Au début du XVIIIe siècle, le frère jésuite Gabriel fonde une mission sur les terres des Indiens Guaranis. A la même époque et dans les mêmes lieux sévit Mendoza, aventurier mercenaire. Ces deux hommes vont se retrouver pour lutter contre la domination espagnole et portugaise.Tout d'abord, voici ce qu'on peut lire sur Allociné à propos du film:
"Mission montre les ravages des missions religieuses du 18 ème siècle et de ces hommes d'église qui, au nom de la religion, c'étaient fixés comme but de convertir des peuples indiens d'Amérique du Sud au christianisme, étant même prêt à les massacrer si jamais ils s'y opposaient."Celui qui a écrit ça a-t'il vu le même film que moi? Au contraire, "Mission" est un film qui justifierait
presque l'évangélisation des Indiens d'Amérique du Sud par les Jésuites au milieu du XVIIIème siècle. Une vaste entreprise d'ingérence dans la vie de ces populations primitives, qui se serait déroulée sans heurts, sans violence, dans l'harmonie, entre hommes d'Eglise pleins d'amour pour leur prochain, et peuples de la forêt qui ne semblaient attendre qu'une seule chose: bâtir des églises et vivre en communauté dans la voie du Seigneur.
Les Jésuites voulaient recréer un "paradis sur terre", et à en croire le film, ils semblaient y avoir réussi.
Enfin, j'ai bien mis en gras le mot "presque", car une phrase prononcée deux fois par le même personnage (l'évêque Altamirano), une fois aux 3/4 du film et une autre fois à la fin du générique, relativise ce droit d'ingérence: "Il aurait été mieux pour les Indiens que les Jésuites n'abordent jamais leurs rivages".
Ce qui est passionnant dans ce film, c'est quand même la multitude des thèmes abordés.
Il y a donc l
'aspect politique: les Jésuites ont fondé leurs "missions" sur un territoire qui appartient à l'Espagne, mais en instance de cession au Portugal. Les Espagnols, qui pratiquaient la capture et l'esclavage des Indiens, s'étaient toutefois engagés à ne pas toucher à ceux des missions, mais les Portugais ne veulent pas y être astreints.
Le pape envoie donc un médiateur (l'évêque Altaminaro) pour voir exactement en quoi consistent les missions. Mais le pape lui-même voit d'un mauvais œil ces Jésuites qui, d'un point de vue spirituel, veulent recréer un paradis sur terre (alors que le vrai paradis n'est pas ce monde), mais plus prosaïquement, menacent l'influence de l'Église jusqu'en Europe.
On voit ainsi tout le
cynisme des représentants en Amérique des têtes couronnées (qui s'en foutent royalement des Indiens et de la religion, ne pensent qu'à leur pouvoir), et l'
hypocrisie de l'Église Romaine empêtrée dans des considérations (géo)politiques, en contraste avec la
pureté de l'engagement des Jésuites, dont l'existence-même est menacée.
Par ailleurs, une bonne partie du film tourne autour du tandem association-opposition formé par le père Gabriel (Jérémy Irons) et Mendoza (Robert de Niro) -l'interprétation de ces deux acteurs est d'ailleurs excellente. Le père Gabriel est un jésuite tout ce qu'il y a de plus idéaliste, alors que Mendoza est un ancien trafiquant d'esclave qui, après avoir tué son frère en duel, s'en veut à mort et cherche (et trouve?) le repentir dans l'engagement jésuitique. Le film aborde donc aussi les thèmes des
idéaux face à la réalité brute des intérêts de ce monde, ainsi que de la
rédemption.
La question des idéaux peut revenir aussi sous l'optique, non de leur sincérité, mais de leur bien-fondé (comme expliqué auparavant: les Jésuites n'auraient-ils pas mieux fait de se mêler de leurs affaires?). Il y a aussi la problématique de la
révolte, et de la forme qu'elle peut prendre (je n'en dis pas plus sur ce sujet).
Bref, une richesse thématique (et encore j'en oublie: l'amour, la maturité, l'engagement à donner à son existence, voire même le sens de la vie, etc) qui mériterait un plus grand développement que ce je fais.
Le traitement que le metteur en scène fait de ces thèmes est intéressant. Par exemple, pour illustrer celui de la rédemption, Mendoza est montré, pénitent, portant un sac de ferraille sur son dos pendant un long trajet dans la "jongle" (comme ils disent dans le film). La rencontre avec les Indiens (qu'il capturait auparavant) est émouvante, et laisse aussi circonspect.
D'une manière générale, Roland Joffé prend bien son temps pour illustrer les idées qu'il veut faire passer, et préfère utiliser l'image plutôt que la parole.
Quand l'évêque Altamirano visite la première "mission", il entre dans l'église envahie par les chants des Indiens, il se retourne et un bref plan montre son regard: un mélange de stupeur et de peur. Pas besoin de mots, en deux secondes, le spectateur voit qu'il est subjugué par la beauté de ce qu'il voit, et qu'en même temps il lui sera très difficile de mener à bien la tâche pour laquelle il a été envoyée.
En fait, ce film montre plutôt qu'il n'énonce.
Enfin, la musique d'Ennio Morricone est véritablement un personnage à part entière, un mélange de musique religieuse et de musique indienne. Son rôle dans certaines scènes (la construction de l'église en bois, le combat de la fin, etc) est crucial, il ne contente pas d'illustrer, il EST le sens de la scène.
Ce film édifie plutôt qu'il ne dénonce.
Le seul bémol que j'aurais à dire est que certaines scènes s'étirent un peu trop en longueur, ça manque parfois un peu de rythme et c'est dommage.
Ca reste quand même un film magistral, du très bon
5,5/6.P.S: C'est étonnant de voir que les meilleurs films du réalisateur britannique Roland Joffé sont ceux du début de sa carrière. "Mission" est son 2ème film (Palme d'Or en 1986 tout de même!), et juste avant il avait fait "La déchirure" (sur la dictature des Khmers rouges au Cambodge), un film qui m'avait marqué quand j'étais plus jeune. En 1989, il réalise "les maîtres de l'ombre", et en 1992 "la cité de la joie"!