et voilà in extremis
Mon Festival de Cannes 2019 printemps
Comme vous le savez, afin de me forcer un peu à découvrir toujours plus de films d’auteur (je résiste à Aquaman et Captain Marvel), je me lance dans des auto-Festival.. Toujours le même principe, un mélange savant mais respectant l’algorithme Frémaux de films passés par Cannes, de films de cinéastes passés par Cannes au gré de mes envies… tout en respectant la géographie mondiale. Avec des docs, car j’aime bien les docs en compétition moi. Bien sûr, la liste changera un peu après l’annonce de la sélection….
4 - Gimme Danger de Jim Jarmusch (Etats-Unis) J'avoue, je connais mal la mythologie des groupes rock des années 70 et Iggy Pop n'a jamais été ma tasse de thé musicalement parlant (pourtant j'adore Sonic Youth qui doit bcp aux Stooges). Du coup, j'avais raté le doc malgré mon amour pour Jim Jarmusch. Et bien j'ai bien aimé. Au-delà de la musique, des images insensées de l'époque (quand même quelle époque les années 70), c'est aussi un film sur les amitiés de jeunesse, et je trouve très beau la façon dont Iggy rend hommage à ses potes.
4 - Brooklyn Village d'Ira Sachs (Etats-Unis) Joli film, de la dentelle narrative où chaque scène approfondit la psychologie des deux personnages principaux, le père et le fils. Cela manque parfois un peu d'enjeu mais la fin crée une vraie empathie pour l'ado qui n'est plus le Little Men du titre américain.
3 - Ma Vie avec John F. Donovan de Xavier Dolan (Canada) Le voici le fameux film "malade" de Xavier Dolan, accouché sous césarienne (et en cutant Jessica Chastain, je pense de la partie Hollywood). Bon, la structure est assez bancale, proche de celle de son chef d'oeuvre (à mes yeux) Laurence Anyways, avec une interview et des flash-backs croisés. Le pb, c'est justement cette "partie" interview, lourdingue à mes yeux, trop fabriquée (et l'acteur est pas très bon, Dolan aurait dû jouer le rôle peut-être), je trouve que cela coupe les deux récits principaux. Celui de l'enfant est trop balisé, peut-être, j'ai du mal aussi avec Jacob Tremblay qui a une tête trop attendrissante, je ne sais pas. Par contre, j'ai trouvé la partie sur John très émouvante, de façon surprenante assez "petite" mais justement ce petit "secret" personnel est universel : je pense que bcp de stars des années 90 et même encore aujourd'hui ne peuvent pas faire leur coming out, prisonnier du reflet qu'elles envoient à leur public. Contrairement à ce que j'avais lu ici ou là, je trouve l'acteur Kit Harington plutôt à l'aise et c'est vraiment la partie que je trouve la plus maîtrisée, la plus sincère, avec toujours cette manière d'aller prendre l'émotion par un gros plan. J'ai préféré ce film-ci à son précédent, plus "grimaçant" et trop "gimmick". Le prochain sera meilleur à coup sûr, Dolan en a encore sous le coude.
3 - La Bataille de Solférino de Justine Triet (France) Film auréolé d'un statut culte peut-être un peu trop grand pour lui, qui révélait deux acteurs que tout le cinéma français va s'arracher, Laetitia Dosch et Vincent Macaigne. C'est curieux de découvrir le film après coup, car autant la belle Laetitia a su composer des personnages finalement assez différents de celui du film, autant Macaigne ne trouvera peut-être jamais un aussi beau rôle que celui de l'exaspérant mais si humain Vincent. La force du film est vraiment dans l'aspect documentaire de son long morceau de bravoure (et je suppose que le droit à l'image balek) et cela fait bizarre de retrouver cette France euphorique de voter à gauche (la douche sera glacée). Je crois que je lui préfère Victoria, mais je suis content de l'avoir rattrapé. Ps : l'acteur qui joue le babysitter est génial.
4 - Tomboy de Céline Sciamma (France) (scénario) Avant Girl, il y avait donc eu Tomboy de Céline Sciamma, beaucoup plus "doux" en apparence, même si ce qui se joue est aussi important. J'ai été surpris (en bien) par l'absence de sur-dramaturgie du film, charmé aussi par la mise en scène très pudique et inspirée. Après, comme devant Bande de filles, je trouve le film, comment dire, "appliqué". Et du coup, je n'ai pas vraiment été ému.
4 - Les Biens aimés de Christophe Honoré (France) Jolie surprise que ce Christophe Honoré, que j'ai préféré à son dernier. Alors c'est un peu long (surtout le deuxième acte), il faut aimer les chansons d'Alex Beaupain, mais il y a un sincérité qui fait mouche et la dernière partie m'a sincèrement ému.
2- Gaz de France de Benoit Forgeard (France) Philippe Katerine président, pourquoi pas... Toutes ses scènes sont réussies mais il disparait souvent et le rythme du film s'en ressent. C'est aussi sacrément fauché à l'écran mais ça reste une proposition originale et c'est dur de ne pas penser à notre période politique actuelle...
3 - Hôtel de Jessica Hausner (Autriche) Je mets une pièce sur le Jessica Hausner pour diviser la croisette. Pourquoi ? Car ce cinéma minimaliste tiré à quatre épingles, avec l'humour autrichien si particulier (que j'aime assez d'ailleurs) est toujours froidement accueilli. Pour ma part, j'ai préféré Amour fou, mais je reconnais le talent de la cinéaste pour créer une ambiance avec trois fois rien. Le plan final est très fort. Après, c'est un peu trop "cérébral" pour moi…
5 - Tesnota – Une vie à l’étroit de Kantemir Balagov (Russie) Quelle claque... Premier film d'un jeune disciple de Sokourov, Tesnota méritait bien sa réputation festivalière. Je croyais que c'était un film sur un kidnapping qui tournait mal mais ce n'est pas du tout ça, c'est avant tout un film sur une femme enfermée dans une famille, une communauté, un territoire et qui se cogne sans cesse contre les parois (scène incroyable de la boite de nuit avec l'héroine en papillon de nuit qui se heurte aux murs de la boite). La mise en scène est un tour de force esthétique, la narration inventive (la voix-of de présentation, cette vidéo incroyable à mi-film, jusqu'aux ellipses). Tout transpire le cinéma et on a déjà hâte de voir les prochains films d'un auteur né en .... 1991.
3 - Fais de beaux rêves de Marco Bellochio (Italie) Je connais mal l'oeuvre de Marco Bellocchio, maître du cinéma italien qui me laisse assez froid. Je reconnais des qualités au film, l'acteur est très bon, des scènes (la danse, l'histoire autour de Belphégor) sont réussies mais j'ai eu beaucoup de mal à entrer dedans, la faute à une narration chaotique et au jeu agaçant du gamin. La révélation finale tombe aussi comme un cheveu sur la soupe tant le spectateur a de l'avance sur le héros. Bref, pas converti.
4 - 12 h 08 à l'est de Bucarest de Corneliu Porumboiu (Roumanie) Mon ami Porumboiu avec son premier film, Caméra d'or à Cannes qui installe déjà son univers absurdo-réaliste, sa mise en scène minimaliste mais précise, son incroyable sens de la chute. Car là encore, si je me suis vaguement senti concerné par ce qui se joue à l'écran, les dix dernières minutes te prennent par surprise, poétiquee, politques, humaines. J'ai hâte de voir le suivant, mon préféré reste Policier, adjectif.
4 - Mimosas d'Oliver Laxe (Espagne) J'ai eu la chance de voir le faux making-of passé à Locarno. Impressionné par l'ambition formelle et narrative du film, entre conte oriental et exercice de transe. Cela met un peu de temps à décoller, parfois le manque de moyens se ressent mais le film a une telle foi dans le cinéma que cela déplace les montagnes de l'Atlas.
4 - Heureux comme Lazzaro d’Alice Rohrwacher (Italie) Quel film surprenant, toujours sur un fil entre le ridicule et le sublime. Le ridicule ? Le jeu outrancier des acteurs, la scène finale beaucoup trop appuyée, le personnage de Tancredi tout droit sorti d'un Lelouch. Le sublime ? L'avant-dernière scène, l'incroyable décrochage narratif... Du coup, je ne sais pas trop quoi en penser. Je trouve tout un peu long, un peu démonstratif, un peu compilation du cinéma italien des années 70 mais c'est une vraie proposition de cinéma et je comprends que l'on puisse tomber amoureux du film.
2 - The Major de Yuri Bykov (Russie) Déception. J'avais bien aimé l'Idiot et je nourrissai pas mal d'espoir devant la réputation du film. Hélas, après une installation de l'intrigue plutôt pas mal, j'ai vite décroché devant les invraisemblances du récit, le manque de charisme du "méchant" et ce n'est pas le troisième acte plus nihiliste tu meurs qui pouvait me remettre dans le droit chemin.
5 - Sunset de Laszlo Nemes (Hongrie) Grand film. La première heure est absolument démente, l'une des plus fortes que j'ai vue cette année. J'aime l'esthétique, le jeu sur le flou bien sûr, le grondement permanent. Après le film a un problème narratif dans sa deuxième heure, la structure se répète, tu as de l'avance sur le récit et je trouve que certains éléments auraient presque mérités d'être "cachés" aux spectateurs - tout ce qui tourne autour de Fanny par exemple, pourquoi la retrouver et ne pas la laisser hors-champ ? on avait compris que c'était la femme sans visage. Mais bon, c'est du cinéma comme on en fait de moins en moins, c'est la confirmation de la naissance d'un cinéaste au-dessus du commun des mortels - son chef op Mathias Erdely est un génie. Je rêve désormais qu'il adapte au cinéma Karpathia, le meilleur livre récent que j'ai lu.
4 - Passion de Ruysuke Hamaguchi (Japon) Lorsque je l'avais rencontré pour la promotion d'Asako, Hamaguchi m'avait parlé de son amour pour Cassavetes. Je comprends mieux la référence à la vision de son premier film, Passion, qui doit beaucoup au cinéma du New-Yorkais. Les 40 premières minutes sont très fortes et si le rythme se relâche un peu par la suite, il y a une scène de déclaration d'amour magique et déchirante, l'impression d'avoir déjà vécu ce moment (hum...). Bref, je conseille. Cela sort le 15 mai prochain.
4 - L’Institutrice de Nadav Lapid (Israël) C'est fascinant de découvrir ce film après Synonymes dont il est un peu le préquel (vu que les poèmes sont ceux de l'auteur écrit à cinq ans et qu'on tente de vampiriser son art). On a aucun mal à imaginer que le jeune héros du film devienne Tom Mercier plus tard. C'est fascinant aussi comment Nadav Lapid réussit ses ouvertures - en cinq minutes, on est happé par le film, cueilli par son originalité, la manière qu'a le metteur en scène de placer la caméra à la hauteur des regards.
Après, comme pour Synonymes d'ailleurs, la première partie est vraiment la meilleure, quand le film reste au jardin d'enfant. Le deuxième acte, plus centré sur elle (même si, paradoxalement l'enfant est plus à l'écran), tient plus du classique portrait de femme en pleine crise de la quarantaine (adultère, doute sur ce qui fait son existence, sexe triste, scène de danse...). Je reconnais au film la qualité de ne pas plonger la tête la première dans le genre et la critique de la société médiatique (je redoutais les passages bête de foire à la télé) pour se concentrer sur sa folie douce à elle, qui recueille les mots de l'enfant comme un apotre (très belle scène au bord de la mer). C'est d'une densité assez folle sur le plan thématique, bouillonnant et toujours intéressant même si l'émotion est vraiment nichée dans de rares déclarations d'affection.
4 - Le Vénérable W de Barbet Schroeder (Birmanie) Dernier volet de la trilogie de Barbet Schroeder sur l'incarnation du Mal avec le portrait de ce moine bouddhiste birman considéré comme l'un des théoriciens du massacre des Rohingyas. Comme toujours, il laisse le spectateur juger par lui-même et donc notre ami W, autosatisfait, déblatère ses horreurs alors que sont montés en parallèle les exactions commises. Je connaissais déjà le personnage et la situation en Birmanie mais la force du documentaire tient dans les images accablantes de foules hypnotisées par les prèches de haine du gugusse.
5 - Les Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego (Colombie) Ciro Guerra et Cristina Gallego m'avaient déjà séduit avec l'Etreinte du serpent. On retrouve le regard ethnographique, la puissance esthétique et aussi le questionnement sur l'influence occidentale (néfaste) sur les cultures ancestrales d'Amérique du Sud. C'est par moment sublime, presque théorique (cette maison moderne au milieu du désert, la transformation de la maison dans la montage) et la fin est sublime. Vraiment un beau et grand film
4 - Los Silencios de Beatriz Seigner (Brésil) Film à déflagration lente (je n'ai rien vu venir), Los Silencios prend son temps pour raconter le destin d'une communauté ilotière meurtrie par cinquante ans de guerre civile. La mise en scène est très belle (les scènes de nuit sont magnifiques) et si la rigueur contemplative de l'ensemble peut alanguir le spectateur même expérimenté, l'émotion est au bout du voyage.
Palme d’or : Tesnota – Une vie à l’étroit de Kantemir Balagov (Russie) Grand prix du jury : Les Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego (Colombie) Prix du jury : Passion Ruysuke Hamaguchi (Japon) et Mimosas d'Oliver Laxe (Espagne) Prix de la mise en scène : Sunset de Laszlo Nemes (Hongrie) Prix du scénario : 12 h 08 à l'est de Bucarest de Corneliu Porumboiu (Roumanie) Prix du meilleur acteur : Adriano Tardiolo dans Heureux comme Lazzaro d’Alice Rohrwacher (Italie) Prix de la meilleure actrice : Sarit Larry dans « L’Institutrice » de Nadav Lapid (Israël)
|