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MessagePosté: 05 Fév 2023, 10:28 
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1989, Rose, jeune mère de famille arrive d'Afrique en France avec ses deux fils, Jean (10 ans) et Ernest (5 ou 6 ans). Deux autres frères sont restés là-bas et elle ne tient pas vraiment à les faire venir, on devine qu'elle est dans une logique qui relève surtout de la fuite familiale individuelle. Elle devient femme de ménage dans des hôtels.

Portrait de mère courage, assez classique, mais le film est bien écrit et emprunt d'un certain hiératisme formel, notamment dans le choix des musiques, qui peut faire penser à Alain Cavalier voire plus lointainement à Bresson (il s'agit de se tenir dans ce qui sépare la grâce du martyre, dans la solitude -
ce qu'un des fils ratera, connaissant un destin à la Orphée, naturellement le plus spontanément altruiste et curieux - il se retourne trop tôt, à la sortie plutôt qu'à l'extérieur dr la caverne, et est purgé du film
) qui lui donne sa cohérence et sa force. On peut aussi penser à Claire Denis période J'ai pas Sommeil (pour les scènes de boîte mais
c'est justement le frère que le récit va perdre
). Il assume un certain niveau culturel, et le sait.

On remarque aussi une certaine unité avec Jeune Femme, pas forcément là où on l'attendait (dans Jeune Femme il y avait déjà une mère difficile avec Nathalie Richard, et l'univers de la nuit et de la fête est filmé de la même manière dans les deux films, entre fascination amusée et portrait d'une certaine décadence, une forme d'impuissance qui ne produit que l'oubli, où seul le regard des autres est maintenu).

Politiquement le film est avec les personnages, malgré quelques ambivalences. La première tient au fait que la chronique n'atteint pas notre présent, mais s'arrête en 2004, alors que le film est organisé sur les notions d'avenir et montre l'attachement à la société française voire à la France comme valeur et quasi-personne (il parvient à éviter l'écueil du mot intégration et des projections et reconstructions de l'autre qui y sont attachées) comme un pari pascalien. Ensuite il y a un certain sociologisme, comme disent les Cahiers, mais il correspond toujours à une forme de recul affectif sur ses propres personnages : il n'explique que les crises et les échecs. Ainsi il faut que l'un des frères se détache, tard, de la mère pour voir le racisme courant, qui survient après sa promotion sociale. Le film n'interroge pas vraiment le fait que la mère parvient à masquer le racisme à ses enfants, qui se produit là où elle est aussi elle-même plutôt défaillante sur le plan familial - même si elle est toujours consciente d'incarner une fonction, et ne désire pas être autre chose. Il y a peut-être l'idée que le racisme est subi de façon différentes chez les hommes et les femmes, pour les uns il est institutionnels et public, pour les unes placé dans des rapports de couple partiels et transactionnels, où l' on échange sexualité et sécurité. Or les deux peuvent se croiser. Mais l'idée de montrer ce caractère partiel est juste : il s'agit toujours d'une finalité déniée - d'une impossibilité de s'accomplir. Le film semble lier une forme de norme sociale, pacificatrice, au refus de croire soi-même en cet accomplissement : le scepticisme ouvre à l'autre. Mais il fait peut-être assez tristement (sans doute aussi lucidement) de notre présent (des années 2020 d'où il parle) une illusion. C'est par le hors-champ nous mêmes qui sommes maintenant cette fin refusée, critiquée avant même de pouvoir exister.

Film pas sans lien avec Armageddon Time, mais à la francaise et plus sombre, plus individualiste (
la mauvaise conscience d'avoir fait une auto-expulsion à la Pasqua du grand frère, qui plonge un peu, suite à une déception amoureuse, y est montrée comme vaine)
et froid. Comme dans Saint Omer la mère du film est finalement fantasmée comme une Médée, assez troublant.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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MessagePosté: 28 Mai 2024, 15:14 
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je me souviens de son ajout tardif à la compétition, qu'il avait été dur de ne pas interpréter comme une manière rapide de remplir un quota noirs sur le tapis et rouge et femmes en compét.
impression un peu confirmée par l'accueil totalement indifférent auquel il avait eu droit, suivi par 35 000 piteuses entrées en salles.
echec qui m'avait un peu confirmé que le art et essai sur la diversité était un peu condamné à l’échec, le public art et essai n'y va pas et le public concerné ne va pas voir de l'art et essai français.

mais ça m'intéressait.
déjà parce que je vis dans un immeuble autour duquel il y a plusieurs hébergements sociaux destinés à des "familles monoparentales en situation de grande précarité" - traduction administrative de "migrantes subsahariennes sans papiers avec 3, 4 ou 5 enfants en bas âge". je passe donc ma vie à les croiser et j'étais intéressé par voir un film sur elles et ces centaines d'enfants, et sur la vie qui les attend pour celles pour qui toute cette aventure ne sera pas trop désastreuse.
l'autre raison est que si j'ai bien compris, c'est l'histoire familiale de son compagnon, et faire un biopic de sa belle mère qui n'a pas les moyens de raconter sa propre histoire je trouve ça très touchant.

au final, c'est donc ce portrait strictement personnel. le contexte politique et sociétal n'intervient que 10 secondes pour une mention d'une loi pasqua. sinon, il n'y a aucune référence à des événements collectifs, ni même d'ailleurs de leur statut administratif. c'est un choix que j'ai eu du mal à comprendre. il focalise toute l'attention sur leur vie personnelle. dans un premier temps ça me semble une farfeluterie intellectuelle - tout le monde est défini par son contexte, et tout particulièrement les migrants qui dépendent entièrement du traitement politique et administratif qui leur est réservé. d'autre part, c'est une famille migrante en vérité très banale - il ne leur arrive rien de très spectaculaire. c'est l'histoire sans doute, mais enfin ça n'est pas légendes d'automne à stains, et de fait ça manque quand même beaucoup d'ampleur narrative.

ce qui ne veut pas dire que c'est mauvais ou sans intérêt. c'est un joli portrait, de la mère, puis d'un frère, puis d'un autre. c'est effectivement le portrait d'une famille migrante banale. il y a l'aspect familial banal - une vie définie par ses enfants et la difficulté de vivre en tant que femme et en tant que mère, puis la difficulté de se définir et de se contruire en tant qu'adolescents, le ressentiment envers ses parents, puis s'inventer en tant qu'adulte indépendant mais toujours tenu par ses traumas d'enfance. et il y a la banalité de la famille migrante - l’extrême pauvreté, la construction culturelle conflictuelle entre la culture d'origine des parents et celle du pays d'accueil, le déracinement, le rapport particulier à la réussite ou à l’échec. j'en ai totalement eu pour mon temps à ce niveau là. et le fait est que les dernières minutes qui constituent le coeur du portrait de ce "petit frère" et de son mari, donc, sont extrêmement jolies.

il n'en demeure pas moins que tout ça n'est pas grand chose. ça aurait eu sa place en tant que court récit publié pendant la rentrée littéraire. ou comme telefilm sur arte. mais c'est assez étrange que cette histoire sans grand aspérité, avec un style extrêmement pauvre, avec des scènes totalement ratées et très peu vraiment réussies ait eu ce budget relativement confortable, cette belle selection etc... rien d'odieux, mais même sans le voir en debussy ça lui donne un statut qui le dessert, alors que en "petite chose" ça aurait été une plus jolie surprise.

il me restera quand même un profond agacement devant l'absence totale d'effort de se faire ressembler les membres de la famille entre eux et selon les différents âges (un gamin change littéralement de couleur entre ses 6 ans et ses 13 ans, les 2 frères ne se ressemblent absolument pas et n'ont pas la même couleur...), et surtout j'ai vraiment trouvé cette démarche belle et émouvante, je me suis imaginé son compagnon découvrir le film, et sa mère si elle est toujours vivante, et quelle beau geste artistique et d'amour, avec en plus ce respect et cette compréhension d'une culture qui n'est pas la sienne. j'ai trouvé cet aspect là vraiment émouvant.


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MessagePosté: 28 Mai 2024, 15:32 
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FingersCrossed a écrit:
suivi par 35 000 piteuses entrées en salles.
echec qui m'avait un peu confirmé que le art et essai sur la diversité était un peu condamné à l’échec, le public art et essai n'y va pas.

Tu le chiffres à combien le public d'art et essai en France, et sinon qui donc sont ces 35 000 personnes qui sont allées voir le film ?

FingersCrossed a écrit:
il me restera quand même un profond agacement devant l'absence totale d'effort de se faire ressembler les membres de la famille entre eux et selon les différents âges (un gamin change littéralement de couleur entre ses 6 ans et ses 13 ans, les 2 frères ne se ressemblent absolument pas et n'ont pas la même couleur...).

Bienvenue dans le monde merveilleux de la diversité génétique.


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MessagePosté: 28 Mai 2024, 15:46 
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cette année-là, :
eo, le biopic d'un âne polonais, fait 140k.
les amandiers, sortie caractérisée par un accident industriel laissant une profession traumatisée, fait 215k.
pacifiction, film pointu de 2h45, fait 65k.
rmn fait 65.

35k c'est extrêmement faible dans l'absolu mais pour un film en compétition à cannes, soutenu par france tv qui en a fait la promo à l'antenne, tout à fait accessible, sur un sujet concernant littéralement des millions de personnes en france et dont l'histoire n'a jamais été racontée comme ça, c'est une catastrophe.

mais bon si tu as envie que je dise que c'est un succès flamboyant je peux hein, ce ne sont que des mots sur internet on s'en fiche.


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MessagePosté: 28 Mai 2024, 15:53 
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Je m’étonne juste que tu dises que personne n’y va parce que ça ne les intéressent pas, et qu’il fasse tout de même 35,000 entrées. Pacifiction il y a eu d’énormes échos pour un tel film, sans ça il ne serait jamais parvenu à 65k. Skolimowski c’est un nom dans l’histoire du cinéma. Le Seraille on en a littéralement pas entendu parlé (ce qui est toujours le cas de la moitié de la sélection cannoise). Du coup je me demande qui sont ceux qui se sont déplacés.


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MessagePosté: 28 Mai 2024, 16:25 
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Je confirme : j'en avais jamais entendu parler.

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MessagePosté: 28 Mai 2024, 16:29 
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Lohmann a écrit:
on en a littéralement pas entendu parlé
C'est parce que la réalisatrice n'est pas du sérail.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 28 Mai 2024, 16:57 
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Messages: 1064
Lohmann a écrit:
Je m’étonne juste que tu dises que personne n’y va parce que ça ne les intéressent pas, et qu’il fasse tout de même 35,000 entrées. Pacifiction il y a eu d’énormes échos pour un tel film, sans ça il ne serait jamais parvenu à 65k. Skolimowski c’est un nom dans l’histoire du cinéma. Le Seraille on en a littéralement pas entendu parlé (ce qui est toujours le cas de la moitié de la sélection cannoise). Du coup je me demande qui sont ceux qui se sont déplacés.


non mais 35k on est vaguement au plancher pour un film sorti par un grand distributeur ayant eu des critiques partout à cannes, les films en selection même ceux qui bident totalement ont un minimum (black flies a fait 30k)... on est pas loin du plancher.
ensuite si on en a pas plus entendu parler que ça c'est bien que ce ne sont pas des thèmes qui intéressent plus largement.
les boomers retraités et les profs qui peuvent permettre de monter plus haut ne s'intéressent pas à ces thèmes là au cinéma.

mais ce qui est frappant c'est qu'il est aberrant qu'il n'y ait eu aucun intérêt communautaire d'afro-descendants autour du film. c'est littéralement l'histoire de leurs parents et d'eux même qu'on raconte, avec respect et justesse, on l'a jamais fait, la communication aurait pu se faire via le bouche à oreille sur les réseaux et tout. mais on en vient à ce que disait dimitri rossam : les jeunes ne vont pas voir de films français, et donc le cinéma français art et essai c'est juste hors de question quel que soit le sujet. et c'est donc encore plus radical pour les jeunes 'de la diversité'. et uniquement les segpa et vaguement vermines c'est pas totalement satisfaisant non plus quoi.


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