En effet très démonstratif et un peu bancal. La fin est aussi trop proche de celle d'Assurance sur la Mort (mais aussi d'Asphalt Jungle), avec ce personnage d'agonisant lucide, qui a le temps de se savoir puni, et transforme la punition infligée par l'autre en suicide, parvenant
in extremis à boucler la boucle: l'orgueil est un attachement au sens.
Le film me parait être le prototype d'un certain cinéma : des fables morales comme
le Grand Embouteillage de Comencini, peut-être aussi Fincher dans la veine de
Gone Girl. On n'est pas non plus si loin que cela d'Altman (la chanson country joue d'ailleurs un rôle important dans le film, qui anticipe alors
Nashville): des films à thèses, choraux, avec une dimension baroque et masochiste, moins centrée sur l'édification du public que sur la faiblesses du comploteur, son impuissance à atteindre à la fois la fin qu'il recherche, et à exploiter comme un moyen le mal radical. Le collectif, exposé à la domination d'un seul et convoqué par lui, devient finalement le spectateur qui jouit de son échec.
C'est inégal , hybride. L'intrigue, improbable il faut le reconnaître, part peut-être d'un jeu scénaristique voulant illustrer littéralement l'expression qui donne au film son titre anglais
Ace in the Hole. Mais souvent très bon : dialogues brillants (la fameuse phrase sur les hommes qui portent des ceintures et des bretelles en même temps, presque à la Audiard) et les passages dans le trou sont très bons, Richard Benedict est émouvant. Le scénario brasse habilement plusieurs thèmes : le mélange de cynisme consumiériste et de posture christique de la société américaine, le travail populiste de l'opinion par l'apparition des mass média et d'un populisme calculé, hypocritement sceptique, mais aussi plus finement et souterrainement un sous-texte féministe (passant moins par les paroles que les gestes et les regards de Jan Sterling) et un vrai point de vue sur la présence indienne : l'hypothèse de la malédiction punissant la profanation des vestiges archéologiques n'est pas absurde, et d'autant plus efficace qu'elle reste une donnée "statique" que le personnage exploite, mais que le drame ne parvient pas à rattraper ou à récupérer : quelque-chose travaille réellement ce lieu, surnaturel et pourtant entièrement quantifiable, réintégré dans un calcul capitaliste, à la fois total et modeste.
Le film est formellement hybride, avec un début qui tient de la comédie sociale à la Mankiewicz, un milieu de film noir, et une fin qui rejoint l'expressionnisme allemand, à la fois démonique, voire même dm,antrice , et moderne : cette foire et ce cirque à la fois hyperréalistes et incongrus sont les scènes d'une perdition transparente et collective, faussement naïve, en fait assumée . Chacun espère qu'elle peut produire un salut paradoxal, d'abord économique avec l'argent qu'elle fait gagner, mais peut-être aussi politique et moral. Le speaker qui dit
"A community is maybe born there" n'est pas ironique. Les personnage perçoivet eux-même la vulgarité et les paradoxes de leur situation. Ce n'est pas ce que le spectateur perçoit seul et contre eux. Ils ne les critiquent pas, car ils ne sont pas tout à fait sûrs d'y croire eux-mêmes.
Le personnage de Tatum subit une sorte de fatalité romantique , où une "loi" menaçante aboutit par la mort de son objet à une expiation morale totale. La justice vient après que le mal ait déployé ses derniers effets, et transforme le monde en spectres. Rien n'est empêché mais tout perd de sa valeur : le passage final où Kirk Douglas essaye de se vendre comme le journaliste-assassi de Léo (voire aussi de la réalité), pensant qu'un autre peut récupérer son histoire, jouir du réel et le monnayer de la même manière que lui, mais qui devient un pléonasme absurde et mortel tant il méconnait la banalité de son cynisme.
Mais il subit aussi son propre masochisme qui fonctionne comme une pulsion motrice, une énergie brute, en perpétuel mouvement, qui voudrait rattraper le destin, le dépasser même négativement, mais n'y arrive pas, qui s'épuise malgré sa force.
Tout ce que le film représente de civil et social tient dans l'échec de ce masochisme : Kirk Douglas est horrible, moralement parlant, mais efficace pour la communauté du bled. En croyant simuler, il exerce en fait un pouvoir réel que la conscience de son mensonge limite et tempère. Ce qu'il dit sur la pudeur qu'il convient d'exercer vis-à-vis de Léo est juste, et son rapport aux autres reste toujours de l'ordre d'un contrat dont on est libre de s'excepter, même vis-à-vis de Léo.
Le film est aussi, mine de rien, une inversion totale du mythe de la Caverne de Platon, qui rejoint de manière étonnante certains passages de Bruno Latour dans
Politiques de la Nature , qui relève une forme d'impérialisme liée à l'idée d'un clerc émancipant de manière permanente ses sujets, rétablissant de l'extérieur une vérité censée être toujours déniée (mais par qui ? par l'effet d'une intention, dont l'orgine reste inconnue, ou plutôt d'une limite ?).
Ce mythe transfère sans le savoir la compassion des personnes vers les valeurs : l'homme, dans le film, enfermé dans la grotte est naïf et sage, jalousé pour sa simplicité, il meurt inconscient de sa force . L'injustice qu'il subit le sauve, car elle remplace l'erreur. Et le réel à l'extérieur qui croit le regarder devient au contraire le lieu où la projection et l'illusion s'exercent de la façon la plus forte.
Tatum est contraint à la fois au mal moral et à la visibilité sociale. Comme fautif, il ignore qu'il est déjà justifié et reconnu, il cherche à récupérer et à jouir de ce qui, en lui, n'avait de valeur que pour les autres . Mais le crime qui en découle devient alors une médiation politique, un lien matériel, une proto-société, lucide et éphémère- Kirk Douglas, à force de tomber dans des tautologies morales qu'il est le seul à ne pas percevoir, devient un prophète laïc.
Sinon DPSR cerne bien le film (bmntmp aussi) mais bémol à son résumé : rien ne se passe finalement entre Tatum et la femme de Léo , malgré les avances de celle-ci.