Pas mal. La pièce de départ est brillante, et passe encore bien l'épreuve des ans. Il y a une dimension subtilement satirique vis-à-vis de la haute bourgeoisie, avec le personnage de James Stewart en journaliste de gauche (même si son jeu est volontairement agaçant). Le film dit en creux quelque-chose de politique sur les années 30 même si l'intrigue sexuelle va intentionnellement dissoudre cette lucidité, en faisant de cette perte consciente de sens le moteur dramatique du film (il s'agit sur les deux plans de neutraliser le ressentiment en montrant qu'une réparation est possible). La langue du film est étonnamment moderne, à tel point que le film en devient presque désincarné, de toutes les époques et d'aucune en même temps. Cette impression d'irréalité est renforcée par le casting impressionnant : James Stewart, Cart Grant et Hepburn sont réunis, mais restent pourtant des promesses, ce qui pourrait advenir est nommé dans le film, mais relégué hors champ, dans l'après. Même les personnages secondaires les parasitent. C'est la fiction de la lucidité politique liée à celle du pur désir sexuel, qui se neutralisent mutuellement
Ce qui est particulièrement déroutant, mais fait aussi le sel du film, c'est de trouver mélangés une sophistication et un raffinement comiques qui emmenent le film vers l'abstraction d'un côté et une situation sexuelle pratiquement archaïque : une situation d'échange de femmes, négociée en famille, mais lissée par le fait qu'elle correspond exactement au désir inavoué des protagonistes de l'autre (le film la subvertit un peu : Grant échange Hepburn contre elle-même, mais doit alors sauver la mise à tous les hommes du film). Cela fait du droit et de la loi communs et explicites qui prévalent à l'extérieur de la villa l'inconscient transgressif de la grande bourgeoisie, cette fois ci à l'intérieur de ce microcosme, en coupure complète sur le monde.
La mise en scène est très bonne mais on sent malgré tout la statisme de l'origine théâtrale du film. Cukor me semble plus troublant et moderne dans le drame, comme le magnifique et méconnu
A Double Life, que dans la comédie. A Double Life qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer la situation du film (le personnage tragique cumule les dispositions psychologiques que la comédie repartit et spécialise entre plusieurs personnes) et qui est d'ailleurs une forme de déconstruction, filmant
le théâtre détruit par ron propre paradoxe plutôt que
du théâtre).
Je dois dire que j'ai un petit problème avec Katharine Hepburn, mais je suis plus rentré dans ce film que dans
l'Impossible Monsieur Bébé, certes plus échevelé et moins psychologique (comme dans A Double Life on sent dans Indiscrétion l'influence de la comédie dépressive et codée de von Hoffmanstahl, L'Homme Difficile par exemple). Je l'ai même trouvé très émouvante dans la scène où elle se fait remettre à sa place par Cary Grant, où il lui reproche le cynisme profond de son intransigeance morale apparente, qui transforme tout en vêtement. Je me suis reconnu et ai reconnu des proches dans cette scène. Le film fait encore mouche et est capable de déstabiliser derrière la comédie.
Et Virginia Weidler morte à 41 ans, il ne faisait déjà pas très bon être enfant-acteur (le rôle de Carrie Fisher dans Shampoo 33 ans plus tard reprendra un peu son personnage d'ailleurs, en en développant la part sombre ainsi que son enfermement).
-K.Y.- a écrit:
.
Et j'adore Indiscrétions, mais il a fallu que je m'y prenne à deux fois. La première fois je n'étais pas allé jusqu'au bout (fatigué), la seconde fois c'était jubilatoire. Moi aussi c'est finalement Ruth Hussey qui m'a le plus touché.
Je ne trouve pas le film si daté que ça, et encore moi son statut de classique de la comédie de l'âge d'or hollywoodien usurpé.
Bliss, c'est à revoir, mais avant 2012 !
J'ai connu un peu la même expérience. Il faut dire que les sous-titres français du DVD sont très mal faits et appauvrissent le film, il fait mieux le voir avec les anglais. L'histoire de la bibliothécaire ultra-snobbe qui dit
thou et
thy c'est très drôle en fait, et impossible à traduire.
Et Cukor a en effet l'élégance de laisser la plus belle scène du film à Ruth Hussey.