New York, pendant la crise. Un soir, dans un bidonville de l'East River, un homme est alpagué par deux soeurs, issues de la très grande bourgeoisie. Elles participent à un rallye mondain dont le principe repose sur le fait de s'inviter à une réception avec un objet excentrique ou inattendu. En l'occurence un SDF. C'est le principe du Dîner de Cons. L'aînée, brune Cornelia, cynique et cassante, offre à l'homme 5 dollars pour l'accompagner. Vexé il la repouse dans un tas d'ordure.
La cadette, Irene blonde, plus naïve et névrosée, dominée par Cornelia, parvient à convaincre l'homme, Godfrey, de l'accompagner. Ils ont tous deux une revanche à prendre sur Cornelia, l'une plutôt sociale voire politique, l'autre familiale voire incestueuse.
Godfrey et Irene remportent le concours, et Irene engage Godfrey comme domestique, vaguement attirée par lui. Plus âgé, elle en fait une figure paternelle à la fois rassurante et sexualisée. Le vrai patriarche de la famille n'est pas antipathique, mais bedonnant, faible, dominé par les femmes qui l'entourent et en passe d'être ruiné par de mauvais placements.
Irene entend par ailleurs rivaliser avec sa mère, qui héberge dans le palais familial un "protégé" (voire plus), Carlo, musicien slavo-italinisant post-romantique raté (ou alors dadaïste sous l'influence de Satie caché).
Le film commence donc là où le personnage est déjà édifié sur lui-même, puissant mais seul




Film un peu oublié quand on passe en revue les classiques du
screwball. Sans doute parce qu'il ne ressortit pas tout à fait de l'espèce d'
ideal-type qui voudrait que le genre soit marqué par la l'idée de comédie de remariage, avec pour enjeu central une sexualité à la fois libérée, excentrique et conforme à une étiquette.
Ici on est dans une veine à la fois plus théâtrale dans la forme (même si le film est intéressant formellement, notamment dans l'exploitation de l'excalier de la demeure familale pour mettre la caméra en mouvement) et plus directement politique. Du populisme à la Capra, en plus à gauche, plus sophistiquée, plus lubitschien, mais plutôt dans la veine
d'Ange. A part Carole Lombard, les acteurs sont aussi un peu oubliés, ils n'en sont pas moins excellent, William Powell en tête, même genre de virilité incertaine que James Stewart, mais avec un côté à la fois plus ironique et potentiellement inquiétant.
Le film a eu énormément d'influence, la situation fait beaucoup penser à
Théorème de Pasolini (lien entre le déclassement social et une situation christique, articulée aussi avec l'éveil sexuel au sein non de l'individu mais d ela famille, ce qui restreint l'enjeu de la conversion à la bourgeoisie. La thématique de la rélgation sociale est abordée de plein fouet, mais la légitimité politique du peuple en fait une extériorité radicale, que le film ne va pas réduire : on tranforme une situation (chute ou ascension) en valeur (identité masquée ou dévoilée).
Il s'agit de parler à l'autre de l'humilité, et non pas de faire de cette humilité l'autre pour la bourgeoisie qui dénierait à la fois la bonté et la jouissance. Ici le film fait sembant d'être en caméra subjective du point de vue du peuple, enfermé dans la bourgeosie comme dans un corps étranger). Et la scène du gorille de
the Square d'Ostlund est littéralement plagiée du personnage de Carlo ici (et dans le film de la Cava, elle est tout autant signifiante politiquement, mais en plus drôle).
Les dialogues sont aussi brillant, du freudisme bien compris : la névrose (il ya notamment une scène de pétage de plombs de Carole Lombard anthologique) voudrait faire du visible un secret ou un privilège, confisquer l'évidence du monde commun à son profit, sans voir l'épuisement de celui-ci. L'impuissance économique est l'inconscient de cette bourgeoisie, objectivée pour les autres classes sociales, mais incapables de penser sa propre fragilité. Elle croit au destin, c'est à dire à une logique où les fautes morales et les vertus finissent toujours par se neutraliser (ce que Godfrey permet, mais une seule fois
).
La fin du film est peut-être un peu moins forte que la satire de la famille de la haute bourgeoisie américaine, mais est singulière : Godfrey redevient un homme d'affaire, un promoteur immobilier, tout en le cachant à la famille pour mieux acquitter sa dette envers elle (Irène en ce qui concerne l'aspect érotique, Cornellia pour le apport à la vérité et l'idée de cynisme comme seule stratégie poir sauver les fins quand les moyens les étouffent), c'est un self made man à la Ayn Rand, mâtiné de christianisme social
En guise de justice sociale, il emploie les "
forgotten man" du bidonville. Le rapport fraternel, inatteignable mais désiré, devient une position de patron subie, l'autorité vécue cmme un sacrifice. Le patron pourrait très bien être un Christ, si le capital ne devait pas non plus être transmis à des successeurs et nécessitait la sexualité...
Et c'est assez vertigineux, car le capitalisme pour un temps, en sortie de crise, est conscient de la fiction de la plus-value : moralisé, au mieux il ne fait que se conserver lui-même, ce statisme est un objet d'édification. Seuls le souvenir de sa propre honte et d'une impuissance passée garantit l'équité et la mesure politiques.
Le film me parait aussi devoir beaucoup aux figure de Molière : Arpagon et de Tartuffe (Carlo), la mère (excellente Alice Brady, morte peu après) rappelle beaucoup Pernelle. Comme chez Molière, la haine est présente, mais n'est pas distinué de l'hubris, les passions ne sont pas dans la "nature", mais surajoutées à celle-ci , on rit d'un ordre détruit plutôt que du mal, le champ politique est celui de la passivité, et l'argent est pareillement l'instrument de la vengeance et celui du pardon.
Vraiment pas mal 5/6