Dans le futur, sur une planète lointaine, un jeune Predator, exclu de son clan, trouve une alliée improbable en la personne de l'androïde Thia et entreprend un voyage en territoire hostile, à la recherche de l'adversaire ultime.Et beh.
Ma rétrospective de la saga il y a trois ans, avant de découvrir le précédent opus live, déjà signé Trachtenberg, m'avait confirmé toute l'affection que j'avais pour la licence, pourtant presque exclusivement composée de films moyens/sympas, parce que chaque volet avait su apporter un peu de fraîcheur, dans le décor, le genre ou les personnages. On serait tenté de dire qu'il n'y a "pas deux épisodes qui se ressemblent" mais en réalité, la formule ne changeait pas foncièrement et, avant même le film animé sorti plus tôt cette année sur plateforme, la série se cantonnait globalement à du
"what if" geek. Arrive alors
Predator : Badlands qui propose enfin un vrai pas de côté avec ce pari audacieux d'adopter le Yautja comme protagoniste et, ce faisant, altère enfin la recette pour offrir non seulement un récit différent mais ne s'arrête pas là et pousse le parti-pris en s'appuyant plus que jamais sur le lore...pour mieux le subvertir?
Je me souviens d'un débat sur ce forum, à cette époque désormais lointaine où il fallait réhabiliter le geekisme, dans lequel j'expliquais que la réussite de
Casino Royale, un
reboot revenant aux origines du personnage pour mieux réfléchir à ce qui le définissait, relevait d'une démarche geek. Parce que la différence entre le bon geek et le mauvais geek, c'est pas comme avec les chasseurs. Pour le second, un bête
fan service suffit, là où le premier apprécie l'exploration sérieuse de sa sous-culture.
Predator : Badlands m'a renvoyé à cette distinction. Quiconque avait déjà joué aux jeux vidéos
Predator connaissait le kif de vivre l'aventure de leur point de vue, de célébrer leurs
skills et leurs
kills. Mais Trachtenberg a compris qu'il ne pouvait simplement se limiter à la badasserie inhérente à ce postulat et que prendre un Predator comme personnage principal d'un film de fiction implique de réellement
explorer ce point de vue à la première personne. Et donc de lui donner un arc (et je parle évidemment pas de l'arc laser de ouf qui fait partie des nouveaux gadgets ici).
Tout le monde connaît la culture de chasseur des Yautjas et c'est précisément par cet angle que le cinéaste attaque son film pour mieux le remettre en question. L'introduction est exemplaire. Dans un premier temps, il est remarquable de constater comme la forme épouse le fond dans les aspects les plus techniques et pourtant essentiels : le héros est joué par un être-humain en costume, comme d'habitude, mais cette fois, le visage n'est plus simplement un masque animatronique mais un faciès augmenté par des CGI et de la
motion-capture de façon organique et invisible. En un mot, le Predator est plus expressif que jamais. Une nécessité pour ce concept. Et vraiment, voir les membranes des mandibules de la bête vibrer à chaque expiration nerveuse, ça ajoute un degré de tangibilité et de réalisme qui joue beaucoup dans la crédibilité du postulat.
Néanmoins, la technique ne serait rien si l'écriture ne suivait pas et le prologue est tout aussi convaincant dans sa manière de poser les bases dramaturgiques du film que le scénario va ensuite dérouler en respectant l'adage
"always write to theme". Après cette ouverture, avant même que le titre ne s'inscrive enfin à l'écran, tu sais globalement comment ça va se terminer, comment ça
doit se terminer, parce que le parcours posé pour le protagoniste est limpide. Parce qu'une histoire, ça fonctionne comme ça : au début du film, tu construis une barque dans laquelle t'embarques le spectateur et putain, la barque ici elle est solide. C'est pas le Titanic et le trajet ne prend aucun passage secret mais c'est un bon voyage et t'arrives à destination. En fait, y a toute une partie du film qui aurait pu se pitcher comme "la faune et la flore d'
Avatar mais version dark où tout essaie de te tuer". Et si le film menace parfois de tomber dans du simple
survival avec succession de bastons contre des créatures fantastiques, il renoue toujours avec sa thématique pour incarner ce spectacle généreux.
Quand j'ai découvert dans la bande-annonce que le Yautja faisait équipe avec un androïde Weyland-Yutani, j'ai craint la concession un peu lâche qui n'assumait pas le film sans "humain" pour faciliter l'identification et l'adhésion et si Elle Fanning entame sa performance dans un croisement entre C-3P0 et le Rob Schneider de
Judge Dredd, leur dynamique verse finalement davantage du côté du
buddy movie et s'avère doublement voire triplement maline quant au propos. Qu'il s'agisse de la justification de leur partenariat (alors que ça va à l'encontre du code Predator), merveilleusement logique, ou des parallèles dans leurs identités respectives (et la possibilité d'outrepasser sa fonction), en passant par tout un imbroglio de fraternité/sororité de substitution, c'est vraiment cohérent. Le défi de
Predator : Badlands, c'est pas uniquement d'avoir un Yautja en héros, c'est de voir si un Yautja peut
être un héros. Est-ce qu'il peut évoluer, changer? Si j'étais un YouTubeur droitardé, je pourrais titrer ma vidéo d'un outré
"They Made The Predator Woke" mais oser le film
Predator qui rejette la masculinité toxique, j'applaudis...d'autant plus que ça s'inscrit somme toute dans l'optique du film original, qui tournait en dérision la virilité belliqueuse de ses soldats.
Et le film a plein de petits renvois comme ça, comme la ressource dont doit faire preuve le Yautja pour l'assaut final, les armes choisies étant à la fois inventives dans l'action (comme d'autres scènes) et thématiquement cohérente, en plus de la référence au film de 1987. Même le
fan service le plus éhonté dans la surenchère est difficile à bouder. Il l'a mérité, quoi. Il a vraiment fait les efforts. C'est de la série B mais chiadée. A ma très grande surprise, j'ai vraiment kiffé.
En cette triste ère de franchises, on a pris l'habitude d'entendre et de lire le bon vieux "c'est le meilleur depuis le..." mais vraiment, même si c'est pas forcément très dur ici, c'est vraiment le meilleur depuis le premier.