Janvier 2016. L'histoire amoureuse qui m'avait amené dans le village d'Alsace où je vis est terminée depuis six mois. A 45 ans, je me retrouve désormais seul, sans voiture, sans emploi ni réelle perspective d'avenir, en plein cœur d'une nature luxuriante dont la proximité ne suffit pas à apaiser le désarroi profond dans lequel je suis plongé. La France, encore sous le choc des attentats de novembre, est en état d'urgence.
Je me sens impuissant, j'étouffe d'une rage contenue. Perdu, je visionne quatre à cinq films par jour. Je décide de restituer ce marasme, non pas en prenant la caméra mais en utilisant des plans issus du flot de films que je regarde. Ce genre de films collages n'est pas nouveau mais est le plus souvent le point de départ d'une réflexion purement plastique (Godard) ou le résultat d'un exercice ludique (comme
Final Cut [que je n'ai pas vu] de Gyorgi Palfi qui racontait une histoire d'amour uniquement à travers d'extraits d'autres films). L'originalité de celui-là est en fait de faire de cette matière cinéma les pages d'un journal intime récité en voix-off. Et ça marche totalement parce qu'on nous raconte une véritable histoire. C'est le récit de cet homme qui cherche à se reconstruire après une séparation difficile et un deuil traumatisant. Il y a un vrai début, un développement et une fin, on n'est pas dans l'abstrait. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé comme le film ne se lavait pas les mains des problèmes concrets (financiers notamment) mais les intégrait dans son système. Et les images des films viennent agir soit en purs commentaires, soit en miroir d'affects et de sensations. Surtout que ce qui est fort c'est ce choix de prendre uniquement des films peu connus, qui fait que même cinéphile on est pas vraiment dans le blind test (en tout cas je l'ai pas été) tellement la majorité est inidentifiable (même si un plus grand cinéphile pourra aisément me dire le contraire). Personnellement dans les centaines de films, j'ai dû en reconnaître 3 ou 4 (et encore j'étais pas sûr). C'est lors du générique de fin où sont listés tous les films que soudain ils prennent une existence propre d'ailleurs, qu'ils deviennent autre chose que des fragments oniriques (ou cauchemardesques). C'est là aussi qu'on remarque l'étendue du spectre proposé (de
Elf de Jon Favreau à de l'obscur cinéma soviétique). Et évidemment ça donne envie de s'enfermer 6 mois pour tout voir.
J'ai d'ailleurs adoré la manière d'organiser ces extraits. Il n'y a quasiment aucun visage, on est dans des gros plans, dans des inserts même ce qui donne à l'ensemble un côté très fétichiste, très obsessionnel, focalisé sur des gestes et, souvent, sur des éclats de violence. Cela ajoute à l'aspect tourmenté du personnage et de son combat intérieur pour essayer d'exister hors de cette boulimie de cinéma. C'est d'ailleurs tout le paradoxe du film. Le cinéma comme un exutoire à une existence blessée mais qui devient peu à peu une marchandise vidée de substance. Beauvais ne parlera finalement jamais de ce qu'il voit, il ne rentrera pas en détail dans cette expérience de cinéphagie mais se contentera d'en parler comme d'un produit, comme de cette drogue dont il besoin.
Malheureusement c'est là aussi que le film échoue à totalement convaincre, dans le discours caricatural de Beauvais, par moments ridicule dans sa posture d'intermittent gauchiste aux idées totalement prémachées. Le mec qui a vécu 7 ans à la campagne et qui considère toujours les habitants de son village comme des arriérés congénitaux là où à Paris s'épanouit la culture et la beauté. Le mec évidemment dégoûté par les supporters de foot (séquence assez pathétique, il en parle comme de monstres dégueulasses). Phrases de gauchiste lambda balancées avec tout le sérieux du monde "on entend le bruit des bottes sur le pavé". Mec qui soutient les black blocs, qui à envie de tout cramer mais qui se complait dans son petit confort de cinéma, joint etc... C'est vraiment pas là que le film brille, au contraire, ça le rend par moment un peu puéril et ridicule, en fait dès qu'on s'éloigne du récit précis de son quotidien pour des réflexions d'une banalité confondante.
Mais je ne lui en tiens pas tellement rigueur tant je trouve que le film à quand même une véritable personnalité bien à lui, et qu'il représente malgré tout une vraie expérience de cinéma à la fois profondément intime mais aussi d'un foisonnement culturel total, qui donne envie d'aller voir ces films, écouter les musiques dont il parle (découvert d'ailleurs l'excellent
Gontard! grâce au film)...
4-4.5/6