On ne l'attendait plus. Avec près d'un an de retard sur la date prévue, le deuxième volume de l'intégrale Maurice Pialat en DVD sort enfin cette semaine. Mais il sera beaucoup pardonné à Gaumont Vidéo pour cette gestion erratique des délais, tant le travail éditorial dépasse en intensité celui, pourtant déjà remarquable, effectué sur le premier volume (Libération du 26 mars 2004). «Nous sommes allés encore plus loin dans la recherche de l'exhaustivité», assure Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque française et «superviseur» de cette collection. L'architecture des DVD n'a pas bougé : une préface sous forme d'entretien avec une ou deux figures clés de chaque film (Nathalie Baye pour la Gueule ouverte ; Patrick Grandperret, alors assistant réalisateur, et Arlette Langmann, monteuse, pour Passe ton bac d'abord, etc.) et des bonus copieux mais sans analyse de séquence ni commentaire esthétique. «Le DVD n'est pas un support critique, mais d'accompagnement d'une oeuvre, argumente Serge Toubiana. Ce qui manque le plus dans le discours sur le cinéma, c'est : comment ça se fabrique, avec quels matériaux, avec quelles procédures. Et les meilleurs interlocuteurs sont ceux qui ont travaillé sur les films, qu'ils soient encore vivants et on les interroge sur leurs souvenirs de tournage , ou disparus et on cherche des documents d'archives.» Après visionnage, voici trois bonnes raisons d'investir dans ce copieux coffret.
1) Comprendre Pialat au travail. «Ça fait cinq heures que je me fais chier. Puisque c'est comme ça, je vais me coucher !» Ce moment, saisi sur le plateau de Loulou par le magazine télé Ciné-regards en 1980, confirme qu'un tournage avec Maurice Pialat n'était pas toujours une partie de plaisir. Mais, dans un autre bonus de Loulou, Isabelle Huppert dépasse le cliché d'un cinéaste irascible et purement instinctif pour expliquer avec brio qu'il crée «les conditions d'un cinéma-vérité sans tomber dans le naturalisme», par exemple «quand il comprime ou dilate le temps». Le monteur Yann Dedet assure que Pialat laissait ses collaborateurs très libres sur un tournage afin qu'«ils donnent le meilleur d'eux-mêmes». Cela passait, également, par l'abolition du rituel «moteur/action/coupez» pour que «la fiction vienne se loger au coeur du réel» (Huppert), ou, symétriquement, «la vie rentre dans le film toute seule» (Dedet). Sur une séquence inédite du Garçu, on entend Maurice Pialat donner ses indications en direct à Gérard Depardieu et à Fabienne Babe ; les deux acteurs jouent la scène à trois reprises sans interruption de la caméra, adaptant dans le même mouvement leur jeu au leitmotiv du cinéaste : «Théâtralise moins !» Une grande leçon de cinéma.
2) Découvrir des inédits. En 1962, Maurice Pialat réalise des petits films documentaires à Istanbul, grâce à de la pellicule «empruntée» en douce sur le tournage de l'Immortelle. Ces six «Courts métrages turcs» comptent parmi les plus belles surprises de l'intégrale. «Un mélange de documents lyriques et de réalisme», explique le chef opérateur Willy Kurant, dans la lignée de L'amour existe, le bouleversant court métrage de Pialat sur la banlieue parisienne sorti en 1961. «Maurice était persuadé que ces films n'existaient plus, raconte sa veuve, Sylvie Pialat. On les a retrouvés aux archives du film de Bois-d'Arcy. On a voulu faire la surprise à Maurice en les projetant au Festival d'Angers en 2002. Résultat, il nous a incendiés : il était persuadé que l'on avait refait le montage de Maître Galip dans son dos !» L'intégrale ne comporte pas en revanche les films tournés en Arabie Saoudite dans les années soixante, quand Maurice Pialat faillit devenir cinéaste officiel du royaume wahhabite. «On n'a pu dégoter que quelques rushes muets, inutilisables», précise Nicolas de la Mothe, directeur de Gaumont Vidéo. Ni les images des Meurtrières, l'un des grands projets inaboutis de Pialat, dont le tournage avait été interrompu au bout de quelques jours en 1977 parce que l'actrice principale ne convenait pas. «Maurice les a peut-être détruites lui-même», estime Sylvie Pialat.
3) Avoir la Maison des bois chez soi. Le chef-d'oeuvre de Maurice Pialat n'est pas un film, mais un feuilleton télé. Quasiment invisible pendant trente ans, la Maison des Bois était ressorti des caves de l'INA ces dernières années, mais dans quel état : couleurs délavées, son étouffé... «Il était indispensable que l'intégrale Pialat propose la Maison des bois restauré, Maurice avait une affection particulière pour cette série», explique Toubiana. Dans cette vision de la Grande Guerre à hauteur d'enfant, enfin revenue à sa beauté initiale, Pialat concrétisait son ambition : «Toucher à la vérité des personnages en leur donnant, en me donnant, du temps.» Et c'est bouleversant.
Maurice Pialat l'intégrale volume 2. Sortie le 4 octobre.
Comprend l'Enfance nue (1968), la Maison des bois (1970), la Gueule ouverte (1974), Passe ton bac d'abord (1978), Loulou (1980), le Garçu (1995) et 10 courts métrages dont l'Amour existe (1961) et Maître Galip (1962).
Gaumont Vidéo. Coffret de 11 DVD + livret, 89,99 €.
Les cinq longs métrages et la Maison des Bois seront disponibles à l'unité début 2006.
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