Pas vu de topic, Je me lance donc avec des
spoilers partout et en en parlant n'importe comment
Poursuite de l’exploration de la filmographie de Peckinpah et là, on atteint des putains de sommets.
J’évacuerai rapidement la partie éloges techniques : le jeu des acteurs, cette mise en scène admirable (mama mia, la première fusillade qui scotche au siège : gestion de la tension, de l’espace, de l’action, tout y est. Boum.) toujours un travail d’orfèvre sur le son (les rugissements des colts) bref, c’est du petit lait…
C’est dingue comme tout est souillé dans ce film, ce n’est même plus crépusculaire, c’est carrément nuiteux. Idéaux, relations, dirigeants, rien n’a de valeur, tout est marqué du sceau de la désillusion, de la crasse : les premiers regards posés sur cette œuvre glissent sur les visages sales d’enfants, tandis que les peaux des voyous qui les toisent luisent d’un éclat galeux.
L’ouverture du film annonce, déjà, (comme dans straw dogs tiens) la fin : Ces scorpions qui se débattent face à la multitude, piquant de-ci et de là avant d’être engloutis par le Feu. Ces gamins, qui sont aussi souillés que les hommes, mais qui ne font plus partie du même monde, celui qu’arpente ces vivants en sursis, perchés sur leurs chevaux. Belle façon de situer en quelques plans la déconstruction d’un mythe.
Marrant aussi comme le générique imprime ces gueules (il n’y a pas vraiment d’autres mots) sur l’écran, ces mecs qui appartiennent déjà à l’histoire, déjà morts et pourtant encore vivants. Pour aller où ? Pourquoi ? Encore une et on arrête, hein, promis…
Car, après quoi courent-ils tous en se débattant vainement dans les mailles d’une existence sans valeurs ni référents ? la loi, ce sont les diktats de la railroad (cette réplique d’ailleurs,
how does i feel to be goddamn right : good, haha). La fraternité, c’est abattre sans une once d’hésitation un compagnon agonisant quand il nous retarde. Le quotidien sert à rappeler tous les jours à la lie de l’humanité son insignifiance. La foi ? …
Et pourtant un glissement s’opère lors de la visite de la ville d’agua verde. La caméra, qui ne s’était alors fixée sur personne, adoucit son mouvement, prend le temps de capter, de dérober, les pensées intimes de ces hommes. Les espoirs de chacun s’incarnent, l’écho des mélodies qui résonnent en eux parviennent jusqu’à nous, finalement. Et c’est un vieillard mexicain qui apporte le contrepoint à leurs errances:
« We all dream of being a child again, even the worst of us.” Au milieu de tout cela, le regard de pyke enveloppant avec une chaleur et une humanité brûlante ces gamins qui dansent en dit long.
D’autant plus long lorsque l’on met cela en parallèle avec le terrible couperet que Dutch fait tomber face à l’illusion entretenue par Pyke :
BACK UP TO WHAT ?
Face à cet horizon bouché, à quoi d’autre se raccrocher si ce n’est à l’autre, à la foi que l’on insuffle dans le vaurien qui vague, cahin-caha, à nos côtés :
« When you side with a man, you stay with him, and if you can’t do that, you’re an animal » ( intéressant ce retour de la question de l’animalité qui transpire également dans straw dogs)
Les corps, par ailleurs dans ce film, l’impression de lourdeur qui se dégage dans les mouvements, me frappe : ça boite, ça claudique, ça se traine, ça porte les affres d’une vie sur ses épaules comme des hardes, sans pouvoir se prémunir des blessures. La scène où Pyke casse son étrivière parle d’elle-même : on a mal dans ce pays, on se traîne plus qu’autre chose. Exit les grandes chevauchées : ça chute plus que ça galope (on doit voir plus de chevaux à terre que sur leurs quatre sabots dans ce film)
Intéressante également l’utilisation du ralenti. Quelle fonction tiennent-ils ? Au-delà du parti-pris graphique, que dit un ralenti, pourquoi montre t’on un corps tomber comme cela, une gerbe de sang ici ? S’agit t’il de souligner l’absurdité de cette ultime tressaut ? de ce flot de fluide ? Retarde t’on l’inévitable, rien qu’un instant, pour conscientiser (ouh le vilan mot), incarner la mort ? Je ne veux pas trop théoriser cet aspect-là, ce qui nierait surement l’intention au cœur du dispositif, mais c’est tout de même notable.
Dans un autre registre, les femmes sont cette fois toutes des putes, mais aussi des mères. Et c’est de l’une d’elles, de son regard naviguant de ce louis d’or au visage
sali de Pyke, qu’une forme de rédemption advient, que la mécanique des jours qui s’enfuient vainement cède sa place à quelque chose. Autre.
Je ne connais pas du tout Peckinpah, mais le côté pessimiste, nihiliste outrageusement présent laisse apercevoir des saillies, comme des cris jetés à la face du monde, les cris de quelqu’un qui veut y croire. A ce titre, le mouvement final est aussi splendide que vain : La mort du général, que suit ce déchainement inouï de violence, est un suicide, qui pourtant porte en lui son exact opposé. Les personnages ne font plus que crier, ils ne crient pas pour demander pourquoi, ils ne crient pas par peur, ils crient simplement leur rage, leur force de vie. C’est extrêmement fort.
La fin est significative à ce titre : Alors qu’il aurait pu terminer sur le festin des vautours (dans les deux sens du terme) et l’enfance souillée ; L’œuvre se clôt sur la réunion des deux vieux briscards et leurs rires, auxquels répondent la bande, la horde.
It ain’t like it was, but it’ll do.Ce n’est surement qu’une digression personnelle, mais cette fin m’a rappelé le monologue de la femme à la fin de STALKER, un monologue qui se ferait au colt au lieu des mots.
Cela en valait la peine finalement ?