Forum de FilmDeCulte

Le forum cinéma le plus méchant du net...
Nous sommes le 26 Avr 2024, 12:55

Heures au format UTC + 1 heure




Poster un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 3 messages ] 
Auteur Message
MessagePosté: 20 Jan 2020, 00:56 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
Germanophones, Marianne (Edith Clever) et Bruno (Bruno Ganz) forment un couple, vivant à Clamart en région parisienne, dans une belle maison pavillionnaire des années 1920. Bruno est cadre et revient d'un voyage d'affaire en Finlande où il s'est senti déprimé et confronté à un vide existentiel. Un froid s'installe dans leur couple et Marianne l'éjecte dès le lendemain, occupant seule leur maison et éduquant leur fils d'une dizaine d'années, Stefan. Assez secrète et silencieuse, effacée mais résolue, elle est extérieure à la ville qu'elle habite. Pour survivre, elle va notamment reprendre contact avec un éditeur pour lequel elle avait travaillé avant son mariage, qui lui propose de traduire "Un Coeur Simple" de Flaubert. Bruno vit avec l'institutrice, elle aussi germanophone, de leur fils, qui est par ailleurs une des rares amies de Marianne.

Image


Image

Image

Au début on sent le film d'écrivain, avec un dispositif tout en plans fixes, et un ton assez littéraire riche et précis mais un peu hiératique. Mais ce dispositif devient de plus en plus simple, gagnant en souplesse (pendant la première heure le film ne panotte que trois fois de manière straubienne, et uniquement dans les extérieurs, quand le dénouement amoureux est filmé dans une chambre caméra à l'épaule) : Marianne existe vraiment. Le cinema de Handke apparaît paradoxalement plus direct et moins "littéraire" que certains Wenders antérieurs auxquels il a contribué (même s'il reste un lien : Wenders est producteur, Rudiger Vögler apparaît pour jouer le même personnage que dans les Wenders, avec d'ailleurs un certain humour masochiste). Le début du film laisse penser à une hybridation recherchée entre le courant Neuer Deutscher Film et la ( post) Nouvelle Vague française (Duras est convoquée avec un rôle de Lonsdale dans un hôtel très India Song, et Jeanne Dielman est aussi très présente), mais le film bifurque vers quelque chose de finalement plus populaire (rappelant beaucoup La Dentellière de Claude Gorreta, dans une version qui réussirait finalement son émancipation tout en usant de la même stratégie de retrait ). Et la banlieue parisienne est filmée (du côté de Clamart et de Meudon, certes pas les coins les plus défavorisés de Paris ) avec beaucoup d'amour , on pense un peu à Rivette. La lumière et le cadre sont superbes.

Une clé de l'inspiration du film, à côté des références évidentes mentionnées (liées d'une certaine façon aussi au romantisme allemand et à la culpabilité, qui sont aussi présents dans le film , avec le personnage du père), est plus inattendue : dans une belle scène, Marianne va voir avec son fils un film d'Ozu (muet comme l'est souvent Marianne elle-même) des années 1930 à la Cinémathèque, mettant un scène un couple qui se déchire puis se réconcillie brutalement par le seul jeu des regard, tout en jouant avec leurs enfants : Marianne s'endort, mais son fils Stefan est fasciné et la réveille. Au retour Marianne accroche un poster d'Ozu dans une des pièces de la maison. A partir de ce moment le film devient plus simple, plus fluide, moins auteurisant, et touche juste. Pour tout dire il m'a plus parlé que Marriage Stories.

Les passage où Marianne essaye de traduire Flaubert sont aussi très beaux : elle approche son métier comme un défi technique où il s'agît de transmettre une sensibiltié ainsi qu'une compréhension du livre et de la langue qui sont implicites, mais déjà achevées et mises à distance à partir du moment où elle décide de les communiquer : la parole est rivale à l'intérêt et le clotûre. On sent dès lors que Peter Handke possède un tempérament nettement plus individualiste et conservateur que Wenders. Tout le film s'organise autour d'une nostalgie de l'enfance perdue, qui est primordiale, plus forte même que la perte de l'innocence liée à la guerre (mais c'est aussi ce qui fait que le film est un peu marginal - et donc très intéressant- dans le cinéma allemand de l'époque : la honte est un enjeu, mais ce n'est pas le cas l'expiation qu'elle appelle comme chez d'autre cinéastes de l'époque, où elle prend souvent la forme biaisée de la transgression , - Fassbinder ou Herzog).
L'aliénation consumiériste est un scandale non pas à cause des structures de domination qu'elle charrie, mais parce qu'elle est une vieillesse imposée et ajoutée à la vieillesse naturelle , alors que la littérature immobilise et scelle dans le langage les situations : le sens est une cristallisation opposée à l'histoire.
Parler est d'emblé un acte historique, qui confronte l'idée et le sentiment au monde, et les altèrent, les neutralisent. La nostalgie est toujours plus ancienne et personnelle que ce qui est neutre et objectif, qui lui résulte d'un travail. C'est pour Handke ce qui fait de la psychologie un recours possible contre l'histoire et la politique, vues comme des comme un forme de compromission et de souillure, (mais le langage appartient à ces dernières plutôt qu'à l'individu). En même temps, ces enjeux ne sont finalement pas au centre du film : c'est vraiment le portait de femme qui est le point central du film, qui a vraisemblablement une dimension autobiographique (Handke habite dans cette région, et le personnage de Marianne est très proche de sa mère telle qu'il la décrit dans Le Malheur Indifférent, comme dans ce livre il se projette à la fois dans l'enfant et le mari (ambiguïté qui fait aussi l'intérêt des Baumbach). Il y a aussi un petit rôle (muet) de Depardieu, en clin d'oeil inattendu aux films de Blier.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 20 Jan 2020, 13:25, édité 5 fois.

Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 20 Jan 2020, 08:28 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
On peut aussi voir le film comme une adaptation-transposition, plutôt réussie, d'un Cœur Simple de Flaubert, qui forme un idéal à la fois esthétique et psychologique de Peter Handke. Il y a la même tentative de dépasser le naturalisme de l'intérieur, par la précision de l'expression, et Handke peut être qualifié de féministe de la même manière que cette qualité peut s'appliquer à Flaubert . Félicité diffère comme Marianne de Madame Bovary car elles renoncent au suicide (et à la douleur) en même temps qu'à une forme de visibilité et de reconnaissance sociale (voire aussi à la parole, ce qui est la limite de cette perspective féministe. Elle n'a pas de perroquet : elle doit finalement vivre et s'exprimer par elle-même, sans le truchement d'un fétiche ou d'un symbole).
Le rôle de Bruno Ganz (antipathique, même si l'acteur est bon et le defend) évoque par ailleurs beaucoup le mari comme les amants de Madame Bovary. La magnifique scène du trajet Roissy-Clamart par l'A1 rappelle la tournée nocturne de médecin de Charles Bovary au début du roman.

Et le film est finalement situé sur la route de la Normandie. Un de ses enjeux est d'extraire poétiquement la forêt de Meudon de Paris pour la rattacher à une campagne préservée voire un bocage imaginaire.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 20 Jan 2020, 16:09 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
Image

La maison du film (gag : il a rebaptisé la rue qui mène à la rue Pascal , depuis laquelle la photo est prise et la maison cadrée dans le film - qui traverse étroitement tout le paté de maison - "Rue de la Raison"). Elle est actuellement couverte derrière un rideau d'arbre
c'est peut-être la sienne
.
Handke plus facétieux qu'Haneke finalement.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
Afficher les messages postés depuis:  Trier par  
Poster un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 3 messages ] 

Heures au format UTC + 1 heure


Articles en relation
 Sujets   Auteur   Réponses   Vus   Dernier message 
Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Capricorn One (Peter Hyams, 1978)

Mister Zob

4

1785

26 Aoû 2012, 10:00

Mr Chow Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (Peter Greenaway, 1989)

Abyssin

14

1538

10 Fév 2018, 22:47

Castorp Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. La Femme des sables (ou La Femme des dunes) (Hiroshi Teshigahara - 1964)

[ Aller à la pageAller à la page: 1, 2 ]

DPSR

21

2735

17 Juil 2022, 03:20

flatclem Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. La femme de feu (Kim Ki-young, 1971)

Mr Chow

1

1400

28 Juin 2014, 19:59

Mr Chow Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. La femme qui est partie (Lav Diaz - 2016)

[ Aller à la pageAller à la page: 1, 2 ]

DPSR

17

2453

09 Jan 2018, 20:15

Gontrand Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. La Femme scorpion (Shunya Ito - 1972)

DPSR

6

1868

23 Avr 2014, 22:21

Fluck Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. La Femme de Seisaku (Yasuzo Masumura - 1965)

Blissfully

8

1935

25 Aoû 2009, 19:17

the black addiction Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Jeune femme (Léonor Séraille, 2017)

Art Core

7

2128

15 Nov 2017, 08:53

Qui-Gon Jinn Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. La Femme de mon frère (Monia Chokri, 2019)

Film Freak

5

1341

23 Juil 2019, 17:12

Vieux-Gontrand Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Une femme douce (Sergey Loznitsa - 2017)

Lohmann

8

1347

01 Mai 2021, 02:00

Abyssin Voir le dernier message

 


Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 26 invités


Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets
Vous ne pouvez pas éditer vos messages
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages

Rechercher:
Aller à:  
Powered by phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction par: phpBB-fr.com
phpBB SEO
Hébergement mutualisé : Avenue Du Web