelé Of Time and the City en moins personnel. Cela fourmille d'idées visuelles et narratives, j'aime beaucoup comment il rend les peintures et les sculptures "réelles" mais on a l'impression qu'il tire un peu à la ligne pour faire 1h20 de film.
Alps de Yorgos Lanthimos 4/6 Mostra 2011. Mon troisième Lanthimos. J'avais adoré Canine, j'étais resté de marbre devant Lobster - bon, vu trop tôt à Cannes, peut-être. Je suis entre les deux ici. On retrouve bien sûr le goût de l'absurde, le pitch dingo et cet humour à froid malaisant... Ici le plus "beau" du film tient dans le formidable personnage de l'infirmière, qui vit sa vie par procuration. Angeliki Papoulia est assez démente dans ce rôle, faut la voir réfréner un fou-rire lors d'une scène de cuni... Le reste m'indiffére plus, surtout que les personnages sont trop esquissés pour me toucher dans leur solitude. Le film m'a presque paru trop court, surtout que la fin tient de la pirouette un peu facile. Mais bon, je ne regrette pas la découverte.
Sous-sol d’Ulrich Seidl 5/6 Mostra 2014 - L'Euro c'est bien, les sous-sols autrichiens c'est mieux. Ulrich Seidl place sa caméra dans les petits secrets autrichiens entre nazis fiers de l'être et sado-masos un peu perdu. Plus que le fond, assez classique et grinçant pour qui connait Seidl, c'est le forme qui foudroie, où comment faire du beau avec de l'édifiant.
A Bigger Splash de Luca Guadagnino 2/6 Mostra 2015 - Remake assez inutile de La Piscine avec un gros miscast en la personne de Tilda Swinton, grande actrice mais pas du tout sex-symbol. La réalisation est hyper tape à l'oeil, le discours sur les migrants embarrassants... Reste le décorum, sublime...
La Belle endormie de Marco Bellochio 4/6 Mostra 2012 - Film choral sur la question de l'euthanasie, du libre-arbitre et de l'amour, rien que ça, la belle endormie désoriente dans un premier temps - la construction narrative est assez abrupte - mais finit par émouvoir, surtout qu'il y a quelque chose de très cinématographique dans la manière qu'a Bellocchio de filmer les visages vivants ou morts. Plutôt séduit au final.
The Danish Girl de Tom Hooper 2/6 Mostra 2015 - Tout surjoue dans le film. Les acteurs, Alexandre Desplat, les costumes, la ville de Copenhague... Ce n'est jamais nul, justement tellement académique que l'on a toujours deux scènes d'avance... Je retiens le début, assez cash et rapide et la scène de l'apprentissage du corps féminin. Le reste m'a glissé dessus.
Jerichow de Christian Petzold 3/6 Mostra 2008. Moyennement convaincu. Petzold prend toujours son temps pour construire une atmosphère entre film noir et film romantique mais je trouve la "résolution" trop rapide sur que le héros est quand même d'un mutisme peu engageant. Après, il y a toujours quelque chose dans la mise en scène, l'utilisation d'un motif musical, Nina Hoss...
Amérique du Sud El Clan de Pablo Trapero 4/6 Mostra 2015 - Pablo Trapero signe un thriller scorsesien dans l'Argentine pourri des années 80. Cela manque d'un petit quelque chose même si l'acteur qui joue le père est dément. De Trapero, je crois que je préfère Carancho et surtout Elefante Blanco.
Rodéo de Gabriel Mascaro 4/6 Mostra 2015 - Le deuxième film de Gabriel Mascaro est sensuel, fiévreux, magnifique quand la nuit tombe sur le Nordeste. Le rythme est un peu répétitif dans sa première partie, mais il y a du talent derrière tout ça. Le chef op est celui de Tabou et de Cemetery of Splendour.
Asie Rabin, the Last Day d’Amos Gitai 4/6 Mostra 2015 - Sacré morceau de cinéma, d'engagement politique et de mise en scène. On ne va pas se mentir: c'est long, aride, répétitif, mais la démonstration est brillante et renvoie bien sûr à toutes les sociétés mangées par ses extrêmes. Amos Gitaï signe quelques plan-séquences magistraux d'évocation - la colonie, la toute fin.
Red Amnesia de Wang Xiaoshai 3/6 Mostra de Venise 2014 . Je garde un très bon souvenir de Shanghai Dreams dont Red Amnesia me paraît être une suite lointaine. On retrouve un regard sur l'histoire chinoise à hauteur humaine avec ce portrait d'une vieille femme hantée par son passé (et un peu plus). Dommage que la narration soit si lente dans la première partie et que le scénario ne joue pas franchement sur l'ambiguité de l'existence du danger, ce qui atténue la révélation finale. Plus intéressant que passionnant pour être honnète
A la folie de Wang Bing 6/6 Mostra de Venise 2014 - Quelle claque... Une plongée dans l'enfer carcérale d'un hôpital psy chinois. Sauf que c'est l'anti-Vol au-dessus d'un nid de coucou, mais un film d'une humanité renversante, où les "fous" sont observés avec une tendresse infinie. C'est un peu long - il aurait pu enlever le prisonnier avec sa femme horrible - mais des plans me restent en mémoire : la course torse nue dans la coursive, l'étreinte dans le clair obscur, l'étreinte finale, "meurs, meurs, meurs", et cet homme qui marche, qui aurait fait une fin parfaite - plan prodigieux qui synthétise l'histoire de la Chine contemporaine et du cinéma moderne.
I don’t want to sleep alone de Tsai Ming Liang 6/6 Mostra 2006 - Film absolument sublime qui confirme que Tsai Ming Liang est l'un de mes cinéastes contemporains préférés. Alors bien sûr, c'est lent, parfois à l'extrême, on ne va pas se mentir, mais c'est d'une beauté formelle insensée et quand le film prend son envol narratif comme le papillon de nuit sur l'épaule du héros cela devient absolument magnifique. Tout le film peut être vu comme une rêverie de l'homme dans le coma, une allégorie de la vie de tous les réfugiés - d'Asie et au-delà. La larme qui coule et provoque la fuite des amants est l'un des plus beaux plans que j'ai vu cette année.
Sukiyaki Western Django de Takashi Miike 3/6 Mostra de Venise 2007 - un Western chambarra spaghetti avec Quentin Tarantino en Guest. Bon, comme d'hab, Takashi Miike ne sait pas écrire un scénario si bien que la sauce spaghetti ne prend jamais vraiment. Mais faut reconnaitre que la mise en scène est bourrée d'énergie et d'idées et que la fin claque bien. Cela se laisse voir mais j'ai préféré 13 Assassins.
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