Germanophones, Marianne (Edith Clever) et Bruno (Bruno Ganz) forment un couple, vivant à Clamart en région parisienne, dans une belle maison pavillionnaire des années 1920. Bruno est cadre et revient d'un voyage d'affaire en Finlande où il s'est senti déprimé et confronté à un vide existentiel. Un froid s'installe dans leur couple et Marianne l'éjecte dès le lendemain, occupant seule leur maison et éduquant leur fils d'une dizaine d'années, Stefan. Assez secrète et silencieuse, effacée mais résolue, elle est extérieure à la ville qu'elle habite. Pour survivre, elle va notamment reprendre contact avec un éditeur pour lequel elle avait travaillé avant son mariage, qui lui propose de traduire "Un Coeur Simple" de Flaubert. Bruno vit avec l'institutrice, elle aussi germanophone, de leur fils, qui est par ailleurs une des rares amies de Marianne. Au début on sent le film d'écrivain, avec un dispositif tout en plans fixes, et un ton assez littéraire riche et précis mais un peu hiératique. Mais ce dispositif devient de plus en plus simple, gagnant en souplesse (pendant la première heure le film ne panotte que trois fois de manière straubienne, et uniquement dans les extérieurs, quand le dénouement amoureux est filmé dans une chambre caméra à l'épaule) : Marianne existe vraiment. Le cinema de Handke apparaît paradoxalement plus direct et moins "littéraire" que certains Wenders antérieurs auxquels il a contribué (même s'il reste un lien : Wenders est producteur, Rudiger Vögler apparaît pour jouer le même personnage que dans les Wenders, avec d'ailleurs un certain humour masochiste). Le début du film laisse penser à une hybridation recherchée entre le courant Neuer Deutscher Film et la ( post) Nouvelle Vague française (Duras est convoquée avec un rôle de Lonsdale dans un hôtel très
India Song, et
Jeanne Dielman est aussi très présente), mais le film bifurque vers quelque chose de finalement plus populaire (rappelant beaucoup
La Dentellière de Claude Gorreta, dans une version qui réussirait finalement son émancipation tout en usant de la même stratégie de retrait ). Et la banlieue parisienne est filmée (du côté de Clamart et de Meudon, certes pas les coins les plus défavorisés de Paris ) avec beaucoup d'amour , on pense un peu à Rivette. La lumière et le cadre sont superbes.
Une clé de l'inspiration du film, à côté des références évidentes mentionnées (liées d'une certaine façon aussi au romantisme allemand et à la culpabilité, qui sont aussi présents dans le film , avec le personnage du père), est plus inattendue : dans une belle scène, Marianne va voir avec son fils un film d'Ozu (muet comme l'est souvent Marianne elle-même) des années 1930 à la Cinémathèque, mettant un scène un couple qui se déchire puis se réconcillie brutalement par le seul jeu des regard, tout en jouant avec leurs enfants : Marianne s'endort, mais son fils Stefan est fasciné et la réveille. Au retour Marianne accroche un poster d'Ozu dans une des pièces de la maison. A partir de ce moment le film devient plus simple, plus fluide, moins auteurisant, et touche juste. Pour tout dire il m'a plus parlé que
Marriage Stories.Les passage où Marianne essaye de traduire Flaubert sont aussi très beaux : elle approche son métier comme un défi technique où il s'agît de transmettre une sensibiltié ainsi qu'une compréhension du livre et de la langue qui sont implicites, mais déjà achevées et mises à distance à partir du moment où elle décide de les communiquer : la parole est rivale à l'intérêt et le clotûre. On sent dès lors que Peter Handke possède un tempérament nettement plus individualiste et conservateur que Wenders. Tout le film s'organise autour d'une nostalgie de l'enfance perdue, qui est primordiale, plus forte même que la perte de l'innocence liée à la guerre (mais c'est aussi ce qui fait que le film est un peu marginal - et donc très intéressant- dans le cinéma allemand de l'époque : la honte est un enjeu, mais ce n'est pas le cas l'expiation qu'elle appelle comme chez d'autre cinéastes de l'époque, où elle prend souvent la forme biaisée de la transgression , - Fassbinder ou Herzog).
L'aliénation consumiériste est un scandale non pas à cause des structures de domination qu'elle charrie, mais parce qu'elle est une vieillesse imposée et ajoutée à la vieillesse naturelle , alors que la littérature immobilise et scelle dans le langage les situations : le sens est une cristallisation opposée à l'histoire.
Parler est d'emblé un acte historique, qui confronte l'idée et le sentiment au monde, et les altèrent, les neutralisent. La nostalgie est toujours plus ancienne et personnelle que ce qui est neutre et objectif, qui lui résulte d'un travail. C'est pour Handke ce qui fait de la psychologie un recours possible contre l'histoire et la politique, vues comme des comme un forme de compromission et de souillure, (mais le langage appartient à ces dernières plutôt qu'à l'individu). En même temps, ces enjeux ne sont finalement pas au centre du film : c'est vraiment le portait de femme qui est le point central du film, qui a vraisemblablement une dimension autobiographique (Handke habite dans cette région, et le personnage de Marianne est très proche de sa mère telle qu'il la décrit dans
Le Malheur Indifférent, comme dans ce livre il se projette à la fois dans l'enfant et le mari (ambiguïté qui fait aussi l'intérêt des Baumbach). Il y a aussi un petit rôle (muet) de Depardieu, en clin d'oeil inattendu aux films de Blier.