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MessagePosté: 14 Fév 2020, 19:30 
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Anthony John est un acteur de théâtre dans la cinquantaine, reconnu à Broadway, spécialisé dans le boulevard. Il parvient à être à la fois lisse et clivant : on le qualifie tantôt de modeste, attentionné et effacé, tantôt de personne arrogante, affectée et dominatrice. Il est en tout cas dans un rapport de séduction permanent et donne l'impression de se fuir lui-même.
Sa partenaire de scène est Brita, son ex-femme, plus jeune mais plus "carrée" psychologiquement, avec qui il a une relation ambiguë : elle continue à l'admirer artistiquement, et il en profite pour essayer de renouer, poussé, il est vrai, par son entourage.
Un jour, il a confié sous forme de boutade à son agent qu'il voudrait jouer Othello. Celui-ci le prend au mot et veut monter la pièce. Brita jouera Desdémone. Compte-tenu de l'état de leur relation, lui-même est hésitant et qualifie cela de fausse bonne idée,
et en effet cela l'est
tout en étant attiré par ce projet, qui lui permet d'accéder à un répertoire théâtral plus noble...

Dans le même temps, alors qu'il erre de nuit dans le quartier italien (mélange de dérive et de préparation : Othello est de Venise), il rencontre Pat, une serveuse dans un restaurant , qui se dit aussi "masseuse" à domicile. Elle est très éloignée de l'univers mondain et corseté qu'il fréquente habituellement.





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Mr Chow sur une discussion sur Lubitsch, donnant un avis qui faisait consensus sur Cukor a écrit:
Ce n'est que le troisième que je vois (après Ninotchka, moyen, et To be or not to be, génial), mais je le trouve plus doué que Cukor qui est un cinéaste qui m'ennuie vraiment (et puis c'est très souvent un effort les films avec Katharine Hepburn :mrgreen: )



Je ne connais pas bien l'oeuvre de Cukor, réputée inégale, mais ce film pas très connu (mais apprécié à sa sortie), qui mêle film noir (mais plutôt dans la veine Peeping Tom ou Bunny Lake, tardive et utilisant la psychanalyse comme outil de déconstruction) , psychanalyse (ou plutôt limite de la psychanalyse, car la schizophrénie est au centre du film et plutôt bien cernée) et une transposition d'Othello (filmée magnifiquement) , n'est absolument pas ennuyant, et reste, après 73 ans, encore dérangeant.

Cela annonce beaucoup Rivette
Le montage (aussi bien visuel que sonore) de Robert Parrish est remarquable et très singulier et le film semble parfois dater des années 1960-1970. Il est à la fois hyper-classique et expérimental, avec des inserts, fondus enchaînés et recadrages qui donnent au film son vrai contenu, plus profond que la simple intrigue (reliant pulsionnellement la mise en scène et la pièce de Shakespeare, évitant le piège du film dans le film : la noirceur du film vient de l'impossibilité d'inclure ces plusions dans un effort général de déconstruction).
C'est aussi le meilleur rôle de Shelley Winter. Les deux acteurs principaux, un peu oubliés, Ronald Colman et Signe Hasso (une actrice suédoise, très belle et talentueuse, avec un jeu la Jean Crain, qui s'est arrêtée brutalement de tourner) sont eux-aussi remarquables.

Cet article en parle mieux que je ne le ferais ;
https://www.culturopoing.com/cinema/rep ... 7/20131113

Très recommendable.
5/6 voire plus.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Jean-Paul Sartre


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 15 Fév 2020, 20:45, édité 2 fois.

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MessagePosté: 15 Fév 2020, 12:29 
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A la deuxième vision c'est 6/6. Même les scènes plus conventionnelles avec les flics et journalistes sont géniales. Rien à voir avec Philadephia Story, beaucoup plus avec "Double Indemnity" (il y a un flash-forward aussi complexe que le flash-back du film de Wilder) mais surtout "Vaudou" de Tourneur.
Le film possède quelque chose de proto bergmanien dans la description du couple (le jeu de Signe Hasso fait d'ailleurs penser à Liv celui de Ulmann - coïncidence ou non, Cukor ne dissimule pas qu'elle est suédoise, sans non plus livrer sa nationalité - elle est valorisée comme "étrangère" - ce fait n'a pas à être expliqué car il est lui-même une explication, une possibilité de recul où la rationalisation est filmée comme un mystère), le regard sur le couple m'a semblé plus fort (et déstabilisant - il y a un truc qui rappelle certains Cronenberg dans le personnage d'Anthony John) et moderne que "Marriage stories" (qui doit beaucoup à ce film).

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MessagePosté: 14 Mar 2020, 22:00 
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C'est ce plan-là qui fait pressentir que le film va vraiment être intéressant :

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C'est un bon film, oui, qui parvient à être très émouvant. Les cas psychiatriques étaient coutumiers dans le film noir de l'épreuve - vu il n'y a pas longtemps Possessed dans le genre et qui date de la même année avec Joan Crawford, pas mauvais mais qui ne fait pas preuve du même brio. Là où tu en parles le mieux, c'est dans tes messages hors topics sur le film paradoxalement.
Le personnage d'Anthony John est perpétuellement absent à lui-même, comme dépendant des rôles qu'il joue. Acteur jusqu'au bout des ongles, il a cette personnalité changeante, inconsistante et le sentiment de vide, d'inadéquation qui en résulte. Tu cites Bergman et finalement on n'est pas très loin de L'Heure du Loup en effet, mais dans un contexte urbain et mondain.
L'espèce de passage en boucle de la fin d'Othello, comme dans une chambre d'écho, avec non pas des significations qui se démultiplient mais des émotions, est assez magistral pour conceptuel et chiant qu'il puisse avoir l'air d'être.
(ça fera tout de même le troisième film avec Shelley Winters que je vois "par hasard" en l'espace de quelques mois, je n'irais pas jusqu'à dire que ce rôle - secondaire où elle est très bien - soit son meilleur rôle).

Pour Marriage Stories, que je n'ai pas vu, j'imagine que tu vois cette influence comme inconsciente, un peu comme Woody Allen n'a probablement pas pompé "L'homme difficile" (dont le titre original est... "Le double" d'ailleurs) ? Ce serait intéressant que tu précises ce que tu veux dire car ça paraît un peu gratuit (et j'imagine Baumbach avec des références conscientes plus attendues - cela dit, un tweet récent rappellait que les références ne peuvent pas être SI attendues, Noah baumbach est fan de de Palma - il lui a consacré un documentaire - ou Wes Anderson de Michael Mann, ce qui reste toujours plus attendu que ce film un peu obscur de Cukor).

Sur la schizophrénie et la folie, j'aime beaucoup My Son, My Son, What Have Ye Done de Herzog, qui en est assez proche (cf le résumé qu'en faisait DPSR à l'époque "Lynch qui produit Herzog sur un fait divers pareil avec Michael Shannon dans le rôle d'un comédien psychotique qui se laisse envahir par la tragédie grecque").


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MessagePosté: 14 Mar 2020, 23:33 
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Merci d'avoir vu le film et de le défendre. La manière dont le couple d'acteur fonctionne (ne parvenant plus à s'aimer mais se respectant encore assez pour jouer, et paradoxalement plus isolés sur leur sentiment et narcissiques dans le divorce que dans l'union) dans le Baumbach m'a semblé proche de ce film. Il y a aussi des points communs dans le fait de montrer la mise en scène théâtrale, et notamment la répétition comme le seul moment réellement collectif du théâtre, quand les représentations finales elle-même sont plus centrées sur l'individu-acteur.


Pour le rapport Allen/Hoffmansthal c'est un peu une provocation (quoiqu'Hoffmansthal soit, vu la génération à laquelle il appartient, le premier écrivain qui intègre la folie au sens moderne, plutôt freudien que romantique, dans se œuvres et en fasse une question - rivale à celle de la portée politique de l'écriture- plutôt qu'une explication ou un symbole - et un symbole est forcément aussi une valeur et il faut le dépouiller de cette association à une valeur tout en le conservant pour travailler réellement le réel et permettre à l'art d'acquérir une signification éthique comme il le dit pour justifier sa rupture avec l'esthétisme de sa première carrière - tant dans la Lettre à Lord Chandos que dans la comédie "l'Homme Difficile - Die Schwierige en allemand). La pièce bourgeoise que joue Coleman au début fait un peu penser à l'univers de l'Homme Difficile d'ailleurs.

Sinon ce n'est pas tout à fait un film noir - son intérêt est qu'il est difficilement classable.

Récemment j'ai essayé de voir un autre Cukor "sombre", Gaslight, avec une Ingrid Bergman en début de carrière, qui tourne aussi autour de la schizophrénie, mais ai été déçu car le film, sans être mauvais (il fait penser à la veine gothique d'"Operation Perilious" de Tourneur) est beaucoup plus daté , tandis qu'A Double Life parvient à s'extraire des conventions du cinéma de son époque, et continue à travailler le spectateur après sa vision.

Sinon je n'avais pas été sensible au fait que le film essaye de faire boucler poétiquement la fin d'Othello, comme si la routine technique de l'acteur contaminait l'idée qui est au centre de la pièce elle-même et la détruisait.


Dans la photo que tu montres, j'ai été frappé par la manière dont le thème musical au clavecin suffit à installer la folie du personnage de Coleman, à indiquer qu'il ne reviendra plus de l'identification à Othello (le personnage se leurre en pensant comme résultant d'un travail réversible et d'une technique ce qui est une altération immédiate de son être, déjà installée, et cette ambiguïté est rendue par la tension entre l'image et la musique). Cukor comprend que la facticité et la mauvaise foi ont un rôle psychologiquement normateur, ce sont des structures plutôt que des décisions.

Shelley Winter a quelque-chose de masochiste, parce qu'entre la Nuit du Chasseur, une Place au Soleil et ce film-ci elle est quand-même spécialisée dans les rôles de victime aussi intenses que glauques.

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 15 Mar 2020, 08:26, édité 4 fois.

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MessagePosté: 14 Mar 2020, 23:54 
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Le film Gaslight est un bon thriller psychologique (adapté d'une pièce de théâtre) dont je me souviens pas mais il a aussi un intérêt historique dans la mesure où il est à l'origine de l'expression "gaslight" en vogue aujourd'hui chez les millenials pour désigner un comportement manipulateur.

Vieux-Gontrand a écrit:
Sinon je n'avais pas été sensible au fait que le film essaye de faire boucler poétiquement la fin d'Othello, comme si la routine technique de l'acteur contaminait l'idée qui est au centre de la pièce elle-même et la détruisait.


La crise de conscience dans la dernière scène le tire de cette routine justement et la scène s'en trouve comme transfigurée, là où les précédentes,

et le meurtre toujours retardé


n'en étaient que des répétitions juste propres à générer un certain suspense, ou ce qui n'était encore qu'un succédané d'émotion.

Vieux-Gontrand a écrit:
dans la comédie "l'Homme Difficile - Die Schwierige en allemand).


Merci de corriger. Va savoir pourquoi ils se sont trompés sur le site de l'éditeur français quant au titre original. Ce n'est pas une erreur après vérification mais le titre de la collection.

https://editions-verdier.fr/livre/lhomme-difficile/


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MessagePosté: 15 Mar 2020, 00:00 
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Étonnant car dans la postface le traducteur indique très bien que le titre rattache cette pièce aux comédies de Molière structurées autour d'un seul caractère moral, et que c'était une forme de résistance au climat de nationalisme culturel de l'époque.

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MessagePosté: 15 Mar 2020, 00:11 
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Oui mais c'est une erreur de ma part. C'est le titre de la collection. Leur mise en page est juste mal faite.
Je vois sinon - par l'entremise de Wikipédia - que dans son livre The Closing of the American Mind, qui est censé être un texte canonique - ou un best-seller terme peut-être plus approprié - du courant conservateur américain, le philosophe Allan Bloom, ami de Saul Bellow, s'en prend à Zelig et à l'influence de la philosophie allemande sur le personnage d'Allen.


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MessagePosté: 15 Mar 2020, 00:20 
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Si jamais tu t'intéresses à Hoffmansthal, l'essai que lui a consacré Hermann Broch est une bonne porte d'entrée et une œuvre à part entière sur la notion d'idéologie, elle-même assez inclassable , à la fois politiquement et moralement proche des œuvres d'Adorno ou de Walter Benjamin et très différente car moins marxiste, à la fois plus religieuse que mystique et plus positiviste par rapport à la vision de la science
c'est lui qui a forgé la notion de kitsch esthétique

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MessagePosté: 28 Juil 2021, 22:13 
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ça se regarde bien mais il faut avouer qu'il est quand même difficile de se passionner pour une histoire que l'on voit se dérouler comme on l'avait imaginée. Le pitch de base annonce le reste du film et il ne faut pas s'attendre à d'immenses surprises, mais je suppose que le thème de la schizophrénie au cinéma était plus novateur à l'époque.

3/6


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MessagePosté: 29 Juil 2021, 09:38 
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Ha ben c'est le film le plus contraire à la notion de twist qui puisse exister : un mec est Othello tous les soirs et pête lentement un boulon. Rien d'autre en effet, à part Shelley Winters dans un quartier louche à côté d'un bon restaurant qui dure pas longtemps. Le pire c'est qu'il l'a choisi.
Cette monomanie est vouée à le sortir de la bourgeoisie sans qu'il ne l'ait voulu, même s'il n'eût pas été un criminel. L'excès de culture le met dans la même situation morale que M de Lang, il fonctionne comme une pulsion, même s'il permet des formes d'identification à autrui, qui ne sont d'aucun secours au personnage principal. C'est un film très déstabilisant en fait.

On a de Cukor l'image des comédies sophistiquées et là on a un truc proto-cronenbergien qui n'a apparemment rien à voir (bien que le personnage de James Stewart dans Philadelphia Story franchisse aussi une classe sociale par desir sexuel, et s'annule lui-aussi psychologiquement, mais dans l'autre sens, et en étant désiré par Katherine Hepburn, quand ici personne ne désire Othello, et il ne veut pas l'être,
rien n'amortit donc le choc).

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