Je ne m'étais jamais demandé pourquoi la nouvelle comédie US fait tant kiffer les journaleux quand il s'agit de comédies masculines, assumées beauf-tendre (qui me font hurler de rire moi aussi), alors que les comédies girly (disons à l'exception du génial Death Proof, c'est d'ailleurs très étonnant comme les plans de Material Girls de tchatche dans la bagnole de location vers la fin rappellent Death Proof...), tout aussi brillamment écrites, interprêtées, rythmées, même mises en scène, étaient souvent trucidées ou tout simplement ignorées. Je me le demandais pas, parce que moi aussi j'ai tendance à les ignorer.
Et donc on m'a mis dans les pattes ce Material Girls. Petit miracle.
Bon, j'évacue ce qui fâche : la fin. Disons que je trouve la fin un peu mollassone, même si je ne peux pas dire ce que j'espérais réellement d'autre à la fin... Mais je sais pas, ça aurait pu être autre chose, ça finit un peu vite et l'épilogue n'est pas très intéressant (il fait redite, quoi).
Mais a priori, c'est cette fin qui a heurté la bonne conscience des critiques, au lieu de se souvenir qu'il y avait un film avant -- et qu'on pouvait aisément se dire, vu l'écriture soudainement abrupte, le côté un peu bâclé, que ce n'est p-ê pas la fin souhaitée par Coolidge à l'origine, ça fait happy end de studio, ça boîte un peu... Bon.
Ceci étant, tout le reste est hilarant et même très intelligent je trouve, dans une lignée de comédie US classique, où les enjeux sont posés dès le pitch, et à la portée sociale, de satire de l'époque, sans fard, sans pincettes, sans qu'on soit dans le sous-texte, mais bien, si j'ose dire, dans le "surtexte", çàd qu'on y est complètement, qu'on ne se contente pas de tremper le petit doigt pour dire "ouh comme l'eau est froide", on y est vraiment. On en voit quand des comédies comme ça en France? je veux dire, des comédies basées sur des situations, pas sur des "bons mots d'auteur", des trucs franchouillards chiants?
on va nous dire que ouiiii mais material girls, super-classique, tout tient dans le pitch, etc. Mais c'est une qualité! Voyez toute la vague récente des comédies US, elles tiennent dans leur pitch!
mais même une comédie classique, en france, on sait pas... un pitch malin comme ça, en france, on sait pas... (ou disons : on sait peu, c'est p-ê culturel, j'en sais rien, ça me renvoie à l'entretien des Cahiers avec Eric et Ramzy, sur le manque de précision de l'humour français, eh bien c'est exactement ça).
et même s'il n'y a pas énormément de mise en scène, il y a d'une part du montage (tous ces split-screens, ces effets de montage ultra-vulgaires, d'un seul coup deviennent étrangement poétiques, miraculeusement, comme dit zohiloff) et d'autre part toujours une pensée pour la place de la caméra.
un bon exemple, la séquence de la bonne qui passe l'aspirateur, quand la blonde écrit sur son père. Le premier plan, lèger fish-eye, balayage de caméra de surveillance... avec Hilary Duff enfermée entre trois écrans, deux claviers, une télécommande, un téléphone, des écouteurs... plan terrifiant...
Il a un écho dans la scène de la prison, on a ce plan de caméra de surveillance, cette fois affiché comme tel, on nous suggère par l'infrarouge, le timecode, etc, que ça y est, les immondes prolotes vont l'étriper...
et non, évidemment non, c'est juste la convention cinématographique qui veut ça (elle veut que dans une cellule, on tabasse ou on viole, on se donne pas des conseils de beauté...) elle est très belle cette séquence, et sa reprise dans le générique final, signifierait en plus que les dialogues de cette séquence n'étaient pas tout à fait écrits, impressionnant.
superbe scènes, aussi, dans leur simplicité, l'enchaînement incendie/hôtel/domicile de la bonne ; l'incendie surtout, les journalistes qui filment et n'interviennent pas... il faudrait reprendre le découpage de cette séquence, et que tous les réals de comédie française l'étudient...
Sur le fond, bien sûr, c'est du paris hilton-like, mâtiné, en somme, d'un peu de l'esprit Prince de Bel-Air, çàd cette capacité à parler de la misère et des malfonctionnements sociaux depuis le point de vue des riches. Je pense à Hillary dans le Prince de Bel-Air. On ne la déteste pas, parce que c'est culturel, c'est juste qu'elle n'y comprend rien. Et quand elle comprend certains trucs, elle devient touchante, parce qu'inadaptée. Voilà, c'est d'inadaptation que ça parle, et évidemment, quand on lit par ex la critique de Fluctuat, on s'aperçoit qu'apparemment, si l'on veut parler de la pauvreté (variante: si l'on veut faire de la politique en contrebande) dans un film, il faut surtout, surtout s'en tenir au point de vue des pauvres, comme s'il y avait un point de vue propre et un point de vue sale, comme s'il fallait nier l'existence d'une partie de la population, alors que c'est bcp plus riche comme ça. C'est bcp plus riche (sans jeu de mot) sur ce que ça révèle des inadaptations, des incompréhensions, des ignorances sociales. Et c'est bien sûr bcp plus riche cinématographiquement aussi, ce renversement... Fau s'interroger sur ce qui serait mieux reçu par la presse aujourd'hui : un pauvre qui devient riche et qui flambe et finit par redevenir pauvre ; ou un riche qui devient pauvre et n'y comprend rien, se retrouve confronté à un monde hostile aux pauvres et fait tout pour redevenir riche. Qu'est-ce qui est plus fort politiquement, moralement, qu'est-ce qui est plus fort cinématographiquement?
Surtout qu'ici, on a une fable sur la solidarité, sur la capacité de solidarité des pauvres et des riches. Je reprends la séquence d'Hilary Duff enfermée entre ses écrans, elle ne prête pas la moindre attention à la bonne. Et on comprend qu'elle avait un casque en attendant que la bonne ait fini de passer l'aspirateur... La tendresse de la bonne ensuite, ramenée à cette séquence, est d'une formidable générosité, le déséquilibre est incroyable. Mais ça explique aussi que les deux soeurs n'étaient même pas au courant de ce qu'elle avait deux filles, puisqu'elles l'évitaient, elles ne parlaient que d'elles (oui, je sais, démonstration strictement de scénario, sauf qu'il y a ce plan, et tout le découpage de cette séquence, qui est d'une grande subtilité, en vérité).
Voilou, je connais pas Martha Coolidge, je sais qu'elle a bossé à la TV sur Weeds et Sex and the city, ce qui est somme tout logique. Je peux pas dire qu'elle a réalisé un chef-d'oeuvre, évidemment, ça n'aurait pas de sens, mais une comédie pertinente, classique, bien écrite, mainstream mais intelligente, oui, oui, oui. La comédie française gagnerait à y regarder de plus près.
ps: si, à la rigueur, disons qu'on trouve un courage un peu similaire dans le Prix à payer d'Alexandra Leclère, lui aussi évidemment éreinté par la critique.