Qui-Gon Jinn a écrit: Par conséquent, le dernier plan, tellement beau sur le papier, ne fait guère d'effet.
Je l'ai au contraire trouvé très beau ce dernier plan, justement parce qu'il est d'une gravité qui détone avec le reste du film. Et c'est bien une comédie d'inversion (farce plutôt que comédie d'ailleurs), certes pas mainstream (aidé par son format et sa photo qui renforce le brouillage entre fiction et documentaire, impression renforcée par la présence de nombreux acteurs non professionnels), mais diablement efficace (n'en déplaise à Karloff). Premier film que je vois de Letourneur, j'ai été surtout soufflé par la précision de l'écriture.
Dès la scène d'intro elle plante en quelques phrases tout ce que le film n'est pas mais sera. Le couple (elle pianiste mondialement célèbre, lui son imprésario de mari) arrive à l'aéroport, une journaliste interpelle Claire, c'est son mari qui répond et monopolise parole et attention. Avant de rapidement devoir reprendre la place qui lui incombe (dans l'ombre de sa femme), lorsqu'à l'accueil de l’hôtel on lui propose un second pillow (je ne connaissais pas l'expression, c'est joliment imagé). Parce que les artistes en font souvent la demande. Qu'il refuse, la call-girl, c'est lui. En quelques échanges rapides (le tout se passe en à peine plus de quelques minutes), Letourneur traite donc à la fois de la frustration du mal dominant qui doit s'effacer devant sa star de femme (et donc de ce que le film ne sera pas, une charge contre le patriarcat, quoi que certains aient pu penser sur la seule base du pitch), et plante le décors de ce qui va suivre, une inversion quasi totale des rôles masculin et féminin à l'intérieur du couple (voir la première scène de cunilingus filmé comme si Jonathan Cohen faisait un fellation), comme si être placé dans le corps de l'autre était le seul moyen de se rendre compte de ses propres excès. Et à ce petit jeu, de l'homme et de la femme c'est plutôt l'image de la seconde que Letourneur a entrepris d'écorner.
Pour en revenir à son pitch de départ déjà, il est rapidement évident qu'il est à prendre à rebours de qu'il propose littéralement. Des hommes ou des femmes, ceux qui font généralement des enfants dans le dos comme Claire aime à le répéter, ce sont tout de même plutôt les secondes. Et c'est toute la question du désir de la parentalité qui est posé, de l'insoluble équation à résoudre lorsque l'un des deux partenaires n'en veut pas (rôle qui cette fois est généralement tenu par l'homme). Alors oui le personnage joué par Marina Foïs semble longtemps comme absente du film, parce qu'elle est celle qui fait vivre le couple et que l'intendance domestique est dévolue à Jonathan Cohen. Et parce qu'elle est aussi celle qui dans le couple n'aura pas désiré l'enfant, se retrouvant devant le fait accompli et ne sachant comment s’extirper de ce guêpier. A l'inverse Jonathan Cohen s'ébroue avec délectation dans sa peau de futur père (mère), surjouant ce rôle paré d'une aura quasi sacrée de personne enceinte. Mais Letourneur prend bien soin de ne jamais ni totalement victimiser l'un, ni totalement ridiculiser l'autre, l'évolution de la grossesse est décrite avec bien plus de finesse et de délicatesse que certains atours de la farce ne semble le montrer (elle pousse d'ailleurs parfois le bouchon du grotesque très loin, comme lorsque Marina Foïs perd les eaux et Jonathan Cohen de porter la main à son vagin pour ensuite la sentir et de se rendre compte qu'elle sent les chocos Prince). Sa résolution (l'accouchement) en est la preuve, qui vient pacifier la relation.
Film qui est donc avant tout une ode à la maternité, qui tente à la fois de rasséréner la fraction de la gente masculine que la paternité effraierait comme de tempérer celle féminine qui se transmue en Vierge Marie pendant leur grossesse, de pacifier surtout les rapports entre sexes opposés en leurs montrant qu'être parents est ce qu'il y a de plus beau au monde (d'où la longue et belle séquence de l'accouchement).
Et puis sincèrement, c'est férocement drôle.
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