Vera Baxter loue une villa à Thionville-sur-mer. Venue avec son amant, elle décide par la suite de se terrer dans la villa. Elle se confie à une femme et lui raconte la manière dont son mari Jean a payé un homme afin que celui-ci devienne son amant...Je voulais profiter de la rétrospective Duras à la cinémathèque pour revoir
India Song, dont je me dit qu'aujourd'hui j'y serai beaucoup plus réceptif qu'à l'époque où je l'avais découvert (et dont je n'ai pour seul souvenir que de m'être profondément fait chier). Las, la seule projection (puisqu'il faut bien laisser de la place pour programmer 3 fois dans l'année des raretés telles que Abyss) est forcément tombée sur la seule semaine où je n'étais pas à Paris. Je me suis donc rabattu sur ce Baxter, Vera Baxter dont un ami m'avait lointainement parlé, pas particulièrement de manière positive, m'évoquant en particulier une petite musique sud-américaine qui parcours tout le film et qui avait déclenché chez lui une certaine hilarité.
La première chose qui m'a marqué c'est que la langue de Duras (dont je n'ai lu aucun livre) doit être suffisamment puissante pour qu'elle semble ne pouvoir être portée à l'écran que d'une seule manière. On retrouve effectivement ici la même indolence, la même désincarnation que chez Emmanuelle Riva dans
Hiroshima, mon amour. Premier point d'achoppement certain, dont je peux comprendre qu'il en rebute certains (voir beaucoup), mais la quasi hypnose que j'avais ressenti devant le débit laconique chez Riva n'avait pas de raison de ne pas se reproduire ici avec Seyrig ou Gabay, ce qui fut le cas.
La maîtrise de la langue chez une écrivaine c'est la moindre des choses me direz-vous, mais le fait est qu'au-delà de cet aspect elle s'avère être également une réalisatrice hors pair. On pourrait d'ailleurs la rapprocher d'Akerman, et pour ce film-ci plus particulièrement de
Jeanne Dielmann. Sortis à deux ans d'intervalle, partageant une même interprète, traitant tous deux (chacun à leur manière) de prostitution, les ponts entre les deux films ne manquent pas, et la maîtrise chez Duras n'est pas moindre. Temporalité (on est clairement dans ce que l'on catégoriserait aujourd'hui comme du slow cinéma), découpage, fixité de la caméra entrecoupée de très lent travelling, elle use avec précision de tout ce que le cinéma lui offre pour créer des ruptures, faire que le spectateur perde pied, ne parvienne plus à saisir la géographie de l'action (le début du film est particulièrement retors, les protagonistes semblent tous être à Thionville mais on ne cesse de voir des plans de villes balnéaires ou de vagues se casser sur la plage). Le but, tant est que l'on soit sensible à son dispositif, c'est de nous plonger dand l'irréalité dans laquelle vit cette femme, trompée en toute conscience par son mari, et qui semble se réfugier dans un monde parallèle, fait de mensonges et de souvenirs diffus, de week-end à la mer, de vacances prolongées à l'étranger, qui doivent constituer (j'imagine) les rares moments de bonheurs qu'elle aura vécu avec cette homme.
Et c'est là qu'intervient l'élément le plus étonnant du film, cette petite boucle de musique sud-américaine de 2/3 minutes répétée
ad nauseam sur 90 minutes, musique intradiégétique parce qu'elle serait joué dans une villa à proximité de celle où l'action se passe, mais dans les faits totalement incongrue, parce que même le plus malfaisant des musiciens andins ne jouerait pas en boucle un air aussi horripilant, ou parce que son côté world musique primesautier et en total opposition avec tout ce qui se passe dans la villa de Thionville. Lorsque cette musique a fait pour la première fois irruption je me suis remémoré les commentaires de ce fameux ami qui m'avait parlé de Baxter, Vera Baxter, un sourire s'est esquissé sur mes lèvres. Mais à mon plus grand étonnement par la suite elle ne m'a jamais gêné (je peux tout à fait comprendre ceux qui disent l'extrême inverse), au contraire elle agit comme un véritable contrepoint au drame qui se joue, elle permet à la fois d'en atténuer la potentielle lourdeur et dans le même temps nous plonge un peu plus dans la psyché de Gabay, comme si cette musique c'était le souvenir des plus belles vacances passées sur un autre continent, une petite ritournelle fétiche dans laquelle elle s'enveloppe et se protège de la réalité extérieur. L'effet est vraiment saisissant et unique, probablement la musique la plus incongrue et la plus ridicule qui soit et dans le même temps la plus essentielle de toute l'histoire du cinéma (je n'ai franchement aucun équivalent à lui opposer).
Sur ce, décision est prise de m'atteler sérieusement au reste de la filmographie de Duras.