Forum de FilmDeCulte

Le 14 juin 1941, les familles estoniennes sont chassées de leurs foyers, sur ordre de Staline. Erna, une jeune mère de famille, est envoyée en Sibérie avec sa petite fille, loin de son mari. Durant 15 ans, elle lui écrira pour lui raconter la peur, la faim, la solitude, sans jamais perdre l’espoir de le retrouver. "Crosswind" met en scène ses lettres d’une façon inédite.

Voilà un film qui raviront tous ceux qui tendent à confondre les postes de réalisateur et de directeur de la photographie tant la beauté plastique du film trône incontestablenent dans son expérimentalisme radical. Le pari de Martti Helde est de donner vie à ses lettres tragiques de la seconde guerre mondiale en présentant des fresques de personnages tels des natures mortes, sa caméra balayant inlassablement des scènes fixes comme des tableaux composés où les acteurs ne bougent ni ne parlent pas, même si l'on aperçoit leurs respirations où le balancement de leurs vêtements agités par le vent. Une démarche conceptuelle poussée jusqu'à son terme au sein d'une sorte de film mausolée aux victimes, dont on aura tendance à dire qu'il est nécessaire pour oublier de dire qu'il n'évite pas l'ennui.
3/6

Ah moi j'ai absolument adoré. Je trouve que le film parvient à s'extirper brillamment de son gimmick visuel pour livrer de vrais morceaux de bravoure émotionnels. L'idée extrêmement simple, au symbolisme presque lourdaud, du temps qui s'arrête à partir du moment de l'arrestation permet de se focaliser sur des gestes, des regards, des contacts humains. Et c'est souvent bouleversant. Lorsque j'avais vu la bande-annonce j'étais persuadé que le dispositif était numérique, qu'il y avait un effet spécial qui permettait à la caméra de déambuler au milieu d'une photographie en 3D. Et bien non, c'est assez saisissant de réaliser que ce ne sont que des acteurs qui prennent la pose. On aperçoit ça et là, une paupière qui frétille, une narine qui se dilate, une poitrine qui se soulève. Mais en plus de rajouter à l’émerveillement du dispositif (rapidement on se met à déceler, presque inconsciemment, les mouvements au sein du plan), cela ne fait que rendre le film plus vibrant dans l'ondulation de sa micro respiration (le vent dans les blés par exemple). Et la composition très picturale pour le coup est magistrale sans que jamais ça ne soit ridicule, pompier ou artificiel. Surtout que le cinéaste se permet de légères variations au sein du même plan. C'est vraiment génial.

Au delà de tout ça, c'est une expérience de cinéma assez incroyable quand même avec des plans séquences d'une fluidité et d'une beauté à couper le souffle, la caméra semble être une danseuse dans un ballet macabre où la mort rôde partout. Il y a des moments où l'association de la musique, du mouvement de caméra et du visage sur lequel on se focalise où j'ai eu les larmes aux yeux sans trop savoir pourquoi. Le noir et blanc sublime et l'art du plan séquence (comment font-ils pour faire des travellings aussi fluides sur des chemins boueux ?) rappelle évidemment Bela Tarr et si bien évidemment on n'est pas encore dans la puissance du cinéaste hongrois, il y a là les prémisses de quelque chose de grand.

Je regrette la petite concession du cinéaste qui remet les choses en mouvement un peu artificiellement au milieu du film. Mais à part ça j'ai franchement rien à lui reprocher. C'est un film parfaitement cohérent avec son projet (il est très court, a la durée quasi parfaite) et qui s'avère sincèrement bouleversant (les lettres lues en voix off sont sublimes). Et quoi qu'on en dise c'est un des premiers films les plus impressionnants de ces dernières années.

5/6

_________________
CroqAnimement votre