Suite à la positive surprise
Trois amies, et ce d'autant que tous ses films sont dispos sur les replays Arte et France TV, je me suis relancé dans sa filmographie à partir de
L'Art d'aimer, l'un des deux seuls longs que je n'avais pas encore vu, ses suivants m'ayant tous plus ou moins déçu. Je me suis dit qu'à la lumière de son dernier je pourrai peut-être mieux les apprécier, et globalement ça n'a pas raté. Je m'étonnerais presque d'être à ce point passé à côté de
Caprice ou
Mademoiselle de Joncquières par exemple, tant ces films peuvent sous différents angles être passionnant. Et autre détail amusant, d'entendre Bégaudeau moquer le cinéma de Mouret dans la dernière Gêne, en précisant dans sa dernière intervention chez Microciné que l'éthos bourgeois de Mouret est probablement la cause principale de son aversion, ça m'a donné encore plus envie de comprendre ce qui pouvait m'attirer dans son cinéma un tantinet suranné.
Je vais commencer par ce qui est de très loin son plus mauvais film, mais aussi un moment important dans sa filmographie,
Une autre vie. Le film est évidemment une gigantesque catastrophe, non seulement à cause de ses acteurs (même si je pense que dans le fond c'est surtout une actrice qui plombe l'ensemble, Jasmine Trinca, et qu'avec elle elle entraîne tout le reste du casting aux enfers. JoeyStarr n'est pas si mauvais, plutôt quelconque en vrai), mais aussi parce que Mouret a basculé de manière beaucoup trop abrupte dans un versant mélodramatique qu'il ne maîtrise pas, où toute sa finesse est passée par pertes et profits. Ce qui est malgré tout dommage, c'est que le fond du film n'est pas inintéressant, et si on devait le comparer à
Anora (puisque c'est dans cette Gêne que le nom de Mouret est évoqué), la conclusion en est peu ou prou la même. Les transfuges amoureux de classes sont systématiquement empêchés. Il y aurait probablement eu matière a en faire un film beaucoup plus réussi si Mouret n'avait pas autant tenu à éclipser la totalité de son propre héritage (Tati, Guitry) pour tenter de maladroitement en endosser un nouveau pour lequel il n'a pas les épaules (Sirk, Hitchcock). Mais pour en revenir au fameux éthos bourgeois de Mouret, il est pas mal égratigné par ce film, comme il le sera tout autant par la suite (
Caprice,
Mademoiselle de Joncquières).
Néanmoins malgré tous ses défauts
Une autre vie reste intéressant parce qu'il a mis à jour une facette de Mouret qui était probablement présente en sourdine dès ses films précédents et qu'il va approfondir dans les suivants, de manière plus équilibrée, où sous une apparente légèreté le drame ne semble jamais très loin. J'avais déjà parlé de la peur de l'engagement qui était une constante de ses personnages masculins principaux dans la première partie de son œuvre, on la retrouve une nouvelle fois dans
Mademoiselle de Joncquières avec le Marquis des Arcis qui l'énonce avec une totale décomplexion, lui qui préfère ne pas s'engager de peur de passer à côté d'une meilleure occasion, film que par ailleurs je ne suis pas loin de considérer comme l'un des tous meilleurs de Mouret, des joutes verbales d'une qualité excise, un XVIIIème siècle qui se prête à ravir à ce savoureux marivaudage et qui tout d'un coup bascule de manière abrupte dans la cruauté. Il est juste dommage que le film soit un poil trop long et que sa dernière partie vienne édulcorer sa force. Mais ce drame, ou tout du moins cette tristesse, elle parcourt toute la deuxième partie de son œuvre. Mouret qui décide de rester avec Efira quand on voit très bien qu'il aime plus sincèrement Demoustier dans
Caprice, équation que l'on retrouvera quasiment à l'identique dans
Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait (entre Jordana, Schneider et Macaigne), ou Kiberlain et Macaigne qui a force de ne jamais vouloir prendre trop au sérieux leur histoire adultérine finissent par passer à côté de l'amour dans
Chronique d'une liaison passagère. Ce qui au fond caractérise le plus l'avant de l'après
Une autre vie, c'est que dans l'après il y a à la fois une plus grande maturité et une plus grande résignation de ses personnages principaux. Et donc nécessairement une plus grande place laissée à la tristesse et au regret, avec parfois même une dimension quasi sacrificielle chez certains de ses personnages (Demoustier dans
Caprice, Forestier dans
Trois amies).
Une filmographie thématiquement parfaitement cohérente donc (ce que j'avais à tort largement mise en doute par le passé), mais surtout, et c'est là ma plus grande révélation à la révision, à la mise en scène élégante, précise, et pour tout le dire assez unique (je ne saurais lui trouver un équivalent contemporain en tout cas). Il y a effectivement une vraie patte Mouret, avec des figures de style qui lui sont propre, comme la récurrence de ces plans en contre jour total (un peu comme les apparitions d'Hitchcock, on sait que ce plan adviendra nécessairement à un moment donné), qu'il finira même par immortaliser dans l'affiche de
Chronique d'une liaison passagère. Quant à la précision de sa mise en scène, que l'on peut ne pas saisir parce qu'elle n'a rien d'exubérante (j'essaie de justifier le fait d'être totalement passé à côté dans un premier temps), pour s'en rendre compte il suffirait de couper le son (proposition pour le moins incongru pour un cinéma qui semble autant porté par le verbe). On se rendrait alors compte que l’entièreté des sentiments des personnages est supporté par le cadre, le déplacement des acteurs dans le cadre, les mouvements de caméra et le montage. Rien n'est jamais gratuit dans ses choix, à un point de maîtrise quasi maniaque, même un simple champs contre champs est toujours le signe d'une opposition entre les personnages à l'écran, un travelling un moment d'incertitude etc. Et il faut également relever son intelligence dans sa captation de l'espace intérieure, qui dans un autre style m'a rappelé celle de Mizoguchi, j'ai pris en exemple une scène de
Chronique d'une liaison passagère, quelle composition et combien la place de chacun des protagonistes est à l'image de leur état d'âme à ce moment précis du film (Kiberlain qui n'aura eu de cesse de refouler ses sentiments, Macaigne moulin à parole qui a un besoin inassouvissable d'être rassuré, Scalliet hors champ, l'élément perturbateur qui viendra provoquer la fin de leur idylle).
Dernier point, j'ai vu ici et là poindre une critique sur le côté trop théorique de son cinéma. Qu'il soit profondément théorique c'est une évidence, mais de nouveau ça me semble parfaitement correspondre à la psyché de ses personnages principaux, qui conceptualisent souvent trop l'amour, jusqu'à passer à côté de ce qui leur tend les bras. Ça n'est pas pour rien que les ellipses temporelles y sont aussi présentes et marquées (l'occasion de multiples coïncidences, deux années se sont passées et on retombe par le plus grand des hasards sur tel ou tel). Ne subsistent que les moments forts, les rencontres ou les discussions autour de l'amour. Dans le fond, ce qui se joue systématiquement, c'est la peur du célibat, statut honni dans son univers. Quand on ne l'est pas on va voir ailleurs, quand on l'est le seul but est de ne plus l'être. Ce qui est par contre assez amusant, signe probable d'une certaine pudeur chez Mouret, c'est que le passage à l'acte amoureux est très peu présent à l'écran (de mémoire je ne me souviens que d'une seule scène de sexe explicite dans son CM
Aucun regret), et ce alors que la nudité ne lui pose par ailleurs pas vraiment de problème.
Top approximatif1.
Mademoiselle de Joncquières Chronique d'une liaison passagère Caprice L'Art d'aimerVénus et Fleur6.
Fais-moi plaisir !Trois amies8.
Un baiser, s'il vous plaît !Les Choses qu'on dit, les choses qu'on faitChangement d'adressePromène-toi donc tout nu12.
Laissons Lucie faire !13.
L'Art d'aimer