Le site d’information Mediapart a publié le 3 novembre 2019 un article signé par Madame Marine Turchi, intitulé « #MeToo dans le cinéma : l’actrice Adèle Haenel brise un nouveau tabou », me mettant nommément en cause dans les passages suivants :
L’article commence par évoquer des déclarations faites par Madame Adèle Haenel en avril 2019 comportant des accusations de « pédophilie » et de « harcèlement sexuel » portées à mon encontre entre 2001 et 2004 et longuement détaillés.
Après avoir recueilli les témoignages de personnes présentes sur le tournage du film « Les diables », l’auteur de l’article a indiqué ceci : « C’est après le tournage, achevé le 14 septembre 2001, que la relation exclusive du cinéaste, âgé de trente-six ans, avec l’actrice de douze ans, aurait “glissé vers autre chose” », affirme Adèle Haenel ». S’en est suivie une longue narration présentée comme émanant de Madame Haenel et se terminant par la phrase suivante : « Il m’avait dit d’arrêter, sur le mode : “C’est trop sexy, tu ne te rends pas compte de ce que tu me fais.” »
En réponse à ces passages, je crois nécessaire de livrer à vos lecteurs les explications suivantes :
« J’ai rencontré Adèle Haenel alors qu’elle était une enfant de 12 ans et une relation, personnelle et professionnelle forte s’est construite entre nous pendant les cinq à six mois qu’a duré sa « formation », à la fois au rôle de Chloé et, plus largement, au développement de capacités de concentration, d’écoute et d’engagement déjà exceptionnelles, particulièrement pour son âge. Puis nous avons enchaîné sur un tournage de trois mois, certes long, intense et épuisant, mais qui, contrairement à ce que j’ai pu lire dans certains témoignages de votre enquête d’apparence fouillée mais en réalité réductrice, a été pour elle, pour Vincent et pour moi, l’aboutissement heureux de ces mois de préparation. J’ai retrouvé en Adèle Haenel la passion pour la création qui m’avait saisie et plus jamais quittée quand j’avais une quinzaine d’années et que je végétais en province. Pour moi la mise en scène, pour elle le métier d’actrice. Le tournage de ce film « Les Diables » ayant débordé sur la rentrée scolaire, je me suis inquiété du retour à la réalité, difficile après trois mois en immersion au milieu d’adultes, en étant le centre d’intérêt de tous, via le collège pour Adèle Haenel et le lycée pour Vincent Rottiers. J’ai proposé à l’un comme à l’autre de nous revoir à l’occasion, pour maintenir ce lien que je pensais indéfectible qui s’était noué alors. Autant Vincent Rottiers avait besoin de retrouver sa famille et ses amis et ce n’est que plus tard que nous nous sommes retrouvés mais Adèle Haenel a bondi sur l’occasion quand je lui ai proposé de nous revoir. Elle m’a dit « quand ? », j’ai répondu « quand tu veux. », elle a dit « samedi ? ». J’ai dit « si tu veux ».
« Ce rendez-vous du samedi après-midi est vite devenu régulier. Adèle venait à la maison et piochait dans ma vidéothèque riche de milliers de films ceux qu’elle avait envie de voir ou que je lui recommandais. Elle les regardait chez elle dans la semaine, me les ramenait le samedi suivant et en reprenait d’autres. Nous en discutions ensuite ou nous parlions de choses et d’autres, elle de sa vie et de ses rêves, moi de mon métier. J’avais une admiration sans borne pour son envie de cinéma et pour le talent que j’avais décelé chez elle, et j’étais blessé que la plupart des personnes qui m’entouraient ne le voient pas chez elle. À cette époque, il n’y en avait que pour Vincent Rottiers, lui aussi un acteur exceptionnel, qui portait en grande partie « Les Diables » sur ses épaules. Ce que je vivais alors comme une injustice faite à Adèle Haenel.
« Cette relation particulière qui nous a unis autour de notre amour commun du cinéma a duré plusieurs années, pendant lesquelles Adèle Haenel a passé plusieurs castings, en vain. De mon côté, suite à plusieurs projets avortés, j’ai écrit un scénario dans lequel je leur réservais un rôle à elle et à Vincent Rottiers, scénario que j’ai dû malgré moi resserrer autour des trois acteurs principaux, adultes, pour que le film soit financé, et du même coup supprimer leurs rôles à tous les deux. C’est alors, fin 2004, que nous avons cessé de nous voir. Ce film allait devenir quelques années plus tard mon troisième long-métrage, au nom prédestiné, « Dans la Tourmente ».
« J’ai sans doute été le premier admirateur d’Adèle Haenel et convaincu, malgré les difficultés qu’elle rencontrait, qu’elle était à l’aube d’une immense carrière. Je n’ai jamais eu à son égard, je le redis, les gestes physiques et le comportement de harcèlement sexuel dont elle m’accuse, mais j’ai commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite. Emprise du metteur en scène à l’égard de l’actrice qu’il avait dirigé et avec laquelle il rêvait de tourner à nouveau.
« A l’époque, je n’avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments. Si c’est le cas et si elle le peut je lui demande de me pardonner.
« J’ai bien conscience du peu de poids que mes propos vont avoir. Votre journaliste a mené une enquête et même si aucune des personnes entendues n’a fait état du moindre geste déplacé de ma part, l’étroitesse de la relation que j’entretenais avec cette adolescente suffit à m’accabler. Mon exclusion sociale est en cours et je ne peux rien faire pour y échapper.
« Le Moyen Âge avait inventé la peine du pilori mais c’était la sanction d’un coupable qui avait été condamné par la justice. Maintenant, on dresse, hors de tout procès, des piloris médiatiques tout autant crucifiant et douloureux et aujourd’hui c’est à mon tour de les subir. »